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Son nom est Sullivan Van Hove. L'été dernier, cet adolescent de Waremme, en province de Liège, pesait 54 kilos de plus qu'aujourd'hui. Une victoire contre la maladie, car l'obésité en est une, mais également contre le regard des autres. Voici, étape par étape, comment Sullivan est passé du statut de "gros lard" de l'école à celui de "fierté" de ses amis. Une aventure qui commence à la mer du Nord, du côté d'une station balnéaire plus connue pour le style anglo-normand et Belle Époque de ses villas que pour son centre pédiatrique de revalidation.
Sullivan aura bientôt 14 ans. Il y a un an, sa vie était un enfer au quotidien. Il pesait alors 130 kilos et comme tous les jeunes obèses, il subissait la méchanceté si caractéristique de l’adolescence. "A l’école, on m’appelait gros lard ou bouboule. Je les entendais toutes mais je ne réagissais pas. C’est quand je rentrais chez moi que je pleurais. Dès qu’il fallait faire du sport, je trouvais un prétexte pour ne pas le faire car pour moi, c’était la mort. Et chez moi, dès que je me disputais avec mes parents ou quelqu’un, automatiquement je me réfugiais dans la nourriture. C’était mon seul réconfort."
L'obésité morbide, une maladie chronique
Sa famille, inquiète pour sa santé, a pris les choses en main. Sa mère, son père et son beau-père ont tous contribué à lui trouver un centre dans lequel il pourrait être pris en charge. Après s’être heurtés aux listes d’attente longues de plusieurs années d’un centre wallon, c’est finalement à la côte belge qu’ils ont trouvé leur bonheur. Sullivan allait bientôt devenir pensionnaire du Zeepreventorium, un établissement situé au Coq (De Haan). "Il s’agit d’un centre médical et pédiatrique de revalidation pour enfants atteints de maladies chroniques", nous décrit son directeur, Rudi Reyntjens. "On considère l’obésité morbide comme une maladie chronique, car elle représente un défi permanent pour garder son poids."
"J'ai attendu que ma mère soit partie avant de pleurer"
Un défi permanent qui explique pourquoi "les patients obèses restent souvent une année scolaire ainsi que les 2 mois de vacances". "Loger au centre est très important car l’intensité de la thérapie n’est pas concevable dans l’ambulatoire et combinée avec une vie scolaire normale et des activités normales. Ici, c’est 24h sur 24", précise le directeur. C’est justement le fait de quitter sa famille aussi longtemps qui faisait peur à Sullivan. Il aura fallu plusieurs visites du centre pour le convaincre. "Je ne voulais pas y aller. Ils parlaient tous néerlandais et je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient. Mais au fur et à mesure des visites, j’ai finalement dit OK, et une fois là, j’ai été accueilli chaleureusement. Pourtant, j’ai dû rester fort devant ma mère et mon beau-père. Je ne voulais pas les quitter. J’ai attendu que ma mère soit partie avant de pleurer."
"Je n'avais rien à perdre"
Une fois sur place, Sullivan comprend vite que son quotidien s’apprête à changer du tout au tout. "J’ai directement changé d’habitudes. Le plus flagrant, ça a été d’abandonner mes vêtements. Car avec toutes les activités sportives, on n’est pas autorisés à garder nos habits de la maison." Mais ses craintes s’estompent vite grâce à un soutien moral auquel il ne s’attendait pas. "Au début, on voit ça comme une prison. Je le ressentais aussi comme de l’abandon de la part de mes parents. Je pensais qu’ils ne viendraient jamais me voir. Mais ils sont venus en visite les week-ends." Les lettres d’amis et même d’anciens professeurs lui ont aussi réchauffé le cœur. "J’ai donc été fort soutenu par tout le monde. A partir de là, j’ai pensé que je n’avais rien à perdre" dans cette aventure. D’autant que "j’avais quand même déjà perdu 6 kilos la première semaine !"
Le rôle capital des éducateurs
Le moral a donc rapidement été au beau fixe, d’autant que "au centre, on se soutient. Le regard des autres n’est pas le même que celui que je connaissais à l’école. Là, on était tous dans la même galère, avec tous le même but." C’est entouré de ces nouveaux amis que la marche de Sullivan vers sa nouvelle vie pouvait commencer. Il habitait au centre, au sein d’un des "groupes de vie" constitués autour des éducateurs. Ceux-ci sont capitaux, car ils tiennent un rôle entre le parent, la figure d’autorité, et le grand frère, le confident. Lors de notre entretien, Sullivan a d’ailleurs tenu à remercier de nombreuses fois ses éducateurs.
"30% de patients francophones et une école francophone"
Il y a ensuite l’école. Car pendant 10 mois, les 200 patients du centre ont aussi pour but de ne pas perdre une année scolaire dans l’aventure. Et si l’impression que tout se déroulait en néerlandais avait fait peur à Sullivan lors des visites, il s’est vite rendu compte que le Zeepreventorium ne néglige pas les francophones, au contraire. "On a quand même 30% de patients francophones", insiste M. Reyntjens. Voilà pourquoi "on a une école néerlandophone et une francophone. Elles couvrent les maternelles, primaires et secondaires général, technique et professionnel. Les enfants peuvent ainsi suivre une scolarité normale dans le centre." Avec si peu d’élèves pour tant d’années scolaires et d’options différentes, il n’y a pas vraiment de classes. "Ils travaillent surtout individuellement avec l’instituteur, qui est comme un coach, et qui met en place des groupes de travail par thèmes. Et grâce aux examens, ils ne perdent pas leur année scolaire. Je ne dis pas que tout le monde aura son diplôme, mais on essaie de faire ça au mieux, même si c’est la thérapie qui passe en premier lieu." Au final, Sullivan a non seulement réussi son année, mais il a aussi ajouté une corde à son arc. "Si la partie scolaire est soit néerlandophone, soit francophone ; à l’internat, on était tous mélangés. Donc maintenant, je suis bilingue !"
Choco le matin, puis légumes, légumes, légumes
Concernant la cure d’amaigrissement proprement dite, le jeune homme a été plutôt surpris. En effet, le régime n’était pas aussi strict qu’il le craignait. Notamment au déjeuner : "Quatre tranches de pain gris le matin, avec de la Becel, et on a toujours droit à du choco, de la confiture ou du sirop de Liège", s’est-il étonné. Suit ensuite une collation à 10h, puis le côté "régime" se fait sentir. "C’est au repas de midi qu’ils mettent un gros frein sur le gras. Tout est cuit à l’eau ou à la vapeur, avec très peu de sel. Les assiettes sont composées d’un quart de viande, un quart de pommes de terre et une moitié de légumes. On a aussi tout le temps droit à du potage maison. Et le soir, ce sont des tartines, avec du lait et des légumes. Il y avait beaucoup de légumes que je n’avais jamais mangés de ma vie, où d’autres, comme les chicons, que j’ai réappris à manger. Et enfin, on a droit à deux cannettes de soda light et une confiserie par semaine."
"La perte de poids est secondaire": priorité à l'éducation nutritionnelle
Sucres le matin, repas certes sains mais copieux à midi, pas d’interdiction formelle de sucreries, la méthode appliquée au centre ne croit pas en une privation totale pour une perte de poids ultrarapide. Le but est plutôt d’éduquer les enfants à manger plus sainement. "Traiter l’obésité, c’est plus complexe qu’on le dit. Ce n’est pas juste faire un régime. Ce sont des méthodes de vie. On mange normalement et sainement, avec des quantités caloriques normales, avec de bons aliments, et une activité physique et psychique très importante car il faut qu’un déclic se produise pour faire attention tous les jours -même si c’est normal que ça ne soit pas facile tous les jours-. Finalement, la perte de poids est secondaire" par rapport aux changements comportementaux obtenus, estime le directeur de l’établissement.
Entre appareils de fitness qui s'adaptent au patient et sorties surf et kayak
L’autre partie importante du programme d’amaigrissement, c’est l’activité physique. Mais là aussi, pas question de camps d’amaigrissement de type commando comme on peut en voir dans des reportages tournés aux USA. Avec des organismes en pleine croissance et une surcharge pondérale ne permettant pas toutes les activités physiques, celle-ci font l’objet d’une personnalisation toute particulière. "On accorde une grande place à l’activité physique, mais pas extrême. Elle est adaptée à la condition physique de l’enfant. On analyse son poids, sa masse graisseuse, et on apporte à l’enfant un programme individuel qui peut se faire dans les locaux du kiné avec une clé personnalisée à mettre sur les appareils de fitness, qui les adapte à chaque patient. A côté de ça, les groupes de vie font du sport aussi", explique Rudi Reyntjens. Concrètement, cela se traduisait pour Sullivan par "3 heures de kiné et 3 heures de sport en semaine scolaire. Mais pendant les vacances d’été, on faisait d’autres activités, comme du foot, du basket, du vélo, la plage, courir, ... Et les mercredi après-midi, on faisait une activité extérieure, comme aller au cinéma ou faire du shopping avec les filles. Mais on a aussi fait du surf et du kayak !"
La famille impliquée dans le processus
La méthode du Zeepreventorium, ce sont donc des activités variées et personnalisées, une éducation à la nourriture saine et une scolarité normale, encadrés par des médecins et des psychologues. "On a développé nous-même la méthode et nous avons désormais une grande expertise. Il y a un facteur psychologique et comportemental qu’il ne faut pas négliger. On se base sur une équipe pluridisciplinaire, comprenant des diététiciens, des psychologues, des pédagogues, des médecins et des kinésithérapeutes. Et si on demande beaucoup aux patients, on en demande aussi beaucoup à leur entourage. Il faut la collaboration du milieu social et familial. C’est un traitement où parents, frères et sœurs sont impliqués."
"J'ai changé: j'ai appris à gérer la nourriture"
Une méthode qui marche, à en croire Sullivan. Aujourd’hui, il ne pèse plus que 76 kilos pour 1m74. Il en a donc perdu 54 ! Pas totalement la perte de poids espérée, mais il y a gagné bien plus : une nouvelle façon de vivre. "Je n’ai pas su perde les 70 kilos que je m’étais fixé. Mais j’ai appris à gérer la nourriture. Je suis aussi devenu beaucoup plus mature. Pour moi, l’alimentation à laquelle on m’a habitué là-bas, c’est normal comme alimentation. J’ai changé par rapport à avant. Je réussis à manger tous les légumes par exemple." Et il n’est pas le seul à remercier le centre pour l’aide apportée. "Tous mes camarades ont aussi perdu énormément de poids. Il y en a qui étaient montés dans les 200 kilos. Une fille qui est restée 2 ans d’affilée avait perdu une cinquantaine de kilos par an et a finalement atteint son but."
60% de réussite
M. Reyntjens le confirme : "On a de bons résultats. Dans toutes les études, on montre qu’après 5 ans, environ un tiers des patients gardent leur poids de sortie et un autre tiers n’augmente qu’un peu. Mais un dernier tiers ne réussit pas à rester mince." La méthode fonctionne donc pour plus de 60% des patients.
"Le regard des autres a changé... et question filles, j'ai du charme"
Un suivi de 3 ans après avoir quitté le centre
Et pour s’assurer qu’il ne rechute pas, le Zeepreventorium ne considère pas encore son travail accompli. "Nous avons conclu une convention spécifique avec l’Inami qui nous permet de réaliser un suivi sur une période de 3 ans après la dernière date de sortie. Cela nous permet de suivre les patients, soit pendant les vacances scolaires, les week-ends, ou après l’école. Comme c’est moins facile s’ils viennent de loin comme Sullivan, on organise aussi des journées de retour quatre à cinq fois par an où les anciens patients peuvent entrer en contacts avec des thérapeutes pour poser leurs questions. On essaie également en ce moment de développer une application smartphone pour pouvoir suivre les patients à distance."
Son message aux enfants obèses
C’est