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Afghanistan: Nadia Anjuman, poétesse de la détresse féminine, tuée il y a deux ans

Il y a deux ans, la police découvrait le corps inanimé de Nadia Anjuman, une jeune poétesse afghane de 25 ans déjà célèbre pour ses vers poignants sur la malédiction d'être femme en Afghanistan.

Elle avait été battue à mort par son mari le 4 novembre 2005 à leur domicile de Herat (nord-ouest), selon la police.

Aujourd'hui, l'affaire est classée avec la mention "suicide" et son époux élève librement leur petite fille, tandis qu'à l'étranger, ses poèmes en langue dari (langue soeur du persan) sont traduits cette année dans plusieurs langues.

"Espoirs envolés, désirs non exaucés, Je suis née en vain, c'est vrai", dit-elle dans un poème traduit en français par une spécialiste de la littérature de cette région, Leili Anvar.

Cette dernière évoque chez Anjuman "un immense chagrin directement lié à son statut de femme et d'Afghane, comme une douleur d'être et une difficulté à trouver une voix audible".

La condition de la femme dans ce pays guerrier, rude et montagneux, et déchiré par 30 ans de guerre, a encore souffert des cinq ans de pouvoir des islamistes fondamentalistes talibans entre 1996 et 2001. Les filles n'étaient plus scolarisées, les femmes interdites de travailler et confinées aux maisons et sans pouvoir de décision.

Malgré la chute du régime intégriste, mauvais traitements, abus sexuels et violences domestiques se poursuivent et certaines femmes choissent encore l'immolation par le feu, fréquente à Hérat, cité pourtant deux fois millénaire des arts, de la culture et des lettres.

Peu avant la disparition de la jeune femme, le président du Cercle littéraire de Herat (fondé en 1930), Ahmad Said Haqiqi, jugeait qu'elle était "en train de devenir un grand poète persan".

"Lorsqu'on songe à l'âge qu'elle avait, on est étonné de l'extrême maturité de son oeuvre", dit à l'AFP Leili Anvar, qui lui consacre d'importantes pages dans une anthologie de la poésie afghane en préparation. Anjuman "montre une grande maîtrise du vers libre persan et de la musique de la langue", dit-elle.

L'un de ses professeurs à l'Université de Herat, Mohammad Daud Munir, évoque "une pensée profonde et complète", dans des "poèmes jeunes, tout comme elle l'était".

"Son absence laisse un vide au sein de la communauté littéraire", dit-il à l'AFP.

Son premier recueil de poèmes, "Gul-e-dodi" ("Fleur rouge sombre"), a été publié en 2005, que cette jeune étudiante de l'Université ne meure. Récemment, le Cercle littéraire en a publié un second, de 80 poèmes, tandis que ses textes restent lus en public et imprimés régulièrement par les journaux, selon M. Munir.

A l'étranger, outre leur publication prévue en France, les vers d'Anjuman sont déjà traduits en anglais et en italien et un site internet à son nom présente en anglais depuis quelques semaines nombre de ses poèmes (http://nadia.afghanwire.org).

Le souvenir de la jeune femme reste vif parmi les siens.

Sa meilleure amie et camarade d'université, entrée depuis dans la fonction publique, Nahid Baqi, est amère. "Tout le monde veut l'oublier, dit-elle à l'AFP. Il y a eu des pressions sur les autorités pour qu'on conclue à un suicide, pour faciliter l'éducation de sa fille", ajoute-t-elle en larmes, à l'évocation d'Anjuman.

Pour le mari de la poétesse, Farid Ahmad Majeednia, ces vers appartiennent à la période taliban: "une narration de désarroi et de tristesse qui résulte de son emprisonnement derrière les murs de sa maison", dit à l'AFP cet intellectuel, directeur de la bibliothèque de l'Université de Herat.

"Deux ans après sa disparition, mes mains et mes jambes se mettent à trembler lorsque me reviennent sa mort et son absence, confie-t-il. Beaucoup de choses sont finies pour moi".

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