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Nicolas, Matthieu et Sophie ne se connaissent pas. Pourtant, chacun à leur manière et dans un rayon d'une trentaine de kilomètres, ils participent à la révolution en cours du vin. Importateur, propriétaire d'un bar à vin gourmand ou vigneron, RTL info les a rencontrés, chez eux.
Comme d'autres secteurs de l'agroalimentaire, le vin est en train de faire sa lente révolution. Plus sain, bio, avec le moins d'additifs possibles, il change les règles du jeu, de la vinification et de la distribution.
RTL info a enquêté sur les nouvelles tendances qui bouleversent les codes du vin, pourtant pétris de tradition, de terroir et de culture.
Nous avons rencontré un négociant en vin 100% bio basé à Waterloo, le patron d'un bar à vin 100% naturel d'Ixelles (qui aura bientôt une boutique avec des centaines de références), et un couple qui a débuté un projet fou près de Tubize, un "Champagne" belge bio qui sera mis en bouteille dans quelques années, le temps de laisser pousser les hectares de vignes.
Du vin conventionnel au vin naturel
Vin naturel, vin bio: quelles sont les différences ?
Avant de découvrir l'histoire de nos trois témoins, expliquons la différence – importante - entre vins bios et vins naturels.
Un vin bio, à la base, est un vin dont le raisin a été cultivé de manière 'bio', c'est-à-dire sans pesticide ni engrais, pour faire simple. Mais depuis 2012, les choses ont changé. Une
La notion de vin naturel est plus complexe à définir, car elle ne repose pas spécialement sur des critères objectifs,
Nicolas importe uniquement des vins bios: "On s'est concentré sur Bordeaux"
Après une expérience dans l'horeca et "quelques restaurants sur Bruxelles", Nicolas van der Straten Waillet a décidé de se lancer dans l'importation et la distribution de vins français certifiés bio. "Je suis un grand fan de vin, et le bio me parle beaucoup", nous a-t-il expliqué dans son bureau de Forest, à Bruxelles. Comme de plus en plus de gens, il trouve "logique de faire attention à ce qu'on mange", et donc "aussi à ce qu'on boit".
Sa société,
Nicolas, aidé par Marc, son père, propose pour l'instant des références d'une trentaine de vignerons différents, pratiquement tous issus de Bordeaux. "On vise des petits domaines, des petites productions, et des vins qui ne sont pas vendus ailleurs". Le prix est également un critère: "on ne dépasse pas les 13 euros".
Nicolas et son père devant leur catalogue
Et ils ont dû rencontrer beaucoup vignerons pour faire cette sélection. "Il y en a qui surfent sur la vague du bio, et il y a des mauvais vins. Nous, on a gouté à chaque fois, pour vendre uniquement de la qualité". Les trouver, ça n'est pas spécialement simple. "Ils n'ont pas d'email, pas de site web la plupart du temps". Il a donc fallu sillonner la région.
Pour Nicolas, la tendance du vin bio se renforce d'année en année. "Il y a 10 ans, on comptait à peine 150 vignerons certifiés bio. On est désormais aux alentours des 2.000. Prenez la grande maison Palmer, à Bordeaux, des vins chers à 60€: ils sont passés complètement au bio il y a quelques années".
Sa société de négoce cible "les restaurants, les magasins bios et les sociétés qui veulent faire des cadeaux à leur clientèle". Quant au particulier, "tout se passe sur internet, j'ai développé mon propre site de commerce en ligne, et ça fonctionne déjà car on livre gratuitement à partir de 6 bouteilles (en Brabant et à Bruxelles)". De plus, en avril, une boutique ouvrira ses portes chaussée de Bruxelles, à Waterloo, "avec des vins à partir de 7 euros".
Pour Nicolas, la différence de goût entre le vin bio et le vin conventionnel est "légère", mais on remarque "plus de fruit".
Matthieu quitte la pub pour le vin naturel: "C'est une révolution"
Notre périple sur les nouveaux vins nous emmène à Ixelles, où l'on rencontre Matthieu Vellut. Il ne pouvait y avoir meilleur porte-drapeau du "naturel" que cet ancien responsable marketing de grosses multinationales, qui a changé autant que le vin qu'il adore.
Le vin naturel, "ce n'est pas une tendance", nous corrige-t-il d'emblée, presque vexé. "C'est une révolution", précise-t-il, assis au zingue de Tarzan, nouvelle adresse bruxelloise où l'on ne peut boire que des vins naturels, forcément, et où il faut se faire une place au comptoir, style bar à tapas du sud de l'Espagne.
"Je travaillais dans la pub et il y a 4 ans, j'ai tout plaqué pour importer du vin naturel". Une évidence pour cet homme qui a découvert ce nouveau style de vin, puis qui l'a fait découvrir à son entourage. "J'amenais des bouteilles chez mes amis, ou j'en ouvrais quand ils étaient chez moi. Les gens adorent ou ils détestent le vin naturel, et c'est ça qui est bien, ça fait réagir".
Matthieu s'est vite rendu compte que "c'était très difficile de trouver du vin naturel en Belgique" et que "le seul moyen, c'était d'aller sur place". Ce qu'il fait quelques fois, nouant de premiers liens avec des vignerons. "J'en ramenais beaucoup pour des amis également". C'est alors qu'il a eu l'idée de devenir importateur de vins naturels, trouvant assez rapidement une forte demande au niveau des professionnels de la région bruxelloise (bars à vins, magasins spécialisés, restaurants style 'bistronomie', etc).
Matthieu et Coralie devant leur bar
Mais le vin naturel, c'est quoi, finalement ? "C'est du raisin fermenté. Point". Si on se doit d'écrire que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, il est difficile de ne pas se laisser séduire par ces vins qui subliment le raisin, omniprésent. "Le rouge, c'est du fruit, du fruit. J'aime bien parler d'une grande buvabilité, car c'est un vin qu'on boit avec plaisir".
"C'est surtout un vin de pote, un vin qu'on partage. Je parlais avec un vigneron qui trouvait dingue que ses bouteilles soient vendus 300$ dans un restaurant à New-York, ce n'est pas du tout la démarche. Le vin naturel, c'est le plaisir, c'est bon pour la santé (sic) car c'est sain, c'est propre. Il y a peu ou pas de sulfites, ça ne donne même pas mal à la tête !"
Le naturel laisse s'exprimer la vigne, et n'essaie pas de lui donner un goût prédéfini par une région ou une appellation. D'ailleurs, les vins naturels sont généralement des 'vins de pays', ou 'vins de France'. "Ce qui importe dans le vin naturel, c'est le nom des vignerons, les AOC on s'en fout".
Il y a donc des 'stars' dans le vin naturel, des gars qui sont capables de faire des grands vins sans rien ajouter (ou très peu). "Il y a 500 ou 600 gars qui font du naturel, sur environ 40.000 vignerons en France".
Les vignobles du naturel n'ont pas d'approche commerciale traditionnelle... "Les 40 ou 50 plus connus vendent toutes leurs bouteilles avant la production. C'est parfois impossible d'en avoir, d'autant que le rendement est limité, et qu'ils ne veulent pas faire d'enchères sur les prix".
Alors la solution pour en avoir, elle est aussi atypique que le vin est naturel. "Il faut être copain, il faut les connaître, parler avec eux et... avoir bu du vin ensemble. Après, on supplie pour avoir 240 bouteilles (des plus grands noms du vin naturel, NDLR). Dans les salons, il faut les voir, c'est une bande de copains qui font la fête, ils ne sont pas tous là pour vendre!".
Heureusement, l'engouement des amateurs de vin naturel, dans le monde entier, a créé "un appel d'air incroyable, et un glissement des traditions". Il y a beaucoup de nouveaux qui essaient de se faire connaître, mais ça n'est pas évident de réussir à faire du bon vin naturel dès les premières années, car on ne peut pas le contrôler à grands coups d'additifs, quels qu'ils soient.
Tarzan est situé Rue de Washington, 59 à Ixelles. On peut y manger de bons petits trucs, car on est dans l'ancien restaurant de Coralie Rutten, qui s'est associée à Matthieu pour ouvrir ce bar à vins d'un nouveau genre. A la fin du mois d'avril, Jane va ouvrir, juste à côté. Il s'agira d'une boutique où l'on trouvera 350 références.
Sophie transforme la ferme familiale en vignoble, près de Tubize: "On voulait changer de vie"
Notre dernière étape est à Saintes, près de Tubize, dans la ferme familiale des Wautier. Sophie nous a accueillis pour nous présenter un projet déjà bien entamé: le
"J'ai grandi ici", nous a-t-elle expliqué dans la salle-à-manger de la ferme familiale, où ses parents habitent encore. Des générations d'agriculteurs se sont succédé. "On avait des vaches jusqu'en 1994, puis mon père a fait des terres, en plus de son travail dans une banque".
Un rythme de plus en plus délicat à tenir, d'autant qu'une exploitation agricole de 'petite' taille comme celle des Wautier est de plus en plus compliquée à gérer. "Il n'y a pas assez de terre, c'est trop petit pour survivre".
Les frères de Sophie n'étant pas intéressés par la reprise d'une activité agricole, c'est Sophie qui a trouvé le moyen de sauver le patrimoine familial, avec une idée atypique pour notre pays: y faire pousser des vignes.
Mais il y avait d'autres motivations. "On voulait également changer de vie, après avoir passé quelques années à l'étranger pour le travail de mon mari. Et on voulait faire un geste pour la planète à notre niveau, avec une ambition de rendre le monde un peu meilleur pour nos enfants", précise cette psychologue de formation, qui a travaillé dix ans dans un centre pour autistes.
Sophie devant ses vignes
C'est quoi, le Domaine W ? "C'est un domaine viticole: on a planté 7.000 pieds de vignes en 2016, et une haie naturelle d'arbres fruitiers en 2015, pour les protéger des vents froids. Les premières bouteilles sont attendues en 2020, et le rendement maximum en 2024, car on va exploiter au final les 5 hectares de la propriété".
Sophie, bien assistée par son mari, proposera donc du vin effervescent, un genre de 'champagne' belge comme Rufus, "mais encore plus haut-de-gamme", car on parle de vin bio avec de la bio-dynamie. "On s'attend à produire 17.000 bouteilles environ, au final". Un 'mousseux' vendu 25€.
Le prix est assez élevé, mais le temps et la quantité de travail et d'argent investis sont conséquents. "On a du étudier le type de sol avec des spécialistes, on a fait faire sur mesure des porte-greffes (pieds de vigne) en Champagne, qu'on a plantés à la main, on s'entoure d'expert champenois depuis le début".
Heureusement, le couple n'est "pas naïf", et a un business plan solide. Outre le fait d'avoir fait entrer une vingtaine d'associés dans le projet qui a la forme d'une SPRL, il y a un 'club W' très original. Les membres, qui paient (une seule fois) entre 500€ et 3.000€, recevront l'équivalent en bouteilles au fil des années. Mais surtout, ils ont accès à un lieu de rencontre sous forme d'apéros mensuels, ils participent à "la fête des vendanges" et aux ateliers organisés au fil des saisons. "On est super content du résultat et de l'engouement, on a déjà plus de 100 membres (sur 630 places ouvertes), sans avoir fait de publicité", et sans avoir produit la moindre goutte de mousseux... Les gens adhèrent donc au projet, à la démarche, à l'instar d'un crowdfunding, finalement.
Une partie de la ferme où habitera la petite famille sera transformée en lieu de vinification (cuves, etc), mais également en salon de dégustation/réunion, et en boutique pour la vente sur place.
Conclusion
Les trois histoires que nous avons rassemblées autour des nouvelles tendances dans le vin, près de chez nous, en Belgique, sont autant de témoignage d'une nouvelle manière de consommer. Petit-à-petit, la prise de conscience se généralise: il faut changer ses habitudes, acheter autrement, manger autrement... et boire autrement.
"Le goût des gens a changé. Ils ne cherchent plus les gros plats en sauce des grandes surfaces. Ils cherchent la vérité", nous a expliqué Matthieu Vellut, qui promeut le vin naturel à travers un négoce, un bar à vin et bientôt une boutique. "Il n'y a pas de raison d'ajuster le vin chaque année pour qu'il goute la même chose, c'est l'effet 'millésime' et ça, le vin naturel, il s'en fout. Finalement, c'est une façon normale de faire du vin".
Nicolas van der Straten Waillet, lui, se concentre sur l'importation de vin bio de la région de Bordeaux, qu'il revend à des professionnels mais également au grand public, via un site web. Un raisin propre et une vinification un peu plus contrôlée au niveau de l'ajout de produits chimiques.
Mais selon Matthieu Vellut, "le vin bio n'a jamais fonctionné, or il existe depuis 20 ans... Il est dépassé par le vin naturel". Et ce ne serait pas qu'un effet de mode. "C'est d'abord le goût qui compte, et puis la démarche". D'ailleurs, le vin naturel serait à maturité. "Il y a une meilleure maîtrise: les clichés, sur son goût de réduction omniprésent par exemple, sont partis".
Et si la solution finale, c'était celle de Sophie, notre future vigneronne de la région de Tubize ? Avec son mari, elle convertit actuellement la ferme familiale en vignoble. Ils gèrent tout, de A à Z, de la préparation du sol à la plantation des pieds de vigne soigneusement sélectionnés, des futures vendanges avec les membres du club W à la vinification avec des experts champenois pour des bulles 100% (brabant) wallonnes, 100% bio.