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Eva, victime de violences conjugales, obligée de laisser ses enfants à son ex-mari condamné: "C'est comme si je les confiais à la mort"

Eva, maman de deux enfants, a été victime de violences conjugales. Un premier jugement a été rendu, condamnant à 30 mois de prison l'ex-mari d'Eva pour coups et blessures sur elle et ses enfants. Malgré cette décision de justice, un autre jugement, rendu par le tribunal de la famille récemment, oblige Eva à laisser ses enfants un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires au papa malgré le contexte de violence avéré. Comment l'expliquer? Que peut faire Eva?

"Je devrais être protégée et je suis exposée à un monstre". Eva, 36 ans et maman de deux enfants, nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer ce qu'elle considère comme une injustice. Victime de violence conjugale, Eva a réussi à se libérer de l'emprise de son ex-mari il y a 1 an. Un jugement a été rendu, condamnant à 30 mois de prison son ex-conjoint pour coups et blessures sur elle, mais aussi sur ses enfants. Jugement que nous avons pu consulter. 

A l'issue d'une nouvelle audience devant le juge de la famille, un autre jugement a été rendu, obligeant Eva à déposer ses enfants chez leur père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, et ce malgré le contexte de violence avéré. "C'est comme si je confiais mes enfants à la mort... Les enfants sont clairement en danger chez lui, c'est prouvé! C'est incompréhensible, je me sens démunie, dévastée... J'ai l’impression qu’on joue avec moi, ma santé, et surtout la vie de mes enfants", nous dit-elle. 

Ce que dénonce Eva c'est cette deuxième décision de justice. En tant que victime de violences, elle ne se sent pas représentée ni soutenue par la justice. 

Les chiffres glaçants des violences conjugales

En Belgique, il n'existe pas de statistiques officielles relatives aux violences conjugales car les données des services d'aide aux victimes ne sont pas collectées et uniformisées. Il est donc difficile de chiffrer combien de femmes en sont victimes. Cependant, on sait que les violences conjugales touchent toutes les classes sociales, quels que soient l'âge, et qu'elles sont universelles. Il s'agit de l’infraction aux droits humains la plus répandue, d'après un dossier de Sofélia (Fédération militante des Centres de planning familial solidaire) sur le sujet.

1 femme sur 5 serait victime de violence conjugale dans notre pays, d'après la même source, qui se base sur des statistiques de police ou d'intervenants médicaux. Bien que plusieurs actes de violences conjugales ne sont pas dénoncés par les victimes, on compte chaque année plus de 45.000 plaintes. Sur 6 plaintes enregistrées, 5 sont déposées par des femmes. Dans plus de 40% des cas de violence conjugale, il existe au moins un enfant victime.

Mais ces chiffres doivent être interprétés avec prudence car ils comportent de nombreux biais, notamment parce que toutes les victimes ne portent pas plainte ou ne se font pas aider, et ne font donc pas partie des statistiques. Il s'agit donc seulement de la partie émergée de l'iceberg. 

Les violences conjugales, un cycle de violence et une emprise 

Eva fait la rencontre de son ex-conjoint en 2016. Elle est d'origine française, vit seule à Bruxelles et n'a plus aucune famille sur laquelle se reposer à ce moment-là. Lui est d'origine arménienne et ne dispose pas à l'époque d'un titre de séjour valable. Le couple décide alors de s'envoler pour l'Arménie où il décide de se marier afin de pouvoir revenir à Bruxelles en règle, courant 2017. C'est en Arménie qu'Eva reçoit les premiers coups, nous explique-t-elle. Un cycle de violences qui n'a fait qu'empirer par la suite. 

En 2018, Eva donne naissance à une petite fille. Puis en 2020, à un petit garçon. Et alors qu'Eva est enceinte de 5 mois, son ex-mari est convoqué devant le juge et sera condamné à 30 mois de prison pour harcèlement, coups et blessures sur femme et enfants. A ce moment-là, ils sont toujours mariés mais ne vivent plus ensemble. Mais, cela n'empêche pas son ex-mari de continuer à exercer son emprise sur elle, nous raconte Eva.

S'ensuit un nombre incalculable de violences, physiques et psychologiques, allant jusqu'aux menaces de mort: "Il m'a dit: 'Je vais te faire égorger, te mettre un bidon d’essence sur toi, je vais faire passer ça pour un suicide', etc. C’est vraiment horrible et il n’y a même pas de mesure d’éloignement! Et pourtant tout ça a été écrit, les juges l’ont vu", dénonce cette maman.  

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Alors en 2022, après plusieurs années d'emprise, de séparation et de réconciliation, elle lance une instance de divorce. Parallèlement, une autre procédure est lancée devant le tribunal de la famille concernant la garde des enfants. Le deuxième jugement, qui oblige Eva a déposer ses enfants chez son ex-conjoint, est issu de cette audience, et a été rendu en novembre 2023. "Je suis obligée de donner mes enfants à ce monstre! Je suis choquée de cette situation", s'insurge Eva, qui ne comprend pas la décision de justice.

Une peur constante et un sentiment de ne pas être écoutée 

Aujoud'hui, et à cause de tout ça, Eva vit dans un climat de peur constant, nous raconte-t-elle: "J’ai peur à cause du père qui est violent, menaçant et qui fait tout pour nous détruire. Je trouve que ce n’est pas normal de donner des enfants à quelqu’un qui les frappe, qui ne les amène pas à l’école, qui les laisse sans surveillance... D’un côté on a un jugement de condamnation qui prouve qu’il doit aller en prison pour coups et blessures sur moi et les enfants, et d’un autre on me demande de lui apporter les enfants, c'est incompréhensible!". 

Pour chaque fait commis par son ex-conjoint, il existe des preuves, nous assure Eva, qui sont d'ailleurs reprises dans le dossier monté par son avocat. "Il y a des preuves, des photos... Il y a aussi des PV qui prouvent qu'il roule en voiture sans siège auto, mais aussi que la petite, quand elle dort là-bas, elle est obligée de dormir avec quelqu'un... Elle est traumatisée"

Une décision de justice "incompréhensible"

Ce qu'Eva ne comprend pas, c'est la dernière décision de justice. Car elle ne demandait pas que ses enfants ne voient plus du tout leur père, mais que ces visites soient encadrées: "Je demande un compromis assez raisonnable: que monsieur voit ses enfants dans un centre médiatisé. Mais quand je le propose, on me rigole au nez", déplore-t-elle aujourd'hui démunie.

"J’ai peur qu’il kidnappe mes enfants dans son pays d’origine ou d'un accident mortel parce qu’à chaque fois que je récupère mes enfants… la dernière fois c’était les dents rentrées dans les gencives, une fois le petit a eu des points de suture, des bleus, etc. C’est horrible, on dirait que la justice attend qu’il y ait un accident grave qui se produise alors qu’il y a déjà une grande négligence. Le peu de fois où il a vu ses enfants ça a été une catastrophe", pointe Eva. 

La convention d'Istanbul, qui protège les femmes contre toutes formes de violence, pas toujours respectée en Belgique? 

Alors comment un juge de la famille prend ces décisions? Pour tenter de comprendre, nous avons parlé avec une avocate spécialisée en droit de la famille. Pour Me Sandrine Nakad, "les tribunaux ne prennent pas toujours compte de l'impact des violences intrafamiliales malgré les données scientifiques en la matière". Elle nous explique que chaque dossier fait l'objet d'un débat, et que c'est vraiment du cas par cas. La décision finale dépend donc beaucoup du juge qui siège au moment de l'audience.

L'avocate ajoute: "A mon sens, la convention d'Istanbul n'est pas toujours prise en considération". Pour rappel, la convention d’Istanbul est un traité international dont le but est "de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique". Le texte reconnaît également que les violences contre les femmes sont structurellement des violences de genre. Un texte dont la Belgique est signataire depuis 2012.

En 2019, un rapport de la coalition "Ensemble contre les violences" dont Amnesty International fait partie ainsi que d'autres asbl du secteur, pointait justement ce problème. On peut notamment lire: "Les organisations de terrain constatent à travers leur pratique que, malgré la ratification de la Convention d’Istanbul en 2016, la Belgique ne respecte pas de manière optimale ses obligations en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et ne semble pas dégager l’ensemble des mesures nécessaires pour y parvenir". 

Le rapport ajoute ensuite un point concernant le droit de garde des enfants: "La législation consacrée aux violences faites aux femmes est éparse, peu lisible et pas toujours mise en oeuvre. Les procédures judiciaires sont longues, coûteuses et souvent inabouties et la politique de classement sans suite reste élevée. L’attribution des droits de garde et de visite des enfants ne tient pas toujours compte des contextes de violences conjugales et contribuent à perpétuer les violences en maintenant le lien avec l’agresseur. La protection et la sécurité proposées aux femmes victimes et à leurs enfants sont insuffisantes"

Depuis 2019, force est de constater qu'il n'y a pas eu beaucoup de changement, malgré les signaux d'alarme des différentes associations du secteur. 

Si vous êtes victime de violence conjugale, de nombreuses associations peuvent vous aider 

En cliquant sur ce lien, vous retrouverez une série d’adresses et de numéros de téléphone vous redirigeant vers des associations et des services en mesure de vous aider, de vous soutenir dans vos démarches, de vous informer et de vous écouter. Parmi ces types d’aide, vous retrouvez :

  • Une aide généraliste: Les Centres de Planning Familial (CPF), les Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS), les Services de Santé Mentale (SSM), les CPAS, les maisons médicales, les Centres de Service Social (CSS), Soralia, etc.
  • Une aide juridique: Les maisons de justice, les Services d’Aide aux Victimes (SAV), les bureaux d’aide juridique, des services spécialisés en droit des étrangers, etc.
  • Un refuge, une maison d’accueil: Quels que soient vos revenus et le type de violences, ces services sont ouverts à toutes et à tous et offrent souvent bien plus qu’un hébergement. Ils peuvent vous proposer une aide sociale, psychologique, juridique… Certaines adresses sont tenues secrètes. Certains refuges n’accueillent que des femmes (avec ou sans enfants), d’autres sont ouverts à un public plus large. Les places sont limitées. 

Parler à un professionnel n’engage à rien, il vous écoutera sans jugement. N’hésitez donc pas à passer la porte d’un organisme repris sur le lien ci-dessus. Si se rendre dans une de ces associations est trop difficile, il existe des lignes d'écoute gratuites comme "Ecoute Violences Conjugales" au 0800 300 30. Ne restez pas seule!

 

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