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Karen Northshield fait partie des victimes des attentats de Bruxelles. Le 22 mars 2016, elle se trouvait dans le hall de départ de l'aéroport, où elle était censée prendre un avion pour s'envoler vers les Etats-Unis. Son livre s'intitule "Dans le souffle de la bombe"… Un moment dont elle se souvient parfaitement.
"Quand je me suis réveillée aux soins intensifs, il y avait cette scène du 22 mars qui se jouait sans cesse dans ma tête. Et en fait, c'était cette déflagration que je ressentais en continu sur mon corps. C'est comme si mon mental essayait de donner un sens à cette explosion, à ce changement radical de vie. Ça a été longtemps comme ça en fait. Je me souvenais très bien de ce qui s'était passé ce jour-là jusqu'à ce qu'on m'emporte dans l'ambulance."
De toutes les victimes de ces attentats, Karen est celle qui est restée le plus longtemps à l'hôpital. Pendant trois ans et demi, elle subit une cinquantaine d'opérations. Mais le suivi médical, "continu et poussé", n'est pas encore terminé. "Je suis une victime polytraumatisée, donc avec plusieurs traumas. Des traumas qui sont pour la plupart invisibles et même irréversibles. En passant de la tête, donc perte auditive, acouphènes, perte d'organes… C'est vraiment tout mon corps qui a été parsemé de blessures de guerre et de cicatrices. Il y a donc aujourd'hui tout ce suivi médical qui est toujours en cours. Il y a la kiné quotidienne, il y a un suivi d'ordre psychologique en plus du suivi médical continu."
"Une fois que j'ai quitté l'hôpital, il y a eu une deuxième explosion"
Quitter l'hôpital, même si c'était ce dont elle rêvait, n'a pas été facile pour elle. "La fin de mon hospitalisation s'annonçait et il aurait dû y avoir un retour à la maison et une reprise de la vie. Mais une fois que j'ai quitté l'hôpital, il y a eu une deuxième explosion. C'était une bombe à retardement d'ordre psychologique. Ce qu'on appelle aussi le syndrome post-traumatique. Je suis rentrée chez moi et j'ai dû faire face à ce syndrome que je devais gérer du confinement. Ça a été une année tumultueuse." Karen a traversé la dépression. "Effectivement, ça a été à nouveau des montagnes russes, une série d'épisodes dépressifs avec des retours à l'hôpital."
Selon les médecins, la jeune femme n'était pas censée survivre à ses nombreuses blessures. "Les diagnostics étaient de zéro chance de survie et ça a été comme ça jour après jour pendant des semaines, voire des mois. Ce qui m'a sauvée, c'est clairement la condition physique et la force mentale que j'avais, et cette discipline d'athlète."
Mon frère m'a prise en photo et j'ai pleuré
Sportive, Karen est notamment professeure de yoga. Dans son livre, elle explique avoir été "obnubilée par la perfection du corps". Dans sa chambre d'hôpital, il n'y avait pas de miroir durant les premières semaines. Se voir pour la première fois a été difficile à vivre. "J'avais l'impression que je regardais une personne étrangère en fait. Ce n'était pas moi. Mon corps avait changé, mon visage avait changé. Je n'avais plus de cheveux. Je n'étais plus une femme, j'étais une victime. Je me souviens que ce jour-là mon frère m'avait prise en photo et j'ai pleuré. J'avais pris conscience avec cette image de l'ampleur de la destruction."
Devenue sourde de l'oreille gauche, Karen est malentendante de l'oreille droite. Elle n'a plus d'estomac ni de rate à cause d'une infection. Sa jambe est mutilée et sa hanche a explosé. Elle subira d'ailleurs une reconstruction de celles-ci prochainement, "et peut-être encore quelques petits pansements à gauche ou à droite".
Aujourd'hui, Karen se sent toujours abandonnée par les autorités. "Je pense très honnêtement que la Belgique n'a pas tiré de leçon du 22 mars. Si demain, il y avait à nouveau un 22 mars, on serait au même point de départ. Je crois que c'est aussi un avis partagé par d'autres victimes. Il y a eu clairement un manque d'attention et de l'abandon vis-à-vis de l'Etat de manière large."
"Si je m'attarde sur les terroristes, je ne vais pas y arriver"
Ce livre l'a aidée à se battre. "Au fil des années, les rencontres m'ont boostée. Les personnes m'ont aidée à prendre une autre perspective et de ne pas rester dans cette mentalité de souffrance. Finalement, mon vécu n'a été que de la souffrance, ça a été l'enfer. Mais c'est grâce à ces rencontres que j'ai pu prendre une autre perspective et sortir de ce regard, sortir de cette mentalité de victime."
Dans cet ouvrage, la jeune femme n'utilise jamais le mot "terrorisme". "Je ne veux pas donner de la place ou de l'attention aux terroristes. Je ne veux pas trop m'attarder là-dessus. Evidemment, le point de départ, c'est le 22 mars. Mais j'ai un besoin, en tant que survivante et battante, de souligner tout ce qu'il y a eu autour, l'attention médicale, des infirmières et aides-soignants. Pour moi, c'est ça qui nourrit ma force de battante. Si je m'attarde sur les terroristes, je ne vais pas y arriver."
En revanche, elle aborde la question du pardon. Mais pour elle, "pardonner un tel acte aussi cruel, aussi brutal, c'est impossible. Je peux pardonner à un être humain, mais je ne peux pas pardonner un tel acte".