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Les organisateurs de la contestation au Soudan ont réclamé la dissolution du Conseil militaire de transition, à la tête du pays depuis la destitution d'Omar el-Béchir, au 10e jour d'un sit-in rassemblant des milliers de manifestants.
L'Association des professionnels soudanais (SPA), fer de lance de la contestation qui secoue le pays depuis le 19 décembre, a par ailleurs dénoncé lundi une tentative de dispersion du sit-in, qui se tient depuis le 6 avril devant le quartier général de l'armée dans la capitale Khartoum.
La destitution jeudi par l'armée du président Omar el-Béchir, après 30 ans à la tête du pays, et les promesses du Conseil militaire qui a pris le pouvoir n'ont pas dissuadé les manifestants de partir.
Nommé vendredi à la tête du Conseil militaire et pressé par la rue, le général Abdel Fattah al-Buhrane avait promis d'instaurer un "gouvernement entièrement civil", sans toutefois donner de calendrier.
"Nous voulons la dissolution du Conseil militaire et son remplacement par un conseil civil qui comprenne des représentants de l'armée", a déclaré lundi à la presse Mohamed Naji, un responsable de la SPA.
Un autre leader de l'association, Ahmed Al-Rabia, a indiqué ensuite à l'AFP que si le Conseil militaire ne se dissolvait pas, la SPA ne "participerait pas à un gouvernement de transition".
Cette association a aussi réclamé le renvoi du chef du pouvoir judiciaire Abdelmajid Idris et du procureur général Omer Ahmed Mohamed.
Après des images ces derniers jours de chefs militaires saluant les manifestants, les relations entre l'armée et les contestataires --qui avaient appelé les militaires à se ranger auprès d'eux pour faire partir Béchir-- semblent s'être tendues.
La SPA a dénoncé une tentative de dispersion sans préciser l'identité de ses auteurs. Selon des témoins, plusieurs véhicules de l'armée ont encerclé le secteur du sit-in.
Des soldats ont aussi été vus en train d'enlever des barricades qui avaient été érigées par des manifestants comme mesure de protection.
- "Protéger" la "révolution" -
L'armée avait déployé dimanche une banderole sur l'un des murs de son QG, incitant les manifestants "à ne pas s'approcher", selon des témoins.
La SPA a appelé lundi les manifestants à se rassembler dans le secteur du sit-in "pour protéger" la "révolution".
Le 22 février, M. Béchir avait instauré l'état d'urgence, interdisant les rassemblements non autorisés et punissant sévèrement les violations. Des dizaines de personnes ont été tuées entre le 19 décembre et sa destitution.
Des graffitis et des peintures de personnes tuées lors des manifestations recouvrent les murs de plusieurs immeubles environnants.
A l'étranger, l'Union africaine a menacé lundi de suspendre le Soudan de l'organisation continentale si l'armée ne quittait pas le pouvoir au profit d'une "autorité politique civile" d'ici 15 jours.
L'Egypte voisine a dit de son côté suivre "de près" les développements au Soudan, réitérant son soutien à "la volonté du peuple", alors que l'Allemagne a réclamé un transfert "rapide" du pouvoir à un gouvernement civil.
Dimanche, les ambassades des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Norvège ont, dans un communiqué commun, mis en garde contre l'utilisation de la violence pour disperser les manifestations.
"Notre principale demande, pas de violence, pas de tentative de disperser le sit-in par la force", a écrit pour sa part lundi dans un tweet l'ambassadeur britannique au Soudan, Irfan Siddiq, après avoir rencontré le chef-adjoint du Conseil militaire, Mohamad Hamdan Daglo, surnommé "Himeidti".
Chef des opérations de la Force (paramilitaire) de soutien rapide, "Himeidti" est une figure controversée accusé de violations des droits humains dans la région du Darfour (ouest).
- Des manifestants libérés -
Il a lui-même affirmé lundi que les troupes soudanaises au sein de la coalition militaire conduite par l'Arabie saoudite qui combat au Yémen y "resteront jusqu'à ce que la coalition atteigne son but". Il s'agissait là de la première annonce de politique extérieure formulée par le Conseil militaire, dans la continuité par rapport à la ligne d'Omar el-Béchir.
Dimanche, le Conseil militaire a rencontré différents partis politiques et les a appelés à se mettre "d'accord sur une personnalité indépendante qui deviendrait Premier ministre et sur un gouvernement civil".
Au lendemain de sa nomination, le général Buhrane avait promis "d'éliminer les racines" du régime d'Omar el-Béchir. Le Conseil militaire compte toutefois parmi ses dix membres des piliers de ce régime et des personnalités controversées comme "Himeidti".
Beaucoup de manifestants arrêtés avant la chute de M. Béchir ont été libérés sur ordre du nouvel homme fort du Soudan qui s'était par ailleurs engagé à traduire en justice les personnes impliquées dans la mort de protestataires.
Amnesty International a appelé les militaires à remettre le président déchu, actuellement détenu par les militaires dans un lieu inconnu, à la Cour pénale internationale (CPI).
Cette cour basée à La Haye a émis des mandats d'arrêt contre M. Béchir, âgé de 75 ans, pour "crimes de guerre", crimes "contre l'humanité" et génocide au Darfour.
Le Conseil militaire a affirmé vendredi qu'il refuserait d'extrader M. Béchir.
Lundi soir, le général Jalaluddin Sheikh, membre du Conseil militaire, a indiqué que "la décision d'extrader ou non Béchir vers la CPI sera prise par un gouvernement populaire élu et non par le Conseil militaire".
Depuis 2003, 300.000 personnes ont été tuées et 2,5 millions ont été déplacées selon l'ONU dans le conflit au Darfour, où les violences ont toutefois baissé d'intensité ces dernières années.
Quatorze personnes ont été tuées samedi lors d'affrontements dans un camp pour personnes déplacées dans cette région, selon l'agence officielle soudanaise Suna, qui n'a pas donné de détails sur les circonstances des violences.