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A Los Angeles, les incendies les "plus dévastateurs" de Californie restent toujours indomptés. Après avoir dû combattre les flammes, les rescapés font désormais face à un danger supplémentaire: les pillages. Les habitants du quartier d'Altadena s'improvisent en justiciers. Le bilan est par ailleurs monté à au moins 10 morts.
Le feu continue de ravager Los Angeles, enveloppé dans une épaisse fumée âcre: les deux principaux incendies restent hors de contrôle jeudi soir dans la mégapole californienne, où des renforts militaires vont être déployés.
A l'ouest de la deuxième plus grande ville des Etats-Unis, le foyer qui dévore le quartier huppé de Pacific Palisades, aux villas de multimillionnaires et de célébrités, situé entre Malibu et Santa Monica, n'était toujours pas circonscrit jeudi dans l'après-midi. Et ce, malgré le renfort d'hélicoptères larguant de l'eau grâce à une accalmie temporaire des vents violents qui attisent les flammes.
Hollywood, antre de l'industrie du cinéma, menacée un temps par les flammes, peut, elle, respirer: l'incendie dans ses collines a été maîtrisé par les pompiers, selon les autorités locales, et l'ordre d'évacuation levé jeudi matin.
Les flammes furieuses, qui ont progressé à la vitesse de l'éclair depuis mardi, attisées dans des conditions de sécheresse extrême par des rafales qui ont soufflé jusqu'à 160 km/h, ont détruit plus de 9.000 bâtiments - maisons, commerces, écoles, etc. - et font redouter d'autres morts.
Cinq personnes ont en effet déjà perdu la vie depuis le début des incendies. L'une des victimes est un habitant d'Altadena, Victor Shaw, qui a défendu jusqu'au bout son domicile. "Il semble qu'il ait essayé de sauver la maison que ses parents avaient depuis près de 55 ans", a confié à la chaîne KTLA son ami Al Tanner, qui l'a retrouvé sans vie, tuyau d'arrosage à la main.
William Gonzales a eu "plus de chance" mais son habitation est totalement détruite. "Les flammes ont consumé tous nos rêves. Nous avons pratiquement tout perdu", souffle-t-il derrière un masque noir, devant sa maison réduite en cendres dans la ville d'Altadena, au nord de Los Angeles.
Un autre danger: les pillages
Un autre habitant, Nicholas Norman, a réussi à sauver sa maison lui-même, à coups de seaux d'eau contre des flammes de 3 mètres de haut. Mais désormais, cet habitant de la banlieue de Los Angeles lutte contre un autre danger: les pillages.
Dans son quartier ravagé par les flammes, il a croisé deux hommes vers trois heures du matin dans la nuit de mercredi à jeudi.
"Ils testaient les portes et regardaient par les fenêtres" des habitations épargnées par le feu, raconte cet habitant d'Altadena. "Les gens sont juste stupides."
Ce professeur de littérature avait été prévenu par un ami policier que des pillards avaient été arrêtés quelques heures auparavant, à quelques rues de là. Aussitôt, il a endossé le costume de justicier du quartier.
"J'ai fait le truc américain classique : je suis allé chercher mon fusil, je me suis assis dehors et j'ai allumé une lumière pour qu'ils sachent qu'il y avait des gens", raconte ce frêle quadragénaire, caché derrière son masque.
Un triste épisode, qui lui rappelle les émeutes de 1992 à Los Angeles, après la mort de l'Afro-Américain Rodney King lors d'une interpellation. A l'époque, il était à l'école primaire et avait passé la nuit avec son père devant leur porte, "pendant que les rues brûlaient et les gens tiraient partout."
Après avoir emménagé à Altadena il y a huit ans, ce père de famille n'imaginait pas revivre des heures aussi sombres.
"Ça craint"
Cette ville de 42.000 habitants a été martyrisée par les incendies des derniers jours: le "Eaton Fire" a fait cinq morts dans la zone. Et pour les rescapés qui ont échappé au pire, les pillages résonnent comme une insulte à leur dignité.
"Il y a le vol, mais c'est rendu encore pire par la lâcheté", râle Nicholas Norman.
Au moins 20 personnes ont été arrêtées pour des vols dans la région de Los Angeles depuis que les premiers feux se sont déclarés mardi, selon la police.
"Je n'ai pas sauvé cette foutue maison pour qu'un idiot vienne me voler. Il n'y a pas moyen", grogne Norman, qui avoue ne pas avoir tant d'objets de valeur, et ne ferme jamais sa voiture à clé.
Cette nuit, il sera de nouveau sur son porche, et fera quelques rondes pour surveiller les maisons épargnées par le feu dans sa rue. Pour le principe.
L'un de ses voisins, Chris, a passé la journée à barricader sa maison avec des planches de bois, pour empêcher toute intrusion.
"C'est assez triste", soupire cet architecte, qui ne souhaite pas donner son nom complet. "Nous sommes en train d'organiser la surveillance dans le quartier, tout ça parce que des crétins s'attaquent à des victimes déjà soumises à toute cette folie."
"Ça craint vraiment, je préférerais passer mon temps à aider mes voisins", lâche-t-il, en désignant les ruines de l'autre côté de la rue, où certaines arrivées de gaz brûlent encore et posent un risque de reprise d'incendie.
"Actes méprisables"
A son retour dans sa maison orangée jeudi matin, qu'il vient de passer un an à rénover, le cadenas sur son portail avait été forcé. Personne n'a réussi à rentrer, mais "c'est une preuve évidente que quelqu'un était ici au milieu de la nuit", soupire-t-il.
Dans les prochains jours, il prévoit de lui aussi prendre sa part des rondes nocturnes. Avec une arme ? "Pas de commentaire", sourit-il.
Face aux opportunistes, les autorités promettent la plus grande sévérité. "Ces actes sont méprisables, et nous les poursuivrons en leur infligeant une peine maximale", a assuré le procureur du comté de Los Angeles, Nathan Hochman.
Le shérif du comté a également promis que les forces de l'ordre seront intraitables.
Mais pour Chris et ses voisins, la bonne volonté des policiers, qu'il voit patrouiller de temps en temps, ne saurait suffire. Son simple retour chez lui, qui l'a obligé à déjouer les cordons de sécurité en douce, rappelle les limites des officiers en uniforme. "Si j'ai réussi à passer les barrages, les voleurs professionnels n'auront aucun mal à le faire aussi."
Incendie toujours indomptés
"Plus de 7.500" soldats du feu, certains venus d'autres Etats américains, mènent le combat contre ces incendies.
Le président élu Donald Trump a répandu de fausses informations sur son réseau Truth Social, en affirmant que la Californie manquait d'eau à cause des politiques environnementales démocrates qui détourneraient l'eau de pluie pour protéger un "poisson inutile".
En réalité, la plupart de l'eau utilisée par Los Angeles provient du fleuve Colorado, et est utilisée en priorité par l'industrie agricole.
Le "changement climatique est une réalité", a réaffirmé Joe Biden, qui cédera le pouvoir le 20 janvier à Donald Trump, climato-sceptique notoire.
Dans la ville du divertissement, les incendies perturbent l'industrie du cinéma: plusieurs tournages de films et séries ont été arrêtés, et le parc d'attractions Universal Studios Hollywood a été fermé. Les nominations aux Oscars ont été repoussées de deux jours, au 19 janvier.
Les vents de Santa Ana qui soufflent actuellement sont un classique des automnes et des hivers californiens. Mais ils ont atteint cette fois une intensité jamais vue depuis 2011, selon les météorologistes.
Un cauchemar pour les pompiers: la Californie sort de deux années très pluvieuses qui ont fait naître une végétation luxuriante, désormais asséchée par un hiver anormalement sec.
Les scientifiques rappellent régulièrement que le changement climatique augmente la fréquence des événements météorologiques extrêmes.