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"Juifs", "Israéliens", "Sionistes", ce sont des termes que nous entendons quotidiennement, depuis le 7 octobre. Avec l'aide de Jean-Philippe Schreiber, professeur à l'Université libre de Bruxelles, nous allons définir ces trois termes. RTL info vous donne des clés pour comprendre ces 75 ans de conflit.
C'est quoi un Juif ?
Ils sont 15,7 millions dans le monde, selon les derniers recensements. Qui sont réellement les Juifs ? "C'est complexe, parce qu'il y a plusieurs manières d'être juif", répond d'emblée Jean-Philippe Schreiber, professeur à l'ULB, où il a dirigé de 2003 à 2007 le Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL).
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D'abord, il y a la dimension religieuse : "Ils croient en Dieu et respectent en totalité ou en partie les préceptes du judaïsme", répond le professeur. Puis, il y a la dimension communautaire : "Ils sont porteurs d'une identité. Ils ne sont pas nécessairement religieux, mais ils se sentent en communion avec les autres Juifs dans le monde. Certains sont complètement laïcisés et ont un rapport avec le judaïsme assez distendu. Pour eux, je dirais que c'est un judaïsme davantage culturel".
On parle souvent "d'origines juives", qu'est-ce que cela veut dire ? "Si on dit qu'il y a eu au cours de l'histoire un peuple juif, il est originaire de ce qu'on appelle aujourd'hui, ou ce qu'on a appelé jusqu'à la création de l'Etat d'Israël, la Palestine. C'est un territoire dans lequel les Juifs vivaient jusqu'à la destruction du Second Temple dans les premiers siècles de notre ère", répond Jean-Philippe Schreiber. Exilé, le peuple juif s'est ensuite dispersé à travers le monde, au Proche-Orient, en Afrique de l'Est et du nord et en Europe. Une présence juive minoritaire, a malgré tout, toujours existé sur ce territoire.
Pour les Juifs pratiquants, la transmission se fait de la mère. "Pour les autres, c'est simplement une question de choix identitaire", affirme le spécialiste. "Il n'y a pas question de transmission biologique, c'est vraiment très variable. Je crois que dans les milieux juifs, on dit qu'il y a autant de manières d'être juif qu'il y a de Juifs".
C'est quoi un Israélien ?
C'est un citoyen de l'État d'Israël, et pas nécessairement un Juif. "Si la majorité des habitants d'Israël sont des Juifs, il y a aussi des chrétiens et des musulmans", rappelle Jean-Philippe Schreiber. Selon des recensements de 2022, 73.5% des Israéliens sont juifs, 21.1% sont arabes et 5.4% sont d'autres origines ethniques.
Beaucoup d'Israéliens sont issus de l'immigration du monde entier. "Ça a été une terre d'immigration depuis la fin du XIXᵉ siècle, lorsque le sionisme est né et qui a visé à amener les Juifs sur ce territoire pour constituer un foyer national juif. C'était une façon aussi d'offrir un refuge aux Juifs qui étaient en butte à l'antisémitisme un peu partout", explique Philippe Schreiber. Cette immigration s'est encore accentuée au cours du XXème siècle, notamment après le Shoah.
Israël a rapidement voté, après sa création, la "loi du retour". Elle permet à tout Juif et éventuellement sa famille non-juive, de s'installer en Israël. "L'Alya", est le mot hébreu qui désigne le fait, pour un Juif, d'immigrer en Israël. Plusieurs vagues ont eu lieu au fil de l'histoire, même avant la création de l'État d'Israël. Les Juifs ont immigré en Israël depuis l'Europe, depuis les États-Unis, l'Afrique du Nord, l'Éthiopie ou encore la Russie, ainsi que beaucoup d'autres pays à travers le monde. "Israël aujourd'hui, c'est un patchwork avec des gens d'origines très diverses", confirme le professeur.
C'est quoi un sioniste ?
Créé au cours du XIXème siècle et popularisé par le journaliste et écrivain austro-hongrois Theodor Herzl, le sionisme "avait pour objectif de susciter l'émigration des Juifs vers la Palestine pour y renforcer un foyer national juif", explique Jean-Philippe Schreiber. Ce mouvement a été créé en réaction à la montée de l'antisémitisme et des pogroms en Europe. Ce serait d'ailleurs à la suite de "l'affaire Dreyfus" que Herzl a lancé le congrès sioniste.
"C'est une idéologie politique qui s'est concrétisée dans la création de l'État d'Israël et reste l'idéologie dominante en Israël", complète le professeur. C'est ce qui justifie la politique israélienne du "droit au retour".
Avec le temps, la définition du sionisme a évolué. "La diaspora ne s'est pas éteinte, de très nombreux Juifs, et même une majorité, sont restés vivre ailleurs dans le monde sans venir en Israël", précise Jean-Philippe Schreiber. "Le sionisme, en tant qu'idéologie visant à installer les Juifs en Israël, est un peu en perte de vitesse". Mais le sionisme perdure : "L'immense majorité des Juifs dans le monde entretient un rapport très fort avec Israël. Ils soutiennent l'existence de l'Etat d'Israël et le soutiennent quelquefois financièrement ou par d'autres moyens", clarifie-t-il.
En Israël, c'est aussi sous couvert de sionisme, que certains Juifs tentent de renforcer la présence israélienne en Cisjordanie, avec les colonies : "C'est une forme exacerbée de sionisme qui ne se contente pas des territoires qui ont formé Israël jusqu'en 1967, mais qui considère qu'Israël doit s'étendre jusqu'au Jourdain. Ils revendiquent une occupation qui correspond aux territoires de l'époque biblique".
Selon le professeur, les Juifs qui sont opposés au sionisme sont assez marginaux. Certains Juifs orthodoxes en font partie : "Pour eux, la renaissance d'un état juif dans cette région ne pouvait venir que du messie", justifie-t-il. D'autres Juifs antisionistes ne sont pas religieux : "Il y a d'autres Juifs, souvent situés très à gauche, qui considèrent que le nationalisme juif qui s'est incarné dans le sionisme, ne correspondait pas à leur orientation politique".
Les antisionistes sont nombreux. Le terme est d'ailleurs souvent associé par de nombreuses personnes à l'antisémitisme. Pourquoi ? "Il y a des gens de par le monde qui considèrent que la création d'Israël est une forme de le colonialisme, et donc il récuse même l'existence de l'Etat d'Israël. Dans le monde juif, d'aucuns considèrent, à juste titre ou pas, que récuser l'existence même d'un État d'Israël, serait une forme d'antisémitisme, puisque ce serait dénier aux Juifs de pouvoir exister sur le territoire de leurs ancêtres", répond Jean-Philippe Schreiber.
Ainsi, les trois termes ne sont pas synonymes. Certains sont tout à la fois, alors que d'autres, ne se reconnaissent que dans certains d'entre eux.