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"C'est comme si c'était hier": 80 ans après, un vétéran américain raconte le Débarquement

Des soldats allemands tirant sur son embarcation, le bruit des balles sur la coque du bateau, du sang, des pleurs.

Quatre-vingts ans après avoir foulé le sable de Normandie le 6 juin 1944 à l'âge de 19 ans, Richard Rung se souvient avec précision de la journée qui a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale et de sa vie.

Du débarquement des Alliés, l'ancien marin, âgé de 99 ans, garde des souvenirs vifs et détaillés.

"Le jour du débarquement n'est jamais très loin, vous savez (...) parfois, c'est comme si c'était hier", raconte-t-il à l'AFP depuis une banlieue de Chicago, aux Etats-Unis, où il vit avec Dorothy, son épouse depuis 75 ans.

"Ce genre d'expérience, elles vous rattrapent", confie ce moustachu, qui a revêtu pour l'occasion sa veste bleu marine arborant l'emblème de l'US Navy.

- Tirs nourris -

L'histoire de Richard Rung avec la Normandie commence en 1943, au moment où il est appelé sous les drapeaux.

Le jeune Américain choisit la Marine sur les conseils de son père qui lui assure: "Au moins tu seras en mer, et tu auras quelque chose à manger".

Il rêve de servir sur un destroyer mais il est affecté, en raison de ses connaissances mécaniques, à l'entretien du moteur d'une barge de débarquement. C'est ce qui le conduira en France.

Après un entraînement aux Etats-Unis, le jeune homme rejoint Londres, bombardée par les Allemands.

"Toutes les nuits, il y avait des raids", se souvient-il.

Le 6 juin 1944, il débarque sur la plage normande d'Omaha Beach.

"Nous avons abaissé la rampe à 7H30... et ils ont ouvert le feu sur nous", se remémore-t-il encore.

Avec son équipage, Richard Rung fait partie de la deuxième vague d'assaut organisée le "D-Day".

Ce jour-là, 156.000 soldats américains, britanniques et canadiens, pour l'essentiel, foulent le sol de Normandie. Plus de 10.000 d'entre eux sont tués ou blessés.

- "Baisse toi!" -

Malgré le danger, Richard Rung essaie de voir ce qui les attend, une imprudence qui lui vaut les remontrances du pilote.

"Il a regardé vers le bas et m'a dit: +baisse toi!+", raconte-t-il, se souvenant encore du bruit des balles percutant le flanc de l'embarcation alors qu'il observait la plage.

"Les mitrailleuses étaient horribles", poursuit-il. "Jamais je ne les oublierai".

Le carnet de bord du navire, copié dans son journal, fournit un compte-rendu millimétré de l'opération.

"07H30 arrivée sur la plage. Bien gardée. Touchés par deux obus de 88mm. Un dans le coffre à tribord, un dans le poste de pilotage. Un impact d'obus de 47mm (...) Deux soldats tués, deux blessés graves. Un obus de 47mm sur l'extension de la rampe".

A 7H34, l'embarcation fait marche arrière et part à la recherche d'un meilleur site pour débarquer.

Il leur faudra plusieurs heures pour trouver un lieu adéquat.

Ce n'est qu'alors que les blessés pourront être transportés vers un navire hôpital.

- Sang et sel -

Le pont de l'embarcation "débordait de sang" mélangé à l'eau salée qui avait pénétré lors du premier abaissement de la rampe, raconte-t-il.

Sur la plage, il se souvient des corps de soldats. "Et des gars qui pleuraient".

"C'était terrible".

Le bateau transportait un bulldozer destiné aux opérations de déminage. Mais quand ce dernier "est arrivé sur la plage, il a roulé sur une mine, j'ai appris ça le lendemain matin", dit M. Rung.

Si les soldats "n'étaient pas touchés par une balle, ils pouvaient facilement marcher sur une mine", souligne-t-il.

Deux jours après le Débarquement, le jeune homme fait une découverte macabre: "une grande pile de bras et de jambes", décrit-il, confiant s'être interrogé sur la façon d'identifier ces morts dans de telles conditions.

- Témoignage -

Après plus de deux mois en Normandie, Richard Rung est envoyé sur l'île de Leyte dans les Philippines, théâtre d'affrontements entre les troupes alliées et japonaises. C'est là qu'il apprend la reddition du Japon, le 2 septembre 1945.

"Personne ne peut imaginer le sentiment qui nous a traversé quand nous avons vu et su que la guerre était finie, et que ce pour quoi nous avions combattu si longtemps et si durement était enfin arrivé", écrit-il alors dans son journal.

Après sa démobilisation en 1946, M. Rung part étudier à l'université. Il deviendra ensuite professeur d'histoire et de sciences politiques.

Dans un premier temps, il n'a pas trop parlé de ce qu'il a vécu au front, pensant que c'est mieux ainsi. Mais "c'était une erreur", confie-t-il. "Un homme qui dit +je ne veux pas en parler+ a en fait besoin d'en parler".

Aujourd'hui encore, le nonagénaire continue de raconter son histoire à des jeunes. Il les exhorte "à travailler à la paix, et pas à la guerre".

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