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A Moscou, le procès d'une pédiatre révélateur de la répression

"Elle déteste la Russie": dans un tribunal de Moscou, la pédiatre Nadejda Bouïanova était jugée jeudi, comme de nombreuses autres personnes avant elle, pour avoir critiqué l'assaut contre l'Ukraine. Cette femme de 68 ans encourt jusqu'à dix ans de prison.

Ce procès est révélateur de la répression qui bat son plein en Russie depuis plus de deux ans et qui a envoyé des milliers de Russes devant les tribunaux pour des paroles critiques ou des messages sur les réseaux sociaux.

Nadejda Bouïanova, née dans la ville ukrainienne de Lviv et habitant en Russie depuis près de 30 ans, est accusée d'avoir critiqué l'offensive contre l'Ukraine lors d'une conversation avec la mère d'un de ses patients.

Lors de l'audience jeudi, le tribunal a écouté la principale témoin de l'accusation: Anastassia Akinchina, 34 ans, très apprêtée, a accusé la pédiatre de lui avoir "parlé d'un ton moqueur".

"Elle m'a dit que mon (ex) mari (disparu en Ukraine - ndlr) était une cible légitime pour l'Ukraine, que la Russie était un pays agresseur et attaquait les civils ukrainiens", a lancé devant la cour Mme Akinchina en pleurant.

"Tout s'explique. Voilà pourquoi elle déteste la Russie et les combattants russes. Elle est de Lviv!" a-t-elle clamé en accusant la pédiatre de son fils.

Après avoir été dénoncée en janvier, Mme Bouïanova a été licenciée de son hôpital, puis arrêtée le 2 février et inculpée pour "diffusion de fausses informations" sur l'armée russe motivée par la "haine ethnique".

Les débats tournent aussi autour de la question de savoir si le fils de Mme Akinchina, âgé de sept ans, était présent pendant leur conversation fatidique.

Si la défense prouve qu'il n'y était pas présent, l'accusation en principe devrait être levée. Car la justice russe ne prévoit des punitions qu'en cas de diffusion de fausses informations sur l'armée "en public".

"Je suis innocente. Il s'agit d'un malentendu. Je ne suis qu'une simple médecin, tout cela est très dur pour moi", a plaidé la pédiatre devant journalistes avant le début de l'audience.

- "De plus en plus de prisonniers politiques" -

Une vingtaine de personnes sont venues jeudi soutenir Nadejda Bouïanova au tribunal. Parmi eux, des médecins et les parents de l'opposant russe Ilia Iachine, qui purge une peine de huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé les crimes russes en Ukraine.

"Il y a de plus en plus de prisonniers politiques, chaque jour. Nous devrions nous soutenir les uns les autres", a déclaré à l'AFP Tatiana Iachina, la mère de l'opposant.

Pour elle, Nadejda Bouïanova est une médecin qui "remplissait son devoir professionnel de façon honnête, continuait de soigner les enfants, même si elle était déjà à la retraite".

"J'ai l'impression qu'elle est considérée comme coupable uniquement parce qu'elle est née à Lviv", ajoute Mme Iachina. Lviv est une ville de l'Ouest de l'Ukraine où les sentiments hostiles à la Russie sont particulièrement vivaces.

Les collègues de la pédiatre ont lancé une pétition en ligne pour la soutenir qui a recueilli à ce jour plus de 6.000 signataires.

"Je suis venue de Saint-Pétersbourg (nord-ouest de Russie) pour soutenir Nadejda Bouïanova. Son histoire m'a choquée", a confié à l'AFP Vera Rebrova, 49 ans, médecin ambulancière.

"C'est notre devoir de soutenir une personne dans une situation aussi difficile. Nous, la communauté médicale, avons signé une lettre ouverte pour défendre Nadejda", affirme pour sa part Olga Zalesskaïa, médecin hygiéniste de 42 ans.

Selon l'ONG Memorial, co-lauréate du prix Nobel de la Paix et considérée comme "agent de l'étranger" par le pouvoir russe, 730 prisonniers politiques sont derrière les barreaux en Russie.

Près de 1.000 personnes ont été arrêtées depuis le début de l'année pour des actions de protestation en public, la plupart pour dénoncer l'offensive russe en Ukraine.

La prochaine audience dans le procès de Nadejda Bouïanova est prévue le 13 juin. La pédiatre reste en détention provisoire, en attendant.

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