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"Pour la première fois de ma vie, je me sens inutile". Après avoir distribué près de 20 ans des tracts publicitaires pour l'entreprise Milee, désormais en faillite, Edwige Perret, 78 ans, a rendu son badge, sa blouse et son chariot, le cœur serré la semaine dernière.
"Symboliquement, c'est fort comme moment. Je ne suis pas la seule, j'ai vu des mecs grands et costauds qui pleuraient. J’ai vu des gens dans la plus grande détresse", raconte-t-elle à l'AFP, après être passée au dépôt de Milee à Aix-en-Provence (sud), placée en liquidation judiciaire le 9 septembre.
L’entreprise, qui employait des milliers de salariés, dont beaucoup âgés et en situation déjà précaire, avait été placée en redressement judiciaire le 30 mai.
La direction expliquait alors que le secteur de la distribution d’imprimés publicitaires, dont elle était un des leaders, était "en grande souffrance" avec des "éléments extérieurs imprévisibles" (pandémie de Covid-19, inflation…) dont l'accumulation n’est plus supportable en matière de trésorerie".
Résultat, 10.000 salariés ont été licencié cette année, dont la moitié en septembre et les salaires d’août n’ont pas été versés.
"Je n'ai aucune perspective pour la suite. J’ai 78 ans, 600 euros de retraite et je vais devoir me démerder avec ça. Je ne peux pas retrouver de boulot, en plus je suis handicapée", explique Edwige Perret, dont le côté gauche du corps est paralysé.
"Remplir le frigo": c’est ce qui l’a poussée à entrer chez Milee, Adrexo à l'époque. "En 2000, je me suis retrouvée veuve avec un fils de 11 ans à nourrir."
Françoise Broto travaillait elle aussi comme distributrice, depuis 20 ans. "On choisissait nos horaires, c’était très flexible, j’avais deux enfants en bas âge, donc ça me convenait bien et puis ça mettait du beurre dans les épinards".
- "La misère" -
Les distributeurs de tracts chez Milee pouvant effectivement choisir leurs horaires, beaucoup étaient des mères célibataires ou des retraités aux pensions modestes. Ces derniers représentaient la moitié des 10.000 distributeurs licenciés cette année, selon les estimations du syndicat majoritaire au sein de l’entreprise, la Confédération autonome du travail (CAT).
"Quand je suis arrivé il y a 14 ans, je me suis dit que c’était la cour des miracles. Il y avait beaucoup de retraités, c’était la misère", explique Daniel Vercier, 78 ans.
Ancien directeur de supermarché, lui n’a pas le "profil type" des salariés de Milee. Il raconte être devenu distributeur pour "rester actif" quand l’âge de la retraite est arrivé.
Elu syndical CAT, Daniel Vercier dénonce une mauvaise gestion et un abandon de la part des dirigeants. "C’est un énorme gâchis", lâche-t-il, convaincu que "la publicité papier n'est pas morte".
"Avant, l'ambiance était familiale, on faisait la galette des rois tous ensemble", se souvient avec nostalgie Françoise Broto, 57 ans. "Et puis tout ça a disparu et les conditions de travail se sont dégradées: le temps de distribution a été raccourci, on avait une heure pour faire 1.000 boîtes aux lettres."
Quand elle a vu le vent tourner avec le redressement judiciaire, elle a commencé à travailler pour une entreprise de nettoyage, mais elle n’a toujours pas reçu sa lettre de licenciement et ne peut donc pas être à plein temps. "En colère", elle attend toujours deux mois de salaires, soit 1.200 euros.
Pour Philippe Viroulet, un des élus syndicaux CAT, la mauvaise gestion de l’appel d'offre de l'Etat pour distribuer professions de foi électorales et bulletins de vote, que l’entreprise avait remporté en 2021, a précipité la chute. Des quartiers entiers n’ont jamais reçu ces tracts, entraînant la résiliation du marché initialement prévu pour quatre ans.
"Adrexo a embauché 20.000 intérimaires qui ne connaissaient pas le métier pour laisser les personnes formées sur la distribution de pub… ça s’est révélé être une catastrophe", regrette-t-il.
Pour cette mauvaise gestion, Philippe Viroulet, Edwige Perret et d’autres membres du syndicat majoritaire envisagent d’intenter une action en justice, pour "demander des comptes" aux actionnaires.
Plusieurs sociétés du groupe Hopps, propriétaire de Milee et fondé par les hommes d'affaires Eric Paumier et Frédéric Pons, ont été placées en redressement judiciaire ces derniers mois, dont 150euros et Dispeo dans le nord de la France.