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Les files d'attente, le calvaire quotidien des Cubains

Patienter jusqu'à huit heures debout, malgré la chaleur, sans accès à des toilettes ni à de l'eau, et avec l'angoisse de repartir les mains vides: bienvenue dans les files d'attente à Cuba, un calvaire aggravé par la pandémie.

"J'ai passé presque toute la nuit ici pour pouvoir acheter quelque chose. C'est dur, un tel sacrifice pour pouvoir manger", se lamente Edelvis Miranda, mère au foyer de 47 ans, à la sortie du magasin situé entre les rues 15 et Linea, à La Havane.

Les yeux rougis trahissent sa fatigue, car elle est arrivée dès une heure du matin pour s'assurer une bonne place dans la queue. Il est bientôt midi.

Et pourtant, "ça a valu le coup, car j'ai acheté de tout", dit-elle, "satisfaite" de repartir avec deux litres d'huile, deux paquets de poulet, de la viande hachée et de la lessive. "Maintenant, un peu de répit, et ensuite je reviendrai à la charge" dans quelques jours.

Les files d'attente, dues aux pénuries provoquées par l'embargo américain et aux inefficacités du système communiste, font partie du paysage cubain depuis des années.

Mais avec la pandémie de coronavirus, le pays a plongé dans sa pire crise économique en 30 ans, ce qui l'a forcé à réduire drastiquement ses importations.

Parallèlement, une réforme monétaire pour unifier les deux devises locales et l'ouverture de magasins en dollars ont fait exploser l'inflation (70% officiellement en 2021).

- "Pas le choix!" -

Le ministre de l'Economie Alejandro Gil l'a reconnu: "les files d'attente sont pénibles", mais elles reflètent les erreurs du gouvernement, qui n'a pas su appliquer "des thérapies de choc" au bon moment.

Vers 8h, une heure avant l'ouverture du supermarché, employés et policiers commencent à organiser la queue, qui s'étend sur un pâté de maison: l'image se répète partout dans l'île.

Certains sont venus avec des provisions, de quoi grignoter, de l'eau, du café, et même un petit banc en bois.

Quelques minutes plus tard, l'annonce que cinq types de produits différents, une abondance inhabituelle, seront mis en vente met en joie les quelque 400 personnes qui patientent. Leur bonheur est de courte durée: seuls 250 "turnos", le droit de rentrer dans le magasin, seront donnés pour la journée. La tension monte dans la file.

"Cela fait deux jours que j'essaie d'entrer. C'est vrai qu'il y a des pénuries, qu'il y a le blocus, mais c'est scandaleux", râle Rolando Lopez, retraité de 66 ans qui ne fait pas partie des 250 chanceux.

Une trentaine de résignés commencent à organiser la queue pour le jour suivant, en désignant ceux chargés de "surveiller" cette nuit que personne ne tente de les doubler.

"C'est le combat quotidien du Cubain. On n'a pas le choix!", s'agace Maria Rosabal, femme au foyer de 55 ans.

Et "même en payant en dollars, tu n'échappes pas à ce calvaire", soupire une jeune femme sous couvert d'anonymat, assise parmi 300 personnes face au supermarché Palco, le mieux achalandé de la capitale et où l'on ne peut payer désormais qu'en devise américaine, accessible uniquement sur le marché noir.

- Astuces et revente -

Pour éviter les abus, les autorités scannent la carte d'identité de chaque personne à l'entrée du magasin, afin de l'empêcher d'acheter le même produit ici ou ailleurs lors des prochains jours.

Certains produits comme le poulet, quand il est acheté en pesos cubains, sont marqués directement dans le carnet d'approvisionnement, dont chaque Cubain dispose pour accéder à une petite quantité d'aliments subventionnés.

Malgré ces contrôles, "il y a tout un business dans ces boutiques et certains profitent de la situation pour faire fortune", assure Rolando Lopez, le retraité qui n'a pas pu entrer cette fois-ci.

Placer un billet de 100 pesos (quatre dollars) dans son carnet pour que l'achat ne soit pas marqué est l'astuce la plus usée par les "coleros", ces professionnels des files d'attente qui achètent pour revendre à prix exorbitants, raconte-t-il.

Le président Miguel Diaz-Canel lui-même dénonçait récemment, devant le Parlement, des "bavures" et un "détournement des ressources".

Et même après une si longue attente, il y a toujours le risque que le produit soit épuisé quand arrive enfin son tour.

C'est le cas de Lazaro Naranjo, 77 ans, qui a patienté deux heures pour acheter du poulet et repart "avec un sac vide": "ça, ça t'anéantit", se désole-t-il.

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