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Le premier contrôleur des prisons voulait contrôler les Ehpad

Le premier contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue, voulait en 2012 étendre sa compétence aux Ehpad mais s'était heurté à une "position attentiste" du gouvernement et à "une franche hostilité" du secteur, aujourd'hui secoué par les révélations du livre-enquête "Les fossoyeurs", a-t-il affirmé à l'AFP.

Autorité indépendante créée par une loi de 2007, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s'assure du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté (prisons, locaux de garde à vue, unités pour malades difficiles...). Premier titulaire du poste, le conseiller d'Etat Jean-Marie Delarue avait déposé en mai 2012 un avant-projet de loi auprès de Matignon, afin que sa compétence soit étendue aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Une demande restée lettre morte.

QUESTION: Pour quelles raisons vouliez-vous étendre votre contrôle aux Ehpad ?

REPONSE: "Le premier point était qu'il y a dans les Ehpad des difficultés tenant au fait qu'ils sont faiblement encadrés, qu'on y trouve une population extrêmement vulnérable et que l'évolution de certaines maladies oblige les dirigeants de ces établissements à prendre des mesures de fermeture pour certains de leurs pensionnaires. Ces risques de mauvais traitements - je dis bien ces risques - étaient pour moi importants.

Le deuxième point qui me guidait était le sentiment que l'expérience du CGLPL pouvait être utile, en ce sens que c'est le seul organisme de ce pays à avoir l'habitude de visites approfondies sur place, sans aucune sujétion, sans aucun obstacle, à pouvoir tout regarder, s'entretenir avec tout le monde. Surtout, c'est un contrôle qui n'a pas de finalité administrative ni pénale. Il s'agit de prévenir les mauvais traitements, d'identifier les difficultés. J'ai pensé que nous pouvions être utiles, d'autant que la tutelle administrative est de faible poids: elle intervient sur incident et ne fait que vérifier que les règlements s'appliquent."

Q: A quels obstacles vous êtes-vous heurté ?

R: "Le gouvernement était très attentiste et se reposait sur les dirigeants de ces établissements et de leur syndicat majoritaire (le Synerpa, ndlr), qui était de franche hostilité. Comparer les Ehpad à des lieux de privation des libertés était les insulter. La vraie raison - qui peut être audible - était: +ne vous mêlez pas de nos affaires+. Nous n'avions pas à l'esprit d'intervenir dans les affaires de ces établissements ni de divulguer quelque secret commercial. Nous avions l'intention de dire ce qui n'allait pas pour que chacun en tire les conséquences. J'étais prêt à ce qu'on passe à une phase expérimentale. Mais j'ai quitté mes fonctions (en 2014) et les choses en sont restées là."

Q: Ce type de contrôle aurait-il pu changer les choses ?

R: "Je suis obligé de me fonder sur l'expérience qu'on a acquise ailleurs, dans les établissements pénitentiaires ou les hôpitaux psychiatriques par exemple. Nous avons réussi indirectement à faire bouger pas mal de choses sur l'accueil des familles, les téléphones dans les cellules, etc. Je pense que nous aurions sans doute, si le temps nous en avait été laissé, mis en lumière certaines maltraitances évidentes et peut-être aidé le secteur à évoluer, comme il le souhaite lui-même: je me souviens d'une grève massive du personnel des Ehpad pour demander plus d'effectifs, de moyens, d'encadrement.

Les organismes de prévention des mauvais traitements existent à peu près partout en Europe et un certain nombre de nos homologues sont compétents pour aller dans les établissements pour personnes âgées. On se demande pourquoi la France ne saute pas le pas. Il faudrait étoffer les équipes du contrôle mais cela ne nécessite aucune institution nouvelle et serait finalement peu coûteux."

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