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Petit et électrique, le "Streetscooter" est déjà incongru dans une Allemagne fière de ses puissantes berlines. Mais cette camionnette arbore de surcroît le logo de Deutsche Post, qui a pris de vitesse les grands constructeurs dans la livraison urbaine.
Plus de 6.000 de ces engins jaunes chargés de colis sillonnent aujourd'hui les villes allemandes, sur les 49.300 véhicules qu'utilise la Poste locale, et l'entreprise vient d'ouvrir une deuxième usine pour en produire au total 40 par jour.
Désireuse d'améliorer son bilan carbone à moindre coût, Deutsche Post a d'abord tenté de se fournir en véhicules électriques auprès des géants nationaux de l'automobile, comme Volkswagen, BMW et Daimler.
Mais leur retard sur ce créneau l'a incitée à racheter en 2014 une start-up qui développait ses propres utilitaires, au point de donner par ce projet "une grande impulsion" à la mobilité électrique en Allemagne, estime Ferdinand Dudenhöffer, analyste du Center Automotive Research.
"Cette camionnette est moins bruyante, et s'intègre mieux à son environnement", vante Miroslav Arapovic, livreur depuis plus de 20 ans, manoeuvrant son Streetscooter devant un centre de tri de colis de la Poste près de Francfort.
- Minimalisme -
Plus petit que les camions traditionnels, cet engin minimaliste a été conçu pour la livraison en ville: la batterie affiche une autonomie de quelque 80 kilomètres, ce qui réduit drastiquement les coûts de production.
Rien d'étonnant à ce que les grands constructeurs, avec leurs modèles taillés pour la route - donc la distance et la vitesse -, n'aient pu "répondre aux demandes spécifiques de la Poste", explique à l'AFP Stefan Reindl, directeur de l'Institut pour l'économie de l'automobile (Ifa).
Leurs structures de production sont assez rigides, les dissuadant de se lancer dans des projets à petite échelle, et ils ont par ailleurs tendance "à barder leurs voitures de technologie", souligne l'expert.
La Deutsche Post assure de son côté qu'elle "ne veut pas devenir un constructeur automobile", mais seulement améliorer sa desserte du "dernier kilomètre", selon Achim Kampker, patron de Streetscooter.
Derrière ce jargon se cache un enjeu clé de la mobilité urbaine, puisque l'explosion de l'e-commerce a multiplié les petits trajets des livreurs dans des villes de plus en plus congestionnées et polluées.
Contraintes d'assainir leur air, certaines municipalités allemandes - Hambourg d'abord et bientôt Stuttgart - ont banni de leurs rues les moteurs diesel les plus polluants, incitant les professionnels de la logistique à miser sur l'électrique.
- Objectif "zéro émission" -
Et le défi est loin de se limiter à l'Allemagne: à Londres, selon une étude britannique de 2017, le trafic des camionnettes légères a augmenté de 30% depuis 1993, alors que celui des voitures et taxis décline depuis le début des années 2000.
Côté pollution, les livraisons du "dernier kilomètre" concentrent les problèmes. Non seulement la flotte actuelle roule majoritairement au diesel, mais ses arrêts fréquents, sa faible vitesse et son chargement lourd dégradent le bilan en émissions toxiques, selon l'"Independent Transport Commission", d'où les multiples recommandations en faveur de l'électrique.
Or le virage vers la logistique "zéro émission" a pris de court les constructeurs historiques, ouvrant le marché des utilitaires électriques à Deutsche Post, qui commercialise son modèle à l'extérieur depuis l'été 2017 pour quelque 40.000 euros.
La startup d'Aix-la-Chapelle a annoncé fin mai la vente de 200 unités à une entreprise britannique de livraison de lait, et début juillet l'électricien Westnetz, une filiale d'Innogy, a dévoilé l'acquisition de 300 véhicules dans le cadre d'un "partenariat de développement".
StreetScooter développe aussi un nouveau modèle plus grand et puissant avec le constructeur emblématique Ford, réduit cependant à fournir des châssis.
- Le réveil des géants -
Mais cette avance pourrait ne pas durer, maintenant que Volkswagen, Daimler ou BMW, empêtrées dans les scandales à répétition sur leurs émissions de polluants, mettent les bouchées doubles pour rattraper leur retard.
En 2017, Daimler et le livreur Hermes ont par exemple annoncé un partenariat portant sur le développement de 1.500 camionnettes, livrées d'ici 2020.
Toute la question est de savoir si la mini-camionnette de la Poste peut "rester compétitive à long terme", dans un marché de la livraison urbaine désormais investi par les poids lourds du secteur, note un observateur de la branche.
M. Reindl est de son côté "certain" que les grands groupes proposeront rapidement "beaucoup" de produits pour ce marché.
"Peut-être qu'il s'agit du moment pour eux de s'adapter (...) et de réfléchir à la question de savoir si leurs produits nécessitent à chaque fois autant de complexité", ajoute-t-il.
Dans une interview en juin, le patron de Deutsche Post Frank Appel a indiqué vouloir garder StreetScooter au sein du groupe "au moins pendant les deux prochaines années", sans plus de précisions.
A terme, le groupe envisage d'introduire en Bourse sa filiale, ou de la marier avec un grand constructeur.