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Depuis la fin des trente glorieuses (grande croissance économique entre 1946 et 1975), les finances belges ne sont pas au meilleur de leur forme. Notre pays a été durant près de 200 ans une des plus grandes puissances industrielles mondiales, notamment grâce à nos aciéries alimentées par nos charbonnages. Mais depuis la mondialisation de l'économie de marché, et la numérisation de celle-ci, force est de constater que nous ne sommes plus une grande puissance économique.
Cela se reflète dans l'état de notre dette publique, car pour faire tourner un pays, les autorités doivent être capables de soutenir une économie en difficulté. Tant que ce sera le cas, l'importance de notre dette ne diminuera pas. Au grand dam de Max, qui a contacté la rédaction de RTL info car il se demande pourquoi notre pays peut s'endetter alors que les particuliers doivent être très prudents et que les banques n'aiment pas qu'ils soient en négatif sur leur compte à vue.
On a essayé de répondre aux questions de notre témoin, et on en a ajouté d'autres pour que ça soit bien clair. Pour ça, on a demandé des renforts: Jean Deboutte est le directeur de la stratégie, de la gestion du risque et des relations de l'Agence Fédérale de la Dette. Pierre Crevits est à la tête du secrétariat général et de la communication de la Banque Nationale de Belgique.
"Pourriez-vous faire un bref récapitulatif de la dette belge, car je n'y comprends plus rien?"
Quand on parle de dette publique belge, on parle de l'ensemble des dettes de toutes les entités publiques: "l'Etat fédéral, les Régions, les Provinces, les Communes, etc… Mais aussi les entreprises publiques comme par exemple Infrabel (gère le réseau des chemins de fer belges, NDLR) ou Aperta (gère les stocks stratégiques de pétrole que la Belgique doit détenir)", explique Jean Deboutte.
En 2018, cette dette s'élevait à 460 milliards d'euros, dont 389 milliards imputables uniquement à l'Etat fédéral, qui a le plus de dépenses à sa charge (notamment les soins de santé). "Notre dette en euro augmente, c'est vrai (elle était à 430 milliards en 2014, NDLR), mais pourtant on est sur le bon chemin car elle équivaut actuellement à 100% du PIB".
Effectivement, pour comparer les économies des pays, la dette publique est exprimée en rapport avec le PIB. Le Produit Intérieur Brut est une notion assez complexe qui, pour faire simple, calcule l'ensemble des richesses produites (les bénéfices des entreprises, par exemple, mais il y a d'autres données) sur le territoire d'un pays durant une certaine période. Quand on dit que notre dette publique est à 100%, ça veut dire qu'en 2018, 460 milliards d'euros de 'richesses' ont été produites en Belgique. Vous l'avez compris, on a une dette équivalant à tout l'argent généré sur une année.
"On a connu des périodes plus compliquées. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, notre dette a atteint 137% du PIB. La période était difficile: l'Etat avait beaucoup investi pour sauver des entreprises en déclin, mais elles ont tout de même fermé leurs portes, donc c'était de l'argent perdu. Il y avait au même moment une crise politique, donc difficile pour un gouvernement de bien prendre les choses en main, et on se remettait du choc pétrolier".
La situation actuelle de la dette belge "est sur la bonne voie, on est passé de 107% (2014) à 100% du PIB en quelques années, c'est déjà pas mal".
C’est l’accumulation, au fil des ans, de ces déficits budgétaires annuels qui constitue la dette publique
"Pourquoi la dette publique ne cesse-t-elle pas d'augmenter ?"
Pour répondre à cette question de Maxime, il convient de rappeler le principe de financement de notre pays (et a priori de tous les pays dans le monde).
"Chaque année, l’État perçoit des recettes et effectue des dépenses. Les recettes sont les revenus de l’État, ses entrées d’argent. Elles proviennent principalement de la taxation, par exemple les taxes sur les revenus des ménages (salaires et autres revenus), sur les entreprises, sur la consommation de biens et les services par les ménages (TVA, accises), etc. Les dépenses de l’État sont les sorties d’argent. Elles couvrent les salaires versés aux fonctionnaires, les différentes allocations sociales (pensions, chômage, etc.), les soins de santé, les investissements dans les infrastructures, et leur coût d’entretien, les intérêts sur la dette publique, etc… La différence entre les recettes et les dépenses de l’État est le solde du budget. Si le solde d’une année est négatif, c'est-à-dire si les dépenses sont plus élevées que les recettes, on parle alors de déficit des administrations publiques. Et c’est l’accumulation, au fil des ans, de ces déficits budgétaires annuels qui constitue la dette publique", nous explique Pierre Crevits, de la Banque Nationale de Belgique (BNB).
Si la dette augmente, c'est donc parce que nous traversons une situation économique délicate depuis quelques décennies. Et heureusement que la dette est possible: "l'Etat joue un rôle stabilisateur, il doit intervenir quand l'économie va mal. Par exemple, quand il y a une récession ou une crise, le chômage augmente et il faut le payer" pour ne pas mettre une partie de la population dans la précarité totale, explique Jean Deboutte, de l'Agence Fédérale de la Dette.
Il y a le déficit dont on vient de parler, mais ce n'est pas tout. "L'Etat investit également dans l'économie et prend des mesures qui plus tard, peut-être rapporteront de l'argent". Et pour investir en temps de crise, il faut à nouveau emprunter.
"Comment est-il possible qu'une Région, par exemple, puissent s'endetter tranquillement alors que des petits particuliers sont surveillés par les banques ?"
En posant cette question, Maxime oublie que les citoyens aussi s'endettent. "Les particuliers font souvent des emprunts pour acheter une maison, et ce n'est pas forcément un problème, c'est justifié", dit Jean Deboutte.
Ceci étant dit, effectivement, les autorités publiques n'ont aucun problème à contracter un crédit, et on l'a vu, des fonds d'investissements surenchérissent pour leur prêter de l'argent. Il y a une raison toute simple.
"La principale différence entre un ménage et les pouvoirs publics, c'est que l’État ne meurt jamais et qu’il peut lever des taxes. Un ménage devra prouver sa capacité à rembourser un emprunt grâce à sa capacité à générer suffisamment de revenus du travail pour assumer la charge de son crédit, c’est-à-dire tant le paiement des intérêts que le remboursement échelonné du capital. Un État en revanche doit faire la preuve de sa capacité à générer des taxes dans le futur, ce qui dépendra en grande partie des perspectives en matière de croissance économique – qui peuvent aussi être soutenue par la croissance démographique. Tant que ce sera le cas, l’État ne devra pas nécessairement rembourser les prêts obtenus dans le passé : il pourra simplement les renouveler indéfiniment et ne payer que les intérêts correspondants. C’est aussi le cas pour une Région, même si cela peut l’être dans une moindre mesure (moins de pouvoir de taxation), ce qui se reflètera par un taux d’intérêt plus élevé que pour un État. A la limite, dans un exemple hypothétique, ce ne serait pas le cas pour un État situé sur une île menacée de disparition à très court terme… Il n’obtiendrait sans doute pas de prêt", nous explique très simplement la Banque Nationale de Belgique.
Il y a aussi d’autres théories qui lient l’existence de gouvernements de coalition avec des déficits publics élevés
"Les politiciens dirigeants ne devraient-ils pas montrer l'exemple en assainissant la dette au lieu de l'augmenter?"
C'est plus ou moins ce qu'ils essaient de faire, même si on ne dirait pas. "On cherche à diminuer la dette, elle est passée de 107% du PIB à 100% du PIB, donc des efforts sont faits", dit l'Agence Fédérale de la Dette. Mais "on a encore beaucoup de travail" pour atteindre les 60% recommandés par l'Europe.
"Les recommandations pour la Belgique en matière de finances publiques incluent en effet systématiquement la nécessité d’une réduction du taux d’endettement public", confirme la Banque Nationale de Belgique.
Arrive cependant une notion difficile à comprendre: le niveau optimal d'endettement. On entre dans la sphère des théories économistes, et l'une d'elles, bien pratique pour les politiciens, dit que "tant que le rendement attendu d’une dépense est plus élevé que le taux d’intérêt, il peut être optimal d’emprunter". Exemple très concret: il est intéressant d'emprunter pour construire un pont si celui-ci permet ensuite de décupler l'activité économique d'une zone isolée, et donc d'augmenter à terme les recettes de l'Etat via les taxes perçues.
Et comme actuellement, les taux d'intérêt sont bas, "selon cette théorie il pourrait donc être optimal d’emprunter davantage – pour autant que le rendement soit suffisant".
Mais dans la pratique, les dépenses supplémentaires de l'Etat sont parfois liées "à l'augmentation du bien-être, à la culture ou à l'environnement". Des secteurs importants pour une société, mais qui ne sont pas rentables.
"En réalité, le niveau d’endettement optimal est probablement souvent dépassé, les décideurs politiques étant généralement caractérisés par un manque de discipline budgétaire et donc un biais en faveur des déficits". Pourquoi ? "Ceci peut découler d’un manque de prévoyance, tant des décideurs que de la population, mais il y a aussi d’autres théories qui lient l’existence de gouvernements de coalition avec des déficits publics élevés. C’est le cas si chaque parti de la coalition tente d’extraire des avantages pour la fraction de la population qu’il représente, sans tenir compte des effets à long terme".
Qu'est-ce que ça change d'avoir une dette à 60%, 100% ou 107% du PIB ?
Baisser le niveau de la dette est donc compliqué, or c'est important. "Tout simplement parce qu'on paie moins d'intérêt quand on est à 60% du PIB. C'est le cas de l'Allemagne ou des Pays-Bas. Quand ont était à 107%, on payait plus", précise Jean Deboutte, de l'Agence de la Dette.
C'est également une question de réputation, de cote attribuée par des grandes entreprises de consultance. La fameuse AA (celle de la Belgique) ou AAA (comme l'Allemagne). Des pays affichant une dette équivalent à 134% du PIB comme l'Italie (BBB) peuvent être considérés comme des 'mauvais payeur'. Et forcément, "moins notre réputation est bonne, plus le risque est élevé, plus les taux sont important" (voir graphique ci-dessous).
Avoir une dette située à 60% du PIB offre également beaucoup plus de souplesse. "A ce niveau, il y a une grande résistance aux chocs: si on a peu de dettes, on peut emprunter beaucoup plus" pour stabiliser le pays en cas de forte récession. Pour payer le chômage, investir dans des politiques économiques, dans la reconversion, dans la formation de métiers en pénurie, etc.
D'où l'importance de "quitter la zone dangereuse". Mais c'est mal parti: nous sommes sans gouvernement depuis quelques mois, et les prévisions budgétaires du gouvernement en affaires courantes sont mauvaises: "on annonce un déficit, ce qui signifie qu'il va falloir emprunter davantage, et donc que la dette va augmenter".
Qui peut s'endetter, et comment ?
On l'a dit au début de cet article, "les pouvoirs publics peuvent à tous les niveaux s’endetter". Mais "chaque niveau de pouvoir se doit de respecter des règles spécifiques", nous explique le service de presse de la Banque Nationale de Belgique.
Les communes, par exemple, peuvent avoir recours à l’emprunt, mais elles sont supervisées par les Régions, qui imposent des limites très claires aux possibilités d’emprunter. Ces règles, qui varient d’une Région à l’autre, épousent une philosophie similaire: "imposer aux budgets communaux d’être en équilibre, à tout le moins en moyenne sur plusieurs années".
Les Régions et les Communautés peuvent également emprunter. Malgré l’absence de hiérarchie claire entre Etat et entités fédérées, il existe des dispositions permettant au pouvoir fédéral de s’opposer à un endettement excessif des Régions et Communautés. "Mais ces dispositions n’ont jamais été utilisées", précise la BNB.
Le pouvoir fédéral peut bien entendu également s’endetter. Mais il est soumis aux règles budgétaires de l’Union européenne en la matière. "Actuellement il découle de ces règles que la Belgique doit atteindre un équilibre budgétaire structurel – c’est-à-dire un équilibre budgétaire corrigé des facteurs temporaires et conjoncturels (donc liés à la situation économique, NDLR) - qui doit lui permettre de mettre les finances publiques sur une trajectoire la rapprochant de l’objectif de taux d’endettement de 60% du PIB".
Qui prête de l'argent à la Belgique ?
Ce ne sont pas que des banques, contrairement à ce qu'on pourrait croire. "C'est un large éventail composé de fonds d'investissement publics et privés, de banques centrales et privées, de gestionnaires de fonds, d'investisseurs institutionnels, etc", explique Jean Deboutte.
Effectivement, lorsque les pouvoirs publics doivent financer un déficit, ils disposent de plusieurs options. "Ils peuvent s’adresser directement à une banque et y solliciter un emprunt. Ce sera le cas par exemple pour les pouvoirs locaux, comme les communes. Mais généralement, l’État fédéral - qui doit financer des montants nettement plus importants que les communes - préférera s’adresser directement aux marchés financiers internationaux, en émettant des obligations. Une obligation est un titre, c'est-à-dire un engagement, une promesse de l’État de rembourser un montant donné à une date définie à l’avance, et à payer des intérêts chaque année précédant le remboursement. Quand un gouvernement émet des obligations, les investisseurs enchérissent pour acheter ces titres. L’objectif est d’obtenir les meilleures conditions possibles pour l’État (les taux les plus bas) en limitant le coût des intermédiaires", explique la Banque Nationale de Belgique.
Vous l'avez compris, beaucoup d'acteurs nous prêtent de l'argent car… ça leur rapporte. "C'est un investissement sûr, car notre pays est classé AA", précise Jean Deboutte, de l'Agence Fédérale de la Dette. Donc les prêteurs ne prennent pas de risque car notre pays a la réputation de payer correctement ses dettes.
D'ailleurs, même les particuliers peuvent prêter à l'Etat et donc gagner un peu d'argent grâce aux intérêts. Pas de quoi gagner des milliards, cependant, "car les taux sont très bas actuellement". Emprunter ne coûte pas cher pour l'instant, il n'y a donc pas beaucoup d'argent à gagner en prêtant de petites sommes à la Belgique.
Quel est le coût de cette dette ?
Vous en doutiez: s'endetter à un prix. Et la dette belge nous coûte les yeux de la tête car on paie des intérêts. "Les taux sont bas actuellement, donc on paie peu d'intérêt, seulement 2% du PIB. Dans les années 1990, ces intérêts représentaient 10% du PIB".
2% de 460 milliards d'euros, ça fait tout de même 9,2 milliards d'euros, qui ont été dans la poche des créanciers en 2018. C'est moins qu'auparavant mais ça reste beaucoup d'argent.
Si ça peut vous rassurer, sachez qu'en France, les intérêts payés en 2018 représentaient environ 40 milliards d'euros.