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Olivier Corten, professeur de droit international à l'ULB, était l'invité du RTLINFO 13H. Il faisait le point sur les tensions entre l'Ukraine et la Russie.
Est-ce qu'on a atteint un point de mon retour vers un conflit, vers une guerre?
Olivier Corten: "Alors on est en guerre. Je pense qu'on est en guerre pas seulement depuis quelques heures mais depuis quand même de nombreuses années puisque la Russie occupe une partie de l'Ukraine, à savoir la Crimée, depuis 2014. C'est déjà une occupation persistante d'une partie du territoire ukrainien qui est de ce point de vue-là en guerre avec la Russie. Alors aujourd'hui, un nouveau front s'ouvre de manière directe, parce que là aussi depuis plusieurs années, la Russie soutenait les séparatistes dans l'est de l'Ukraine militairement. Donc était déjà indirectement en guerre avec l'Ukraine. Ici, c'est en effet une guerre directe. Maintenant est-ce que c'était un point de non-retour? Je ne pense pas du tout, puisque comme justement il y a déjà eu d'autres épisodes finalement assez comparables dans le passé. Ici, on a pris l'Ukraine mais il y a encore même d'autres exemples. On voit bien que ça ne met pas fin à la diplomatie, aux négociations et à la possibilité d'essayer de régler ce conflit comme d'ailleurs peut-être d'autres qui sont similaires. Mais le simple fait qu'il y ait une déclaration de reconnaissance et une soi-disant indépendance des républiques de l'est de l'Ukraine et ensuite des mouvements de troupes de soi-disant maintien de la paix qui en réalité sont des troupes qui envahissent l'Ukraine, c'est évidemment un acte très très grave et une violation totale du droit international. Ce n'est pas pour autant un point de non-retour".
La Russie dit aujourd'hui: "Nous sommes ouverts à la diplomatie après avoir opéré un coup de force. Dans quelles conditions est-ce qu'on peut rétablir un dialogue diplomatique après ce qui vient de se passer?"
Olivier Corten: "Dans le passé, on a vu quand même des guerres extrêmement violentes. On voit par exemple ici les Etats-Unis, qui à raison pour le coup, se prévalent du droit international et dénoncent la violation grave des règles du droit international. Si vous pensez à la guerre d'Irak par exemple, les Etats-Unis ont envahi l'Irak sans aucune base juridique. Cela n'a pas mis fin à la diplomatie, à la tentative de régler les conflits. On essaye toujours ensuite de reconstruire, d'éviter que ça aille encore plus loin et donc, en effet, en particulier, au sein du Conseil de sécurité qui -comme son nom l'indique- essaye toujours même lorsque les membres permanents qui ont le droit de veto en son sein comme les Etats-Unis ou la Russie sont impliqués, de prendre des mesures pour essayer de contenir, et puis à terme de résoudre les conflits".
On a entendu l'Union européenne et les Etats-Unis qui prennent des sanctions essentiellement économiques. Est-ce que c'est suffisant pour faire plier les Russes pour rétablir un peu le rapport de force avec les Russes ou pas ?
Olivier Corten: "Alors c'est difficile de le dire à l'heure actuelle. Néanmoins, on comprend quand même assez bien que les sanctions soient de ce type-là. On imagine quand même pas qu'on prenne des sanctions militaires et qu'on engage une intervention militaire pour aider l'Ukraine dans ce dossier effectivement de l'Est. Ce serait vraiment là le risque d'une escalade assez incroyable. Je dirais que de ce point de vue-là, les sanctions européennes sont effectivement appropriées. Les modalités des sanctions sont appropriées. Peut-être que, au-delà du cas qu'on vient de voir ici de l'Ukraine, il faudrait s'intéresser à d'autres cas assez similaires même parfois au sein même de l'Europe. Quand vous pensez que Chypre-nord, cette partie de la République chypriote est occupée pour l'instant par la Turquie, cela dure quand même depuis presque 50 ans donc on voit bien que, - et c'est ça la critique des Russes qui n'est pas sans pertinence - qu'il y a parfois un peu d'autres problèmes que ceux qui touchent directement la Russie et qu'on pourrait peut-être penser au-delà. Et c'est bien normal maintenant, ces sanctions et ces mesures prises dans l'urgence. Il faut avoir une vision plus large sur un certain nombre de questions territoriales qui se posent en Europe et qui impliquent parfois des Etats occupants qui ne sont pas toujours la Russie comme c'est le cas ici".