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Il y a tout juste 30 ans, 10 paracommandos belges sont faits prisonniers alors qu’ils escortent la Première ministre Rwandaise. Ils seront exécutés par des soldats dans un camp de Kigali. 30 ans plus tard, leurs proches témoignent.
Martine Debatty a passé 30 ans à honorer la mémoire de son frère Alain. "On a tellement dû se battre pour que ça devienne un devoir de mémoire, et on y est arrivé. Finalement.
30 ans de questionnements autour de l'assassinat des militaires au Rwanda et une certitude : "On aurait pu intervenir pour sauver ce qui est à sauver", affirme le Lieutenant-colonel Xavier van de Werve.
"Hier soir, stupeur, on apprenait l'exécution de dix commandos belges, des soldats en mission pour le compte de l'ONU au Rwanda", annoncions-nous dans notre journal. Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu au-dessus de Kigali par un tir de missile. L'attentat déclenche la reprise de la guerre civile et le début du génocide des Tutsis. Les Casques bleus sont déjà présents dans le pays et parmi eux, un peloton de paracommando belge.
Le colonel Xavier van de Werve les connaît bien. Il a été leur chef quelques mois plus tôt : "On était là pour maintenir la paix, mais avec des règles d'engagement extrêmement légères. On ne pouvait pas utiliser les armes, sauf en légitime défense, au coup par coup. Ça se passait relativement bien, il n'y avait pas d'alerte."
Alain, il est casque bleu, donc rien ne peut lui arriver. Attendons et voyons, mais rien ne va lui arriver.
Martine Debatty se souvient : "J'ai rassuré maman en disant 'tu sais, Alain, il est casque bleu, donc rien ne peut lui arriver. Attendons et voyons, mais rien ne va lui arriver. Il est parti en mission et il a même dit que c'était le Club Med. Donc, jamais on n'aurait pensé à une ampleur pareille", nous raconte-t-elle.
Les paracommandos belges sont mandatés pour assurer la protection de la Première ministre rwandaise, Agathe Uwilingiyimana. Elle sera assassinée après avoir tenté de fuir.
Les Belges, eux, sont pris au piège par les forces militaires rwandaises d'intervention. "Les militaires belges ont été désarmés puis emmenés dans un camp du centre-ville où ils ont été exécutés", déclarait alors la Défense, le 8 avril 1994 à Flawinne.
"Ils sont retrouvés dans un camp. Heureusement, en tout cas, une personne, peut-être deux, avait gardé un pistolet caché sur eux. Les autres ont réussi à se retrancher en prenant en otage l'un ou l'autre Rwandais prenant leur arme. Et donc là, ils ont tenu certainement deux heures", raconte Xavier van de Werve. "Et ils n'ont eu aucune chance. On les a lynchés", ajoute Martine Debatty.
La colère des familles
Comme un pèlerinage, en août 1996, les familles des victimes se rendent à Kigali, sur les traces d'un frère ou d'un fils. Les stigmates sont alors encore visibles. Les familles découvrent la carcasse d'une jeep appartenant au peloton, ou encore les murs criblés de balles du lieu où ils ont été massacrés.
Ce jour-là, c'est "de la colère" que ressent Martine Debatty, sur place. "Parce que je ne comprends pas qu'on n'ait pas pu finir les recherches"
Le jour du drame, le chef de la mission militaire de l'ONU, le général Dallaire, est passé à quelques mètres des soldats belges et n'a rien fait. "Dallaire passe devant le camp. Il en voit par terre. Il va à quelques mètres de là où il est en réunion avec les plus grands dignitaires du Rwanda. Et rien ne se passe", s'insurge encore aujourd'hui Martine.
Deux personnes de l'ONU sont passées devant pendant les massacres et ont décidé de ne pas réagir
"Ce qui est sûr, c'est que deux personnes de l'ONU sont passées devant pendant les massacres et ont décidé de ne pas réagir aux faits en se disant ça risque d'être pire", indique le Lieutenant Colonel Xavier van de Werve.
Qui sont les auteurs de ce massacre ? Malgré une commission d'enquête, des procès, des condamnations de plusieurs génocidaires... Il reste encore beaucoup de zones d'ombre."Certaines leçons ont été prises, en tout cas au niveau militaire. Mais au niveau national, au niveau de l'État, au niveau politique, les leçons n'ont pas été tirées correctement", poursuit Xavier van de Werve.
Pour Martine Debatty, il est temps de tourner la page. "Je ne veux plus vivre avec Alain. Il est parti, ça fait 30 ans maintenant, il faut avancer". Mais la sœur d'Alain se dit aussi liée indéfectiblement au destin et à la souffrance du peuple rwandais.