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Vêtus d'une combinaison bardée de capteurs et d'une casquette orange, d'étranges festivaliers se sont mêlés aux hordes dansantes du Hellfest: ces scientifiques y mènent une étude inédite sur les mouvements de foule afin de mieux prévenir accidents et bousculades mortelles.
"On est là pour essayer de comprendre les phénomènes qui se déroulent dans les foules denses et comment prévenir les dangers liés à ces foules", résume Julien Pettré, chercheur à l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) de Rennes.
Le scientifique dirige un programme européen baptisé CrowdDNA (l'ADN de la foule, littéralement), mené depuis 2020 en partenariat notamment avec des chercheurs allemands, anglais et espagnols.
Pourquoi avoir choisi le Hellfest, qui s'achève dimanche à Clisson (Loire-Atlantique) après une version exceptionnellement étendue sur deux week-ends ?
"On sait qu'il y a des danses liées à la musique écoutée où des interactions physiques vont se produire entre individus", explique le chercheur, installé avec son équipe dans un préfabriqué derrière la scène principale pendant tout le festival.
"Circle pits" (les participants courent rapidement en cercle), "walls of death" (murs de la mort, deux rangées de festivaliers séparées par un espace dégagé se foncent dessus) et autres pogos ou slams (festivaliers portés par la foule, allongés) sont devenus des rituels incontournables du festival de musiques extrêmes.
Et un terrain de jeu rêvé pour ces scientifiques.
"On est un peu comme des astronomes qui viennent observer les étoiles", souligne M. Pettré. "Mais le télescope de foule n'existe pas vraiment donc on mélange différents type de données".
Pour observer les constellations mouvantes du Hellfest, la direction du festival a accepté que l'Inria puisse récupérer les images filmées en continu par les caméras sur les miradors de la "Warzone", l'une des six scènes du festival.
-Bousculade mortelle-
De leur côté, une ou deux fois par jour, deux jeunes volontaires de la petite équipe revêtent une combinaison spéciale équipée de capteurs répartis sur tout le corps, qui enregistrent leur mouvement. La casquette permet à l'équipe de les repérer sur les vidéos.
Même si leur équipement peut passer inaperçu dans un festival réputé pour ses tenues excentriques, ils portent un t-shirt destiné à prévenir le grand public: "Hellfest et Inria collaborent ici pour étudier les foules".
Ils se mêlent ensuite à la foule du concert choisi, un ou deux par jour.
"On essaie de faire de tout", explique Thomas Chatagnon, doctorant à l'Inria âgé de 25 ans. L'un des volontaires est chargé d'aller se mêler aux "circle pits" ou autres "murs de la mort", le deuxième doit se laisser porter par le flot ou remonter la foule comme s'il voulait quitter le concert.
Le plus dangereux ? "Les moments où on perd l'équilibre", juge le jeune chercheur.
Les figures imposées, comme les "murs de la mort" ou les "circle pits", ne sont pas les plus risquées. "C'est assez contrôlé et seules les personnes qui se sentent d'y aller y vont. Les incidents arrivent quand les personnes n'ont pas décidé d'être là", dit-il.
Les informations recueillies sur le terrain seront ensuite "couplées" avec les vidéos, en vue de modéliser par informatique les mouvements des "cobayes" au milieu de la foule.
Avec un objectif aussi simple qu'ambitieux: inventer de nouveaux outils informatiques pour déceler à temps les signes avant-coureurs d'un possible accident, voire d'une bousculade catastrophique comme celle qui avait fait neuf morts et des centaines de blessés lors d'un concert de rap au festival Astroworld à Houston (Texas) en novembre 2021.
"Quand on aura détecté ces petits signes de la propagation d'un mouvement dans une foule, on pourra alerter le gestionnaire (d'un événement) qui décidera ou non d'intervenir pour disperser la foule", explique par exemple le chef du projet.
L'étude, également menée en laboratoire, dans des stades ou dans des lieux publics dans les pays partenaires, doit se poursuivre jusqu'en 2024.
En attendant, "on espère revenir au Hellfest l'an prochain!", sourit le chercheur.