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Un an après le début de l'épidémie de coronavirus et les premières hospitalisations de patients aux soins intensifs, notre journaliste Gautier Falque a passé une journée à la clinique Saint-Pierre d'Ottignies afin de recueillir les souvenirs du personnel. Il a notamment rencontré Sabine Gabriel, l'infirmière en chef de l'unité de médecine générale rapidement transformée en unité Covid. Du jour au lendemain, elle et son équipe se sont retrouvées plongées dans une tempête organisationnelle et humaine.
Revoir toute l'organisation
"Cela a été un raz-de-marée aussi bien dans nos esprits qu'au sein de l'unité, il a fallu tout remodeler. Je ne m'étais pas rendu compte de tout ce que ça allait engendrer en termes de changements dans la logistique du service. Les premiers mois ont constitué une énorme source de stress. On a eu besoin de personnel supplémentaire. Il fallait tout repenser, réétudier, on avait l'impression qu'on n'y arriverait jamais, que c'était impossible, que dès qu'on avait plus de 15 patients on était débordés alors qu'on est une unité pour 29 lits à la base et qu'on était déjà habitué à des patients réclamant de gros soins. Vraiment, on a été dépassés par les événements au-delà de la maladie et de son impact. On avait l'impression qu'on menait un combat perdu d'avance", raconte-t-elle.
Dans certains cas, accepter une autre manière de soigner
Un peu perdue les premières semaines à devoir faire des choses auxquelles elle n'était pas l'habituée, s'interrogeant sur son utilité face à des patients en fin de vie, l'équipe s'est peu à peu transformée, s'adaptant à une nouvelle façon de faire.
Si Sabine et son équipe soignaient des patients dont on savait dans 95%-99% des cas qu'ils allaient rentrer chez eux, être bien et aller en revalidation, parfois, elles se retrouvaient "dans des soins un peu proches des soins palliatifs, ce qui n'était ni notre formation ni ce qu'on recherchait à la base dans ce métier, tout en restant performant, respectueux, le moins invasif."
On a dû se dire 'Oui, on est là, on sert à quelque chose, mais on ne sert plus comme avant'
"Au début, on se disait : 'On sert à rien, on ne va rien faire'. On a vraiment dû se réapproprier notre position et nous dire : 'Oui, on est là, on sert à quelque chose. Mais on ne sert plus comme avant'. Donc, on a dû se faire accompagner, on a eu énormément de dialogue avec les médecins. J'essayais de me convaincre de notre utilité au début, je l'avoue, mais c'était nécessaire pour qu'on se rende vraiment compte qu'on est plus dans la même prise en charge. Mais cette nouvelle prise en charge existe et est tout aussi importante qu'auparavant, si pas plus."
Il n'a pas toujours été facile pour ces personnes de quitter, dans certains cas, l'objectif de guérir et passer à une mission d'accompagnement. Un sentiment d'impuissance et d'inutilité surgissait. Il a fallu lutter contre ce découragement. "On a dû apprendre qu'on ne travaillait pas pour rien. On était là pour être le lien, le support, le confort. On apportait des soins qui n'étaient pas des soins pour guérir mais pour que le patient puisse terminer ses jours dans le plus grand confort, la plus grande dignité, pour pouvoir respecter la demande de certains patients qui ne voulaient pas se battre", décrit-elle.
Au bout de quelques mois, l'équilibre a été trouvé
"Au début, il été difficile de trouver un bon équilibre psychologique. Après, ça s'est un petit peu calmé, et puis on a commencé à se rendre compte où on était et à quoi on servait. Après, ça été plus facile et la dynamique de l'équipe s'est améliorée. Les 3 ou 4 premiers mois, on était un peu perdues mais on a fini par se trouver", conclut l'infirmière en chef qui veut rester positive et garder aussi à l'esprit l'apprentissage de cette période. "Au final, ça a vraiment été une source d'apprentissage, même si la manière n'est pas celle qu'on aurait aimée, il faut aussi pouvoir ressortir ça. Et c'est ça que je veux que l'équipe garde et je pense qu'on a plutôt bien réussi. J'ai été très fière du travail de l'équipe", dit-elle.
Des patients nous interpellaient avec leurs yeux qui nous disaient 'On m'avait dit que je ne souffrirais pas et là, je souffre'
Des adieux déchirants
Au-delà des difficultés organisationnelles et de changements dans les soins, il a fallu aussi encaisser des situations humaines très dures. Notamment, celles liées à l'interdiction pour les familles de voir leurs proches. "Au début, les visites étaient interdites à 100%. Il n'y a vraiment que quelques personnes en toute fin de de vie qui ont pu voir leurs parents l'espace de 5 minutes", se rappelle Sabine Gabriel. Des rencontres d'adieux extrêmement dures, "quand le patient sait très bien pourquoi elle vient lui rendre visite et la famille sait très bien pourquoi elle vient."
"On pas eu des coups de déprime au même moment. On a réussi à se soutenir. Il y a des patients qui sont restés très longtemps et pour lesquels on y a vraiment cru, en se disant : 'Allez, ça va aller' et au final, ça n'allait pas. Il y des patients qui nous interpellaient dans leurs yeux, dans leurs mots, qui nous disaient clairement : 'On m'avait que je ne souffrirais pas et là, je souffre'", raconte encore l'infirmière en chef qui se remémore aussi des couples qui sont arrivés ensemble mais dont un membre n'a pas survécu, des couples dont un conjoint changeait d'étage et partait aux soins intensifs. "On a une fatigue émotive dont il faudra du temps pour se remettre", fait-elle remarquer.