Des démarcheurs d'une société nommée "Saveurs du terroir" parviennent à vendre des quantités invraisemblables de fruits et légumes grâce à une technique de vente aussi rodée que douteuse. Indignées par ces pratiques, deux clientes incitent à la méfiance.
Des "Saveurs du terroir" qui laissent un goût amer. Ces vendeurs de fruits et légumes aux techniques de vente contestables sévissent en Belgique depuis des années. Plusieurs acheteurs ont contacté la rédaction de RTLINFO pour dénoncer la tromperie dont ils estiment avoir été victimes. En 2016, une habitante de Waterloo nous avait raconté sa mésaventure avec ces démarcheurs en porte-à-porte. Cette fois, une femme de Vilvorde et une autre d’Etterbeek nous ont contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour dénoncer des "arnaques" semblables en tous points.
Sophie (prénom d’emprunt) et Dorine sont a priori deux femmes tout à fait raisonnables. L’une travaille dans une institution européenne, l’autre est contrôleur de gestion dans une grande entreprise. Elles ne comprennent pas comment elles ont pu se laisser berner ainsi… Un peu honteuses, elles n’en sont pas moins révoltées, et veulent mettre en garde contre ces pratiques commerciales.
Un modus operandi invariable… et efficace
Un premier homme sonne à votre porte et demande si vous voulez acheter des "fruits et légumes bio". Son véhicule est immatriculé en France. D’après l’expérience de Sophie, celui-ci porte un gilet jaune de sécurité, qui lui donne une certaine crédibilité. Croyant à des "producteurs du coin" venus vendre leur récolte dans le quartier, Sophie accepte la proposition. Dorine, qui n’a pas fait de courses depuis longtemps, manifeste également son intérêt.
Le premier interlocuteur, c’est l’éclaireur. Il quitte les lieux en annonçant l’arrivée d’un deuxième homme, nettement plus redoutable. Celui-ci se présente muni d’un simple panier de fruits et légumes. Son discours, très habile, laisse penser qu’il est un petit producteur de fruits et légumes bio et locaux. Il pratiquerait, en somme, un sympathique petit commerce de quartier. Bien entendu, les produits seraient d’une qualité exceptionnelle…
Au cours de la discussion, Dorine et Sophie finissent par comprendre que les fruits et légumes n’ont été récoltés ni dans le quartier, ni dans la région. Les pommes viendraient de Normandie, les oranges de Corse, les carottes du Mont Saint-Michel, etc. L’homme ne produit rien lui-même, et affirme qu’il est le patron d’une société à Liège. Mais qu’importe, une fois le processus lancé, il semble impossible aux clientes de ne rien acheter.
Le vendeur vous force la main sur les quantités
Sophie donne son approbation pour des oranges, des pommes, des carottes et des oignons. Alors que le vendeur présente de modestes échantillons, il évoque des quantités délirantes de fruits et légumes : 10, 15, 20 kilos… "Un peu moins ?", demande la cliente. "Ah non, c’est pas possible", rétorque le vendeur. "À la place de 10 kilos d’oranges, je vous offre 15 kilos pour le même prix", propose-t-il par exemple. "Il avait toujours une réponse pour tout", note Sophie.
Il entretient le flou sur la note finale
Quant aux prix, ils ne sont jamais clairement énoncés. "Il vous parle de prix au kilo, c’est difficile à comprendre parce que on ne les connait pas par cœur", explique Dorine. Le vendeur écrit la note finale sur un papier. "Ça s’est passé rapidement, il a fait son petit calcul, il a tapé sur la machine et j’ai fait le code", raconte-t-elle. "Il vous met un peu en confiance. Du coup vous ne faites pas attention. On n’a pas le temps de réfléchir", explique-t-elle.
Dorine savait pourtant qu’elle venait de dépenser 375 euros. "Comment j'ai pu me laisser convaincre à dépenser une telle somme !", s’étonne-t-elle encore. Sophie, elle, a payé 275 euros, mais pensait en avoir dépensé une centaine. C’est en examinant son extrait de compte qu’elle découvrira le montant réel de son achat.
"En plus il vous dit que c’est du bio et tout ça… C’est ridicule !"
L’affaire conclue, le vendeur quitte les lieux et annonce la venue d’un troisième homme. "À l'instant où le type est parti je me suis rendu compte de ma sottise mais... trop tard", confie Dorine. Un jeune livreur amène la marchandise dans une camionnette blanche, immatriculée en France. "Il est arrivé avec des quantités gigantesques", raconte-t-elle. "Quand j’ai commencé à voir les caisses qui arrivaient chez moi, j’ai eu l’impression que je m’étais fait avoir", confie Sophie. Effarée par les quantités, Dorine tente de résister : "Je ne suis pas sûre de pouvoir prendre ça", lâche-t-elle. "Mais vous avez payé par Bancontact, moi je ne peux pas vous rembourser", lui réplique-t-on.
"On se trouve con, mais vraiment très con. Je me suis fait complètement avoir", se lamente Dorine. "En plus il vous dit que c’est du bio et tout ça… C’est ridicule !", lance-t-elle. L’argument du "bio" avancé par le vendeur lui a inspiré une certaine confiance sur le moment, admet-elle. "Mon idée de départ, c’est que c’était des petits producteurs de la région. J’ai eu l’impression de m’être fait rouler dans la farine", confie également Sophie.
Impossible pour ces deux clientes de consommer tous leurs fruits et légumes
"Les oranges, j’ai déjà jeté la moitié à la poubelle. Les pommes, on est en train de les consommer le plus vite possible", raconte Sophie. Dorine tente de revendre ses produits à son entourage. "Pas tellement pour rentrer dans mes frais mais juste pour ne pas que ça se gâche", explique-t-elle.
Le vendeur a raconté à Sophie que si les pommes pourrissaient, ils reviendraient pour reprendre la marchandise et la remplacer. "Après je me suis dit ‘c’est quoi cette bêtise ?", confie-t-elle. Sur la facture, il y a un bien un numéro de téléphone, que nous avons composé plusieurs fois. C’est toujours le même message, laconique, et qui ne dit surtout rien de l’identité des vendeurs : "Fruits et légumes, bonjour"...
Ces vendeurs peu scrupuleux exercent leur activité depuis des années
Le nom de la société Primouest apparaît sur les tickets du Bancontact des transactions de Sophie et Dorine. Le site d'internet de la banque-carrefour des entreprises de Belgique indique que "Primouest Ltd" est le gérant des "Saveurs du terroir", commerce ambulant. Une recherche internet sur ces noms mène à une flopée d’articles sur des arnaques similaires : à Bruxelles en 2012, à Verviers en 2014, à Mont-Saint-Guibert en 2017… Toujours trois personnes et une camionnette blanche.
Le nom de Primouest semble avoir été choisi pour créer la confusion. En effet, une entreprise française de fruits et légumes exotiques, basée à Rungis, s’appelle ainsi. Depuis 4 ans, ce grossiste reçoit des appels de Belges qui lui racontent comment ils se sont fait arnaquer. L’affaire le fait sourire : "Les gens sont un petit peu crédules aussi", remarque-t-il. Le chef d’entreprise a tout de même pris quelques précautions. Il a déposé une main courante, c’est-à-dire qu’il a signalé les faits à la police française, sans déposer plainte. En outre, il a ajouté un message de mise en garde sur son site internet : "Attention aux fraudes, nous vendons seulement aux professionnels".
Que faire si vous avez été arnaqué de cette manière ?
Lorsqu’un contrat est conclu au domicile de l’acheteur, le consommateur est protégé par un droit de rétractation. Au regard de la loi, tout achat est considéré comme un contrat de vente. Le consommateur dispose de 14 jours pour renoncer à son achat s’il a été effectué lors d’une vente en porte à porte. Mais cette protection ne s’applique pas "aux ventes de denrées alimentaires, boissons et autres biens ménagers de consommation courante, livrés lors de tournées fréquentes et régulières au domicile, lieu de résidence ou de travail du consommateur". Les ventes de biens périssables sont considérées comme fermes et définitives.
Théoriquement, dans le cas de Sophie et Dorine, un juge de paix pourrait ordonner le remboursement des sommes payées s’il considère que le vendeur s’est rendu coupable de pratiques commerciales déloyales. "Le problème c’est qu’il faut aller en justice pour obtenir ce remboursement", souligne France Kowalsky, Team Coordinator chez Test-Achats. Pour cela, il faudrait d’abord identifier le vendeur. Et puis, "qui va engager une telle procédure pour 400 € ?", interroge-t-elle. "Si juridiquement, le consommateur a des droits à faire valoir dans ce genre de situation, en pratique, il ne peut pas faire grand-chose", conclut la responsable de Test-Achats.
Les victimes de cette arnaque peuvent se tourner vers l’inspection économique, via son point de contact. "Cela servira uniquement à signaler l’arnaque, pas à récupérer son argent", souligne France Kowalsky.
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