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Depuis le 18 mars et le début du confinement mis en place pour limiter l'épidémie de coronavirus en Belgique, les entreprises sont tenues d'organiser le télétravail dans la mesure du possible. Néanmoins, dans certains secteurs essentiels, les employés sont contraints de se rendre sur leur lieu de travail et de multiplier les contacts sociaux. Parmi eux, il y a évidemment le personnel soignant, auquel des hommages sont rendus régulièrement. Mais d'autres professions, également en première ligne, sont moins visibles. Par exemple, les caissiers, les ouvriers qui remplissent les magasins, les agents de gardiennage dont nous vous avons parlé. Mais quid des éducateurs ? Ces travailleurs sociaux, chargés de l’accompagnement de personnes en difficulté, souvent handicapées, se sentent "oubliés", nous écrit Myriam via le bouton orange Alertez-nous. Pourtant, poursuivre cette activité en minimisant les risques de contamination est un défi de tous les jours...
"On les accompagne du lever au coucher"
Myriam, 53 ans, de Faulx-les-Tombes, travaille en tant qu'éducatrice depuis 24 ans au Centre Saint-Lambert, à Bonneville (Andenne). "C'est mon métier, j'ai toujours fait ça", dit-elle. Le Centre Saint-Lambert héberge et accompagne des personnes porteuses d'un handicap mental. Au total, 140 usagers vivent dans des maisons et appartements adaptés dans la ville d'Andenne. Une centaine vivent sur le site de Bonneville.
Sur mon groupe de 15, j'en ai peut-être deux qui peuvent à peu près comprendre les mesures
Sur cette centaine de personnes, Myriam s'occupe d'un groupe de 15. Des hommes et des femmes plutôt âgés, avec des déficiences intellectuelles, et parfois également un handicap physique. Le but de son travail est d'améliorer leur qualité de vie. "On les accompagne du lever au coucher", résume-t-elle. Concrètement ? "On les réveille, on les lave, on prépare leurs tartines, on leur donne des médicaments. Puis il faut les conduire à la kiné ou aux visites médicales, faire des activités, les douches du soir, les mises au lit..."
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Des mesures de sécurité souvent incompréhensibles pour le groupe de Myriam
Certaines mesures pour empêcher la propagation du Covid-19 sont difficilement applicables dans ce contexte. De par la nature du travail, mais aussi en raison des particularités de ce public. "Sur mon groupe de 15, j'en ai peut-être deux qui peuvent à peu près comprendre les mesures", estime Myriam. "On parle beaucoup des maisons de repos, parce que oui, ils sont vieux, mais en général ils ont encore leur tête", ajoute-t-elle.
Mais c'est pas évident de les repousser
Se laver les mains, le geste prioritaire contre le coronavirus, pose problème. "On sait bien leur dire qu'il faut qu'ils se lavent les mains, mais si c'est pas fait, il faut que je leur lave. Avec 15 personnes... C'est pas évident", constate-t-elle.
Se maintenir à une distance d'1,5m avec les autres personnes, comme demandé par le gouvernement, est impossible dans l’exécution de certaines tâches, par exemple la toilette des usagers.
En outre, ces personnes ne comprennent pas la notion de distanciation sociale, souligne Myriam. "On arrive le matin, ils viennent faire la bise", raconte-t-elle. "Tu ne me fais pas la bise, c'est moi qui ait un microbe", a-t-elle parfois tenté pour les dissuader de s'approcher. "Mais c'est pas évident de les repousser", constate-t-elle.
Pas de cas de Covid-19 dans l'établissement, peu de matériel de protection disponible
Jusqu'à présent, le centre semble avoir été épargné par le Covid-19. "On touche du bois, pour le moment chez nous, y en a pas", confie Marc Palate, directeur du Centre Saint-Lambert. Des tests ont été réalisés pour les cas les plus suspects, qui se sont révélés négatifs, raconte Myriam. "Une petite dizaine", précise Marc Palate.
Lundi, Joseph, 91 ans, l'aîné du groupe de Myriam a été testé et mis à l'isolement parce qu'il présentait des symptômes : une toux inhabituelle. Le résultat : négatif. En cas de test positif, une maison est en train d'être aménagée pour isoler les malades. "Parce nous avons peur que les hôpitaux n'acceptent pas certaines personnes, en tout cas avec moins de réactivité qu'une personne entre guillemets 'normale'", craint Marc Palate.
Comme dans les maisons de repos, la question des masques et des tests est essentielle dans les centres d'hébergement pour personnes handicapées. Lundi, 6000 tests ont été distribués aux maisons de repos wallonnes. Au Centre Saint-Lambert, "on n'en a aucun de stock", note Marc Palate. "Le médecin pousse pour en avoir", explique-t-il.
Depuis deux semaines, des masques en tissus "faits maison" sont à la disposition de Myriam. Elle s'en sert d'un par jour. Le centre dispose de masques chirurgicaux mais ils sont utilisés avec parcimonie. "On voudrait bien les utiliser systématiquement. On se dit qu'on en a beaucoup, mais si tout le monde se met à en porter, on tient 6 jours. Et si dans 6 jours on n'en a plus... alors on l'air de gros malins", raconte Marc Palate.
Samedi 4 avril, le Centre a reçu une cargaison de masques FFP2 qui seront utilisés dans l'espace aménagé pour les éventuels cas de Covid-19. "Tout le monde essaye d'avoir son masque à droite à gauche, mais il faudrait une gestion solidaire, qui permette d'avoir les stock là où on a besoin", souligne Marc Palate.
Des horaires de travail adaptés pour les éducateurs, des déplacements limités pour les usagers
Le centre ne dispose pas de matériel suffisant, mais des mesures ont été prises pour organiser un confinement par zone. "On essaye que les gens se croisent un minimum, explique Marc Palate. Que celui qui travaille dans un bâtiment ne croise pas quelqu'un d'une autre bâtiment". Les horaires des éducateurs ont été adaptés dans ce but. Myriam ne fait plus des journées de 8 heures, mais de douze heures. Des shifts de 7 à 19h ou de 9h à 21h. Elle travaille trois jours, puis dispose de 3 ou 4 jours de repos. "Mais les journées de 12 heures... c'est costaud !", lance-t-elle.
Les déplacements limités au sein du centre ne sont pas sans poser de problème à certains usagers. Par exemple, l'un d'eux, qui a pris l'habitude de rendre visite au personnel de l'administration, se retrouve frustré. "Téléphone à Étienne", demande-t-il inlassablement à Myriam. Et les réponses invariablement négatives de le mettre en rage : "Il donne des coups de pied dans les meubles, il explose", constate-t-elle.
Comme dans les maisons de repos, les visites ne sont plus autorisées. Les usagers n'ont pas le droit non plus de sortir. Une mesure qui les laisse parfois dans l'incompréhension, note Myriam. "Et ma sœur ? Et mon frère ?", une femme du groupe de Myriam, habituée à voir sa famille le week-end. Si un usager sort, il n'est pas autorisé à revenir tant que le confinement n'a pas pris fin, indique-t-elle.
Une population à très haut risque
Si ces mesures ne sont pas toujours comprises, elles sont pourtant essentielles. Car le danger est grand dans ce type d'établissement : "Si le Covid rentre dans nos institutions, c'est la catastrophe. Si ça rentre dans des services où on a des polyhandicapés, ça peut faire des dégâts incroyables. Même à partir de 50 ans, ceux qui ont des pathologies associées à leur déficience, en facteur de risque, c'est comme s'ils avaient 80 ans, voire plus", explique le directeur. "Le handicap accentue la vieillesse", corrobore Myriam.
Mais le risque va dans les deux sens. En effet, le centre représente 250 travailleurs (éducateurs, aides-soignants, infirmiers, services administratifs, cuisine, entretien, etc.). "La question ce n'est pas que de se protéger nous-mêmes. Si on devient des foyers contaminants, ça repart sur la zone d'Andenne", met en garde Marc Palate. Pour sa part, Myriam redoute surtout de transmettre le virus à sa mère, âgée de 75 ans. Pour la protéger, elle a commencé à ne plus faire la bise et serrer la main... dès le 1er mars.
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