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On a tendance à l'oublier depuis la mise en place de l'espace Schengen en 1995 (libre circulation des biens et des personnes au sein des pays membres de l'Union européenne), mais la frontière belge existe toujours.
Une personne qui ne fait pas partie de l'Union européenne, ou en colis en provenance de l'extérieur de cette zone, doit respecter des règles avant de pénétrer sur le territoire belge. Il y a une série de taxes qui entrent en compte: des droits à l'importation, la TVA, des frais de formalités douanières, etc.
Valérie, comme de nombreux autres citoyens qui achètent de plus en plus en souvent en ligne, ignore tout de ces taxes et de ces règles, dont on parle peu. Et ça vient de lui jouer un vilain tour. "Depuis des années, ma meilleure amie qui habite aux Etats-Unis m'envoie chaque année un colis. Mais ça fait deux mois que le dernier est bloqué à la douane, et je n'ai aucune information", nous a-t-elle écrit via le bouton orange Alertez-nous.
Des snacks, des produits de beauté, des cadeaux
Notre témoin habite Lens (Hainaut) et a 44 ans. "Une ou deux fois par an, ma meilleure amie m'envoie des colis. Un peu toute sorte: des produits de beauté, des snacks, du pop-corn… des produits dans ce style-là qu'on ne trouve pas en Belgique".
D'habitude, tout se passe plutôt bien, même si "une fois, la douane avait retenu le colis, mais elle m'avait envoyé un formulaire avec ce qu'il y avait dans la boîte. Ce n'est pas moi qui l'avais envoyée, mais j'étais censé savoir ce qu'il y avait dedans, et estimé la valeur, pour que eux puissent me dresser des taxes !". Ça lui avait finalement coûté environ 90 euros pour débloquer son colis, "en plus des frais de port que mon amie avait réglé aux Etats-Unis".
Son amie lui avait envoyé une photo du colis cadeaux...
"Payer des taxes sur quelque chose qui m'appartient !"
Fin 2020, le 24 novembre pour être précis, Valérie surveille l'état du nouveau colis envoyé par son amie sur le site de l'US Postal. "Je vois qu'il est à nouveau coincé au niveau de bpost, à la douane". Elle craint donc que ce soit "rebelotte", et qu'elle doive s'acquitter de frais de douane.
Mais cette année, "en plus des choses habituelles, il y avait… un pull que j'avais oublié chez elle quand j'y étais allée il y a trois ans". Notre témoin trouve la situation absurde: "Je vais sûrement devoir payer des taxes sur quelque chose qui m'appartient, et qui n'est vraiment pas neuf".
Faudrait-il encore qu'elle reçoive le formulaire des douanes belges… "Cette fois-ci, je n'ai même pas encore reçu le courrier du centre de la douane de Malines", où semble être retenu son colis, d'après l'outil de suivi du transporteur américain (voir ci-dessous). "Il indique 'retenu à la douane, facture manquante'. Mais en général, quand tu envoies des cadeaux de Noël, tu ne mets pas la facture avec, hein !", s'exclame Valérie.
Notre témoin "a tout fouillé sur internet pour trouver des numéros de téléphone de la douane ou de bpost", afin de pouvoir récupérer son colis. "Je suis prête à payer ce qu'il faut, même si ça commence à m'énerver, mais personne ne peut m'aider: pas de numéro de téléphone ni d'adresse email à la douane".
Quelles sont les règles de douane pour des colis provenant des Etats-Unis ?
De l'aveu même de la porte-parole du SPF (Service Public Fédéral) Finances, les réglementations et procédures liées à la douane sont une matière très complexe. Il y a cependant un principe de base pour la franchise (= le fait de ne pas devoir payer) de droits à l'importation, que l'on peut lire dans l'article 25 du règlement européen 1186/2009 relatif à "l’établissement du régime communautaire des franchises douanières" (voir le pdf complet ici):
"Sont admises en franchise de droits à l’importation (…) les marchandises contenues dans les envois adressés d’un pays tiers (exemple: les Etats-Unis) par un particulier à un autre particulier se trouvant dans le territoire douanier de la Communauté (exemple: la Belgique) pour autant qu’il s’agisse d’importations dépourvues de tout caractère commercial".
Par "dépourvues de caractère commercial", le règlement européen entend: un colis envoyé de temps en temps ("occasionnel"), qui contient des marchandises "destinées à l'usage personnel ou familial". Le type de marchandises envoyées, et leur quantité, ne doivent "traduire aucune intention d'ordre commercial". Le règlement ajoute que le destinataire ne doit rien avoir payé en contrepartie pour l'envoi du colis.
En d'autres termes - et on parle bien ici du principe de base auquel s'ajoute des précisions importantes par la suite - si comme l'amie de Valérie, quelqu'un vous envoie un colis depuis les Etats-Unis ou la Chine, contenant des effets personnels et quelques petits cadeaux, il n'y a théoriquement rien à déclarer ni payer.
Parmi les précisions importantes pour éviter tout frais liés aux douanes, il faut bien noter que la valeur totale des marchandises du colis ne peut pas dépasser 45 euros. C'est là que ça se complique, surtout s'il n'y a pas de facture jointe au colis, que les douaniers peuvent vérifier. "Il aurait fallu que (Valérie) démontre qu'elle avait droit à la franchise", nous dit le SPF Finances. Pour cela, au risque de se répéter, elle aurait dû recevoir un courrier de bpost, qui prend le relais une fois que le contrôle des douaniers soulève une potentielle irrégularité. Ça n'a jamais été le cas.
Comment se passent les contrôles ?
S'il y a eu un souci cette année avec le colis de Valérie, c'est parce qu'il a été contrôlé. Les procédures sont assez complexes, car elles impliquent du personnel de bpost, des douanes (SPF Finances) et de certaines entreprises privées à l'origine de l'importation/exportation des marchandises.
"A l'aéroport de Zaventem, par exemple, la douane est présente au sein du hangar bpost, DHL, FedEx, etc", précise le SPF Finances. Nous avons visité ce hangar où des milliers de colis et des centaines d'employés de bpost travaillent. Au milieu: un grand local où opèrent des douaniers (voir vidéo ci-dessus).
Les douaniers n'y filtrent pas toutes les marchandises, ce serait trop de travail, mais ils y mènent des contrôles de différentes manières: "sur base des déclarations (ça ne concerne donc pas les envois de particulier à particulier, comme pour Valérie, mais plutôt les envois commerciaux), il y a des analyses de risques", mais également "de manière visuelle" en observant les colis. Lors de notre visite, les douaniers ont ouvert des colis contenant de la drogue ou des chaussures de contrefaçon.
Et le rôle de bpost ? "il est le déclarant de l'envoi et donc responsable de l'exactitude du montant", explique le service de communication de bpost. "Les colis d'une valeur supérieure à 22€ sont taxables et seront traités par le service de dédouanement de bpost (calcul de la TVA notamment). Si la valeur de l'envoi est inférieure à 22 euros ou si l'envoi bénéficie d'une exonération (c'est le cas théoriquement pour Valérie), il peut être dédouané oralement. Bpost met les colis à la disposition des douanes et ils seront dédouanés à certains moments. Si la douane identifie un certain colis, celui-ci est enlevé et bpost sera averti. Bpost transmettra à son tour les données reçues des douanes au client" (voir une partie des détails).
En cas d'irrégularité, le service postal belge historique stocke le colis 'suspect', envoie un courrier au destinataire en lui demandant un complément d'informations (par exemple, les tickets de caisse des produits reçus, la 'preuve' que le pull lui appartenait, etc), puis le cas échéant, s'occupe de "taxer" le destinataire au moment de lui livrer le colis. "Il y alors des droits d'importation (un pourcentage de la valeur des marchandises qui varie), de la TVA (21%), et des frais de douanes que rajoutent bpost (plusieurs dizaines d'euros)" pour couvrir le travail effectué en amont. On appelle ça les "frais pour formalités douanières", selon le SPF.
Comment envoyer des colis sans risquer d'ennui ?
C'est l'expéditeur, donc l'amie de Valérie aux Etats-Unis, qui aurait du joindre au colis une "déclaration de douane postale", explique bpost, qui donne des détails sur cette page. Le formulaire n'a rien d'intuitif et s'adresse davantage à une entreprise qui connait les exportations qu'à un particulier. Hélas, il n'y a pas de procédure simplifiée propre au cas de Valérie, donc à l'envoi d'un colis non commercial entre amies. Il faut donc remplir ce formulaire CN23 et indiquer, notamment, un code pour décrire le contenu, en utilisant cet outil de recherche du SPF.
"S'il s'agit d'un cadeau entre personnes privées, cela doit être clairement mentionné sur la déclaration", ajoute bpost, qui confirme qu'il y a "une exonération jusqu’à la valeur de 45€: si le colis dépasse cette valeur, la TVA sera ajoutée".
Conclusion
Valérie a toutes les raisons du monde d'être énervée. Le colis contenant quelques produits (snacks, beauté) en provenance de sa meilleure amie habitant aux Etats-Unis, ainsi qu'un pull qu'elle avait oublié là-bas, a été contrôlé à la douane belge. Rien d'anormal jusqu'ici: les contrôles sont en partie aléatoires, et il est logique de vérifier les marchandises en provenance d'une zone extérieure à l'Union européenne. De plus, mais pour un envoi de particulier à particulier c'est assez logique, il manquait la déclaration de douane postale, que son amie aurait dû apposer à l'extérieur du colis.
Cependant, Valérie n'a pas reçu le formulaire de bpost, qui se charge de gérer les potentielles irrégularités constatées par la douane. Elle aurait du recevoir un courrier avec les démarches à effectuer pour récupérer le colis. Elle a essayé de contacter à la fois bpost et les douanes belges, mais elle n'a trouvé ni ligne téléphonique, ni email, ni procédure claire.
"L’adresse de la dame sur le colis n’était pas complète. C’est pourquoi que la lettre que nous avons envoyée le 24/11 n’est jamais arrivée. En plus l’expéditeur a indiqué que la valeur du colis était de 0 euro pour un poids de 6 kg, ce qui n’est pas correcte et ce qui n’a pas aidé le processus de traitement du colis", selon bpost.
Après nous avoir contactés, elle s'est rendue dans un bureau de poste local, qui lui a finalement donné un contact (import@bpost.be). Hélas, il était trop tard: le colis, qui n'est gardé que 30 jours, était déjà reparti vers sa meilleure amie aux Etats-Unis. "Franchement, il y a de quoi leur mettre un procès pour ne pas avoir fait leur job comme il faut. Je suis triste et en colère: ma meilleure amie a gaspillé plus de 80€ en frais d'envoi, plus le prix des cadeaux, et tout ça pour rien. Je suis dégoûtée" :
Valérie est résignée, car même si elle avait reçu le formulaire de bpost, elle trouve la situation absurde: "J'aurais du payer des taxes sur un vieux pull qui m'appartient ? Mon amie aurait dû joindre la facture alors que c'étaient des cadeaux de Noël ? L'année prochaine, on s'enverra des chèques-cadeaux…".
Effectivement, une procédure devrait être mise en place pour déclarer un colis de particulier à particulier avant son envoi ; et, éventuellement, payer ce qu'il faut payer. Ce serait nettement plus simple et rentable que des contrôles aléatoires qui donnent lieu à des procédures alambiquées impliquant les douanes, bpost, l'envoi d'un courrier postal et le recouvrement des frais, tout ça en 30 jours maximum. Pour y parvenir, il faudrait une harmonie des règles douanières entre les pays concernés, et vous l'avez compris, c'est une matière assez complexe.