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Brûlé au troisième degré dans un incendie il y a quatre ans, Stef a survécu. Mais depuis ce jour dramatique, sa vie a chaviré. La souffrance physique fait partie de son quotidien. Et une nouvelle tragédie a marqué son existence à jamais. Un anéantissement moral qu’il surmonte avec courage, grâce au soutien de ses proches. Pour extérioriser son malheur, ce Montois a décidé de partager son histoire. Un témoignage poignant, qui force l’admiration.
"Ce jour-là, tout a basculé. J’ai vu mon corps calciné. Et toutes les promesses de bonheur et de vie se sont envolées en fumée", confie Stéphen Laflamme, un Montois d’origine âgé de 50 ans. Ce père de famille doté d’une force de caractère impressionnante nous a contactés via notre
Avant ce jour fatidique d’hiver 2011, Stéphen, que l’on surnomme Stef, mène une existence trépidante rythmée par son travail d’enseignant et ses passions pour la musique et les voyages. Déjà père de deux garçons, c’est lors d’un périple au Cameroun qu’il rencontre la nouvelle femme de sa vie, Rosa. Une petite fille naît de leur amour."Au moment du drame, Virgilia avait seulement quelques mois. Elle se trouvait au Cameroun avec sa maman. On projetait de se marier là-bas, avant de relancer une demande de visa pour la Belgique", relate le quinquagénaire qui habite une maison à Tertre (Saint-Ghislain), dans le Hainaut. Le mariage doit être célébré le 8 mars. Mais un événement tragique va chambouler ce projet tant attendu.
"Je me transforme alors en torche humaine"
Le 19 février, cet expert en mécanique se rend au garage moto d’un ami à Blaton pour l’aider à régler un problème informatique. Il en profite pour couper une barre métallique dans son atelier."Je commence à disquer la barre, sans savoir que des produits inflammables se trouvent à proximité. Je m’applique sur ma pièce et je ne regarde pas autour de moi. A un moment, je fais une pause et je me rends compte qu’une espèce de marmite est en feu à trois mètres de moi", raconte Stef. Les flammes lèchent déjà le plafond. Le Montois jette alors la disqueuse et aperçoit un seau qu’il pense rempli d’eau."Sans trop réfléchir, je l’attrape et je balance son contenu pour éteindre l’incendie. Mais je fais pire que mieux. Tout revient vers moi." Ni la marmite, ni le seau ne contiennent en effet ce qu’il imagine. La marmite est remplie de thinner et le seau contient sans doute des restants de vieilles peintures et de solvant."Je me transforme alors en torche humaine. Très vite, j’essaye de ressortir du bâtiment qui brûle mais, avec les fumées, l’air se raréfie et je suffoque. Je m’écroule donc face contre terre. Là, mon ami vient me rechercher au milieu des flammes. Il m’attrape par ce qui reste du col de ma chemise et me tire vers l’extérieur sur les graviers", poursuit-il. A ce moment-là, allongé sur le sol, il regarde sa main droite et réalise la gravité de ses blessures."Je n’éprouve pas de douleur physique car l’adrénaline est tellement forte. Mais je vois que mes doigts sont complètement décharnés."
Pendant ce temps, les pompiers arrivent sur les lieux. Certains déroulent un tuyau d’eau pour asperger abondamment le corps calciné de Stef, en admiration devant ces hommes courageux qui s’aventurent dans un bâtiment en feu. L’incendie est rapidement maîtrisé."J’ai alors une sensation de froid qui m’envahit et je commence à trembler comme une feuille." Les services de secours le mettent ensuite sur une civière pour le transporter en ambulance à l’hôpital."Jusqu’à ce moment-là, je reste conscient tout le temps. Je me souviens du moindre détail. Chaque seconde, chaque instant, chaque parole, tout ça est gravé dans ma mémoire. J’ai l’impression d’être dépouillé de mon corps", assure le père de famille.
Une sorte de "marionnette" brisée et entourée de bandages
Après ces souvenirs bien ancrés de l’incendie, c’est le trou noir. Etant donné la gravité de son état, Stef est emmené au centre des grands brûlés de l’hôpital militaire de Neder-Over-Hembeek, où il est plongé dans le coma artificiel pendant cinq mois."A ce moment-là dans le livre, c’est ma sœur et mon ex-femme qui prennent le relais pour raconter les évènements", explique-t-il. La première visite est douloureuse et traumatisante pour ses proches. Dans une pièce remplie de machines, ils découvrent une sorte de " marionnette " brisée et entourée de bandages."Au début, comme je suis brûlé à 75%, il n’y a que la peau de mon dos et de mes épaules qui est bonne. Tout est emballé. La tête, le visage, les bras, les jambes. D’ailleurs, je n’ai pas de photos, tellement les gens sont choqués de voir ça. Personne n’ose prendre de clichés", révèle le Montois.
De la peau de cadavre comme pansement temporaire
Dans un premier temps, les médecins tentent de le maintenir en vie, notamment grâce à une sorte de pansement biologique qui assure une protection temporaire contre l’environnement."En attendant de faire des greffes définitives, ils doivent mettre de la peau de cadavre parce qu’il n’y a rien qui peut coller sur des plaies de brûlures. Ce qui permet d’empêcher un maximum les microbes de passer", indique Stef. "Initialement, le patient grièvement brûlé se déshydrate fortement ce qui doit être compensé, par de grandes quantités de liquides intraveineux. Dès la première semaine, les tissus dont l’aspect révèle qu’ils ne guériront pas sans opérations sont excisés, puis des greffes provisoires sont mises en place. On appelle ça des homogreffes. C’est de la peau de donneurs volontaires décédés et conservée à basse température. Même si elle ne remplit pas le rôle de greffe définitive, elle permet provisoirement de jouer plusieurs fonctions, notamment de réduire les pertes d’eau, ainsi que de stimuler la formation de nouveaux vaisseaux sanguins. Cette barrière physique permet également de réduire le risque d’infection. Tout cela permet d’améliorer les chances de succès de la greffe définitive dans un deuxième temps", explique Olivier Pantet, intensiviste au centre des grands brûlés de l’hôpital militaire.
Le recours à des greffes provisoires est donc très fréquent avant de passer aux autogreffes."Les médecins prélèvent alors votre propre peau. Chez moi, c’est en haut des épaules et dans le dos. Il existe aujourd’hui une technique qui agrandit la peau. Donc, avec 10 cm2, ils font 1 m2, en tirant dessus avec des petits trous", assure le père de famille."L’opération consiste à prélever de la peau sur une partie préservée. Ce lambeau de peau est ensuite transformé par un appareil en filet en le perforant à de multiples endroits. On obtient alors une résille qui permet de recouvrir une bien plus grande surface. Plus la taille des mailles est importante, plus la surface recouverte est grande, au prix néanmoins d’un allongement de la durée de cicatrisation et d’un moins bon résultat esthétique", indique Olivier Pantet.
Des infections dangereuses et inévitables
Malgré toutes les précautions prises, le risque d’infections est énorme pendant cette période."Même si je suis placé en quarantaine, il y a toujours des microbes qui passent. Donc, je n’y échappe pas et suis victime de plusieurs infections", relate Stef."C’est inévitable chez un patient grièvement brûlé. Nous portons tous des microbes sur la peau, ce qu’on appelle flore cutanée. Chez des êtres humains en bonne santé, cela ne pose pas de souci. Mais chez les patients brûlés, ces germes ne se contentent pas de rester à la surface des brûlures. Ils peuvent pénétrer dans le corps par des vaisseaux présents dans les plaies et provoquer des infections parfois graves. Le pronostic vital peut être engagé dans certains cas", assure l’intensiviste."Diverses crèmes sont utilisées pour limiter la colonisation des brûlures par des germes dangereux. Quand cela n’est plus suffisant car une infection est déclarée, des antibiotiques sont alors administrés. Lorsque la durée du séjour s’allonge, les germes rencontrés deviennent parfois résistants aux antibiotiques, ce qui n’est pas sans poser de problème", ajoute le spécialiste.
Une attente angoissante pour les proches
Pour la famille de Stef, les bonnes nouvelles alternent donc avec les mauvaises. Va-t-il un jour rouvrir les yeux ? L’attente est intenable et angoissante. Assez pessimistes au départ, les médecins ne veulent pas nourrir de faux espoirs."Ils attendent donc quatre mois avant d’annoncer que mes chances de survie sont bien réelles." Malgré les nombreuses opérations, Stef fait en effet preuve d’une ténacité qui étonne et émerveille aussi bien ses proches que le staff médical. Et quelques semaines plus tard, le réveil tant espéré se produit. Stef sort du coma, mais il commence à délirer. Il a l’impression d’avoir réellement vécu certaines choses pendant ce laps de temps passé inanimé sur son lit d’hôpital. Pour lui, il est dès lors très difficile de faire la part des choses et différencier le vrai du faux."Je suis par exemple certain de ne pas être à Bruxelles mais au bord de la Méditerranée. Pour me le prouver, les infirmières sont donc obligées de me traîner jusqu’à la fenêtre pour me montrer l’Atomium", se souvient-il."Un autre de mes grands délires, c’est que je suis sûr que je ne suis pas à l’hôpital parce que j’ai été brûlé. Je pense qu’on a voulu me tuer, m’assassiner", ajoute-t-il. Ces situations délirantes semblent bien réelles pour lui. Seule sa grande sœur, en qui il a confiance, parvient à lui faire accepter la vérité."Le délire est fréquent chez les patients grièvement brûlés. Son origine n’est pas encore entièrement comprise, mais elle est multifactorielle. Parmi les causes, on relève les effets secondaires des médicaments sédatifs ou antalgiques utilisés. Le délire est également en lien avec le stress de l’accident et aux souvenirs qui ressurgissent au moment du réveil, ainsi que les infections et la fièvre", révèle Olivier Pantet.
"C’est absolument génial parce que j’ai moins l’air d’être un monstre"
Pendant les mois qui suivent, Stef subit de nouvelles opérations de greffes et est victime d’une nouvelle infection très grave. En un an d’hospitalisation, il passe 36 fois au bloc opératoire. Mais le résultat est époustouflant."La première fois que je me suis vu dans un miroir, j’étais choqué parce que j’étais boursouflé un peu partout. Mais j’ai une chance énorme car les médecins ont réussi à récupérer presque tout mon visage. Ils n’ont pas fait de greffes, mais ils l’ont soigné pendant un an. Pour le regard des autres, c’est absolument génial parce que j’ai moins l’air d’être un monstre, en tout cas quand je suis habillé. Vu de l’extérieur, si on ne regarde pas mes mains, à la rigueur on ne pourrait même pas dire que je suis un grand brûlé", se réjouit-il.
Par ailleurs, ses progrès au niveau physique sont rapides et encourageants, même si la rééducation est éprouvante. Il doit tout réapprendre comme un bébé."Avec l’aide de kinés, il a par exemple fallu deux semaines pour que je puisse juste tenir debout. Au départ, chaque effort paraît surhumain et impossible. Mais au fil du temps, ça évolue et plus on fait d’effort, mieux ça va", soutient cet homme animé par un courage impressionnant."Ce qui m’a sauvé, c’est d’être tombé sur un hôpital au top niveau de la technologie avec un service absolument génial et la force de caractère. Sans cela, je ne serais plus là."
Durant ce long parcours du combattant, Stef a également pu compter sur le soutien moral et financier de sa famille et de ses amis. L’un de ses proches a notamment fait le nécessaire pour que Rosa et Virgilia puissent être à son chevet à Bruxelles."Ce qui m’a permis de persévérer, c’est d’être bien entouré et surtout ma petite fille. Quand je me suis réveillé et que j’ai su qu’elle était là, c’est à ce moment que tout s’est déclenché. Elle m’a donné la force de me battre", révèle le papa.
Un nouveau choc insurmontable: sa fille se noie dans la piscine
Peu de temps après sa sortie d’hôpital, au mois de mai 2012, il s’unit à celle qui fait battre son cœur."Ma femme a quand même voulu se marier, même si je lui ai dit qu’elle allait épouser un handicapé", raconte Stef. Mais ce bonheur est de courte durée. Trois semaines après la célébration, un drame se joue à leur domicile. Virgilia se noie dans la piscine familiale."C’est un nouveau choc qui est beaucoup plus dur à supporter. C’est elle qui m’avait fait tenir le coup, et puis on me l’a enlevée. Elle avait 16 mois", relate le Montois avec une pointe d’émotion dans la voix. La fillette ne décède pas sur le coup. Elle passe trois mois à l’hôpital avant le dénouement fatal. Ses parents sont dévastés."Après un tel drame, il n’y a plus rien qui compte. Ma femme et moi, nous sommes toujours ensemble. Mais je pense que nous avons enterré notre amour avec elle", ressent-il.
La vie leur sourit malgré tout deux ans après cette mort tragique."On a eu une chance énorme. Alors que mes parties génitales sont brûlées, on a pu avoir un petit garçon. Il est né en novembre 2013. C’est ce qui nous permet de nous raccrocher à la vie parce qu’après tout ça, on perd la notion de tout. On se demande ce qu’on a fait pour mériter tout ça."
Des séquelles physiques et psychologiques
Aujourd’hui, Stef reste marqué par ces événements dramatiques, qui laissent des séquelles physiques et morales."Je ne pourrai plus jamais courir comme avant. Le problème des brûlures au troisième degré, c’est que ça attaque la peau bien sûr, mais aussi les tendons, le système musculaire et le système lymphatique. Là où il y a les nœuds, les reliures des greffes, ça craque souvent et ça saigne. Je ne peux pas aller quelque part sans prendre mon lot de pansements et d’antidouleurs." Le quinquagénaire doit également continuer à suivre des soins réguliers. En tant qu’ancien enseignant, il bénéfice heureusement d’un statut de malade grave qui lui permet d’assurer en partie une stabilité financière. Même si ces soins médicaux l’apaisent, ils sont toutefois loin d’être suffisants pour faire disparaître une douleur persistante."Ce n’est plus une vie sereine. Ma compagne la plus proche, ce n’est plus ma femme, mes amis, la guitare, c’est la souffrance", confie-t-il. C’est d’ailleurs en partie pour partager cette souffrance avec les personnes atteintes de maladies graves que Stef a décidé d’écrire son livre. Grâce à sa propre expérience, il peut ainsi donner des conseils aux victimes et à leurs proches.
Au niveau psychologique, Stef n’est plus le même non plus. Il a perdu une forme d’insouciance."Depuis la mort de ma petite fille, je ne redoute plus la mort. J’ai également plus d’angoisse et suis plus précautionneux. D’ailleurs, je surprotège un peu mon petit garçon."
Malgré tout, ce Montois fait toujours preuve d’une force de caractère qui lui permet de continuer à vivre avec le sourire. Pour l’épauler, il peut compter sur l’appui de ses proches, qui lui sont restés fidèles tout au long de cette traversée du désert semée d’embûches. Même s’il ne peut plus jouer de guitare, Stef a trouvé des compensations. Il joue au piano et compose de la musique électronique via un logiciel. Et son souhait serait de pouvoir passer les mois d’hiver au soleil."Le froid pour un grand brûlé, c’est ce qu’il y a de pire, de plus horrible. Quand il y a un changement de climat, cela pique dans tout le corps", explique-t-il. La peau greffée ne remplit en effet que partiellement sa fonction."Ceci dépend du type de greffe, mais bien souvent, ces patients ne possèdent plus que de l’épiderme, soit la couche la plus superficielle de la peau. Les couches situées en dessous, le derme et l’hypoderme se régénèrent mal et ce sont elles qui donnent l’élasticité à la peau, procurent une certaine isolation thermique et permettent de transpirer. Du coup, la peau est plus fragile et cartonnée, et elle permet moins bien de réguler la température. La peau devient aussi très sensible aux UV", affirme Olivier Pantet, intensiviste à l’hôpital militaire.
Son livre publié, Stef rêve donc désormais de pouvoir profiter de la douceur du Cameroun, le pays d’origine de sa femme, lorsque les températures seront à nouveau plus froides.
Julie Duynstee