Partager:
Leur sexualité serait débridée, coutumière des "plans à trois", ou une simple "passade" avant un retour à la "norme": les personnes bisexuelles sont confrontées à de nombreux fantasmes et préjugés, relevant parfois de "biphobie", y compris au sein de la communauté homosexuelle.
A 41 ans, Laura (prénom modifié) n'a eu que "quelques histoires". Attirée par les deux sexes, cette ingénieure tient à "combattre le cliché des bisexuelles volages et chaudes du cul": elle est "du genre fidèle et amoureuse au long cours".
C'est à 18 ans qu'elle connaît sa première expérience avec une femme, "à ma très grande surprise". La relation dure quatre ans, mais Laura attendra la trentaine et une seconde histoire "avec une amie", après deux rencontres avec des hommes, pour faire son "coming out bisexuel".
"J'avais intériorisé la biphobie", analyse-t-elle "avec le recul", pour expliquer ce retard à se donner "l'étiquette bi".
C'est au sein de son propre couple qu'elle subit ses premiers propos biphobes: "ma première copine me répétait toujours +les bis n'existent pas, assume que tu es lesbienne", rembobine Laura.
"Le stéréotype +tu dois choisir+ est souvent repris par les gays et les lesbiennes", souligne Félix Dusseau, sociologue à l'Université de Bordeaux et auteur d'un mémoire sur la bisexualité. "Chez les hétéros, c'est le fantasme masculin du plan à trois" qui colle à la peau des personnes bisexuelles, ajoute-t-il.
"C'est blessant d'être toujours ramenée uniquement à sa sexualité", souligne Laura, encore "choquée" par les mentions "Alcoolo et bi s'abstenir" croisées sur les petites annonces de journaux lesbiens dans les années 2000.
Elles sont remplacées désormais par les applications de rencontres que délaisse cette célibataire, "lassée de recevoir toujours les mêmes propositions".
La bisexualité "dérange l'idéal d'exclusivité amoureuse. Ce qui trouble les hétéros, analyse Félix Dusseau, mais aussi les homos".
"Les bis peuvent être montrés du doigt au sein de la communauté homosexuelle", confirme Alexandre, lui-même bisexuel. "On nous accuse de +rester dans le placard+, de préférer passer pour un hétéro plutôt que de militer, ou bien on nous dit +c'est une passade+ et qu'on finira par faire un choix", rapporte ce doctorant de 25 ans.
- "Invisibles" -
En septembre dernier, cinq associations (Bi'Cause, SOS Homophobie, Act Up, FièrEs et le MAG Jeunes LGBT) ont lancé une première enquête nationale sur la biphobie, à laquelle plus de 3.600 personnes bisexuelles - ou perçues comme telles - ont répondu, dont les premiers résultats ont été dévoilés samedi à Paris.
Il en ressort notamment que 93% des sondés ont déjà entendu ou lu des propos biphobes, que 38% ne parlent pas librement de leur bisexualité tandis qu'un tiers déclare avoir déjà été rejeté par un ou une partenaire à cause de son orientation sexuelle.
"L'objectif était de montrer l'ampleur et les ramifications du rejet et des discriminations liées à la biphobie", explique Vincent-Viktoria Strobel, président de Bi'Cause. Et, aussi, "faire entendre la voix et la spécificité des bisexuels" au sein de la communauté LGBT (lesbiennes, gay, bis, trans).
Selon un sondage Ifop de juillet 2014 sur les pratiques sexuelles des Français, 3% des sondés se définissaient comme bisexuels.
Les bisexuels pâtissent du fait d'être "fondamentalement invisibles", souligne Félix Dusseau: "un bi au bras d'une femme est hétéro, il est homo au bras d'un homme". D'abord "fondu" dans les revendications gay et lesbiennes, "le militantisme bisexuel est très récent", appuie le sociologue.
Si, dès le début du XXe siècle, des bisexuels célèbres, dont l'économiste John Maynard Keynes et la romancière Virginia Woolf, étaient réunis au sein du Bloomsbury Group, un cercle d'intellectuels, universitaires et artistes britanniques, "il a fallu attendre les années 80 aux États-Unis pour que des personnes se disent bisexuelles", rappelle-t-il.
Récemment, plusieurs figures de la pop culture, essentiellement outre-Atlantique, telles que les actrices Amber Head, Kristen Stewart ou Angelina Jolie, ont fait leur coming out bisexuel, aidant les anonymes à mieux assumer leur identité sexuelle.
"J'ai pu mettre un mot sur ce que je ressentais quand Lady Gaga a parlé de sa bisexualité", explique ainsi Alexandre, qui estime que "cela est de moins en moins vu comme un effet de mode".