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Le passage aux 35 heures, mesure phare de la "gauche plurielle" votée il y a 15 ans, a donné lieu à une intense bataille politique, la droite et le patronat opposant une résistance farouche au gouvernement Jospin accusé d'"archaïsme".
Quinze ans après leur adoption, les 35 heures restent un marqueur fort pour la gauche et la droite, même si cette dernière ne réclame plus son abrogation, mais plutôt son assouplissement.
"Projet de société" pour les uns, réforme "autoritaire" pour les autres : la réduction du temps de travail, "bébé" de Martine Aubry, la ministre de l'Emploi, déclenche une quasi guerre froide entre gauche et droite, qui cohabitent sous la présidence de Jacques Chirac.
La hache de guerre est déterrée après l'annonce par le nouveau Premier ministre socialiste Lionel Jospin, le 10 octobre 1997, d'une loi-cadre sur les 35 heures, engagement pris durant la campagne présidentielle de 1995.
"Nous avons été parfaitement bernés" par le gouvernement, lâche alors le patron des patrons de l'époque, Jean Gandois, qui démissionne trois jours plus tard du CNPF, en signe de protestation.
Il passe la main à Ernest-Antoine Seillière, "tueur" chargé de mener la fronde à la tête de la première organisation patronale de France, rebaptisée Medef.
Au Palais Bourbon, jour et nuit, c'est la bataille entre les parlementaires de gauche et les élus RPR et UDF, ces derniers déposant plus de 1.500 amendements.
- 'Hémorragie d'emplois' -
Sur les bancs de l'Assemblée et devant les caméras, le député Pierre Lellouche (RPR) prédit "une hémorragie d'emplois" et ajoute: "Même les communistes à la grande époque en Russie ne parlaient pas de ça".
Les figures de la droite s'élèvent contre une réforme jugée "autoritaire" (Valéry Giscard d'Estaing) et "archaïque" (Nicolas Sarkozy), qui "crée de faux espoirs" (Jean-Louis Debré) et peut se muer en "accélérateur de chômage" (François Bayrou).
Que veut la gauche ? Rendre obligatoire la réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires (contre 39) alors que la loi de l'UDF Gilles de Robien (1996) prônait simplement de réduire les horaires sans obligation, avec une incitation financière.
La France compte plus de trois millions de chômeurs et la majorité espère créer 700.000 emplois. Mais pas seulement. La réforme se veut économique autant que sociétale, en favorisant l'accès à l'emploi pour les femmes et en offrant plus de temps libre aux salariés.
Lyrique, le député Vert Yves Cochet vante le temps dégagé pour "l'épanouissement -gratuit- de soi", la "rêverie" et "les activités familiales, les activités amicales, voire les activités amoureuses".
L'affrontement politique déborde dans les rues de Paris.
Aux syndicats et aux collectifs de chômeurs, qui défilent pour défendre les 35 heures, Alain Madelin (Démocratie libérale) répond en faisant circuler des camions publicitaires avec le slogan: "Pour s'en sortir il faut travailler moins ! Vous diriez ça à vos enfants ?".
- Loi 'ringarde' -
Face au bloc formé par la droite et le Medef, la "gauche plurielle" au pouvoir (PS, PCF, Verts, radicaux et chevènementistes) se serre les coudes jusqu'au vote de la première loi Aubry, le 19 mai 1998.
Celle-ci fixe le calendrier de la réforme et encourage syndicats et patronat à anticiper, dans la négociation, l'application pratique des 35h.
Une seconde loi sera promulguée le 19 janvier 2000, rendant la réduction du temps de travail obligatoire à compter de février pour les entreprises de plus de 20 salariés et à partir de 2002 pour les plus petites.
Rarement les clivages politiques ont été autant visibles. A chaque vote, toute la gauche se prononce pour et toute la droite, contre.
Mais entre les deux votes, le gouvernement doit éteindre plusieurs feux.
A sa gauche, il lui faut rassurer les alliés communistes et écologistes qui, associés à certains syndicats, s'inquiètent d'une seconde loi Aubry jugée trop favorable au patronat.
A sa droite, contenir la rébellion croissante des organisations patronales.
Le 4 octobre 1999, le Medef et la CGPME rassemblent entre 20.000 et 30.000 chefs d'entreprise à Paris, une démonstration de force inédite depuis 1982.
A la tribune, M. Seillière fustige une loi "ringarde", "archaïque", "anti-économique" et "anti-sociale" qui s'en prend à un patronat "ignoré, méprisé, menacé, taxé, surtaxé, suspecté".
Les économistes s'accordent à dire que les lois Aubry ont créé 300.000 à 500.000 emplois sous le gouvernement Jospin (1997-2002).