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"C'est un peu la guerre" et une course contre la montre: à Paris, des trottinettes électriques en libre service sont rechargées la nuit, à leurs frais, par des auto-entrepreneurs rémunérés à partir de 6 euros l'unité.
"Ce n'est pas facile, un ami à qui j'ai prêté mon Trafic a arrêté au bout de quatre jours": Tommy, 28 ans, a commencé en août à collecter avec un véhicule utilitaire des trottinettes électriques pour les deux entreprises qui dominent le marché parisien, Lime et Bird.
Pour ce faire, il a d'abord dû s'inscrire sous le régime d'auto-entrepreneur.
Chaque soir, il espère récupérer et recharger dans un garage loué spécialement 50 trottinettes qu'il doit redéposer à l'aube, avant 7H00, sous peine de pénalités. "Si j'y parviens, je gagne environ 300 euros" par nuit, une somme dont il doit soustraire le coût de l'essence, de la location du garage et de l'électricité pour "au moins 1.000 euros par mois", ainsi que les charges.
Quentin, 20 ans, est étudiant en école de commerce. Depuis la rentrée scolaire, il a délaissé son activité de coursier à vélo, "pas assez rentable", pour les trottinettes.
Il n'en récupère que quelques-unes à la sortie de ses cours s'il "ne finit pas trop tard et qu'elles sont à proximité". Cette activité n'est pour lui qu'"un complément" de revenu. "Il y a un côté chasse au trésor, c'est amusant", poursuit-il.
Tous ces "juicers" - ou "rechargeurs" - se connectent sur une application qui géolocalise les trottinettes déchargées avant 21H00, puis toutes les trottinettes après cet horaire.
"L'été, je me mettais en route à 18H00. Avec le froid, elles sont moins utilisées, il n'y en a pas assez avant 21H00 pour que ce soit intéressant pour moi", continue Tommy.
La première personne à les "flasher" avec son smartphone peut les récupérer et gagne environ 6 euros par trottinette, jusqu'à 20 euros si elle est difficile d'accès. La difficulté est évaluée en fonction du nombre de personnes qui indiquent à l'application avoir échoué à la trouver.
Quentin, après avoir été parfois précédé sur le fil, "court" désormais une fois une trottinette repérée. Tommy complète: "C'est un peu la guerre. Des personnes en scooters qui ont vu que je me dirigeais vers une trottinette ont accéléré pour griller ma place".
- "Tout peut s'arrêter" -
Lui poursuit sa recherche "jusqu'à 1H00 du matin" puis rentre les trottinettes dans son garage pour charger les batteries. Il reprend la route parfois dès 5H00, là où les applications lui indiquent à quels endroits déposer les trottinettes: "Le matin, c'est encore plus la compétition que le soir, car on vise tous les mêmes lieux en même temps".
S'il est "content" de son activité, Tommy évoque sa précarité: "Du jour au lendemain, tout peut s'arrêter, ou je peux faire des soirs en ne récupérant que dix trottinettes".
"C'est physique, il faut rester tout le temps alerte, accepter de passer huit heures dans une voiture, être réactif". Il était déjà habitué aux horaires décalés: auparavant gérant d'un bar de nuit, il a fait faillite cet été, et se retrouve endetté.
L'activité des indépendants "n'a pas vocation à être un emploi à temps plein", se défend Lime. Quentin et Tomy, qui anticipent une baisse du gain par trottinette, ne prévoient pas d'y rester plus que quelques mois.
Pour devenir un "rechargeur", un numéro de Siret (identifiant d'une entreprise) suffit. "On doit juste suivre une formation en ligne d'une heure, à valider avec un quiz", raconte Quentin.
Lime France affirme "gérer la majorité de la recharge et de l'entretien de sa flotte" à Paris avec ses propres salariés, les auto-entrepreneurs étant minoritaires.
Mais ce modèle économique reste basé en partie sur les indépendants. Ce qui pourrait changer "si les particuliers ramènent chez eux le soir les trottinettes, les rechargent contre des minutes gratuites, les reprennent et les libèrent le matin après leur déplacement", analyse un spécialiste du secteur, Aymeric Weyland, directeur du salon Autonomy de la mobilité urbaine.