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Vous connaissez peut-être Dounia Bouzar. Cette experte au CV kilométrique a créé en France le Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l'Islam. Cette docteure en anthropologie suit 700 jeunes français depuis deux ans: elle les reçoit en séance de "désembrigadement". Ils ont entre 14 et 24 ans. La plupart ont été menottés à la frontière car ils comptaient se rendre en Syrie. Pratiquement tous ont été embrigadés par internet.
Invitée sur Canal +, dans l'émission "La Nouvelle Edition", Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l'Islam, a répondu aux questions de la présentatrice, Daphné Bürki, qui rappelait que les jeunes terroristes dont il est question ces dernières années, ont des profils très variés. "Certains étaient paumés, d'autres avaient un boulot, une famille. Tous ont accepté de massacrer, de sang-froid, des jeunes, comme eux, pour ensuite se faire exploser. Comment se sont-ils transformés en machine à tuer?".
"Ce n'est pas une folie d'être djihadiste"
Alors, comment est-ce possible? "Ce n'est pas une folie d'être djihadiste, considère l'experte. C'est un processus qui vous mène à ne plus ressentir de sentiments et à voir vos victimes comme des gens qui ne sont pas vos semblables. (...) Pour ceux qui sont allés au bout du processus, le retour au monde réel passera par la loi. On revient dans le monde réel quand la loi symbolique s'impose". Dounia Bouzar donne aussi des éléments d'explications sur l'embrigadement en tant que tel. Tous ces jeunes, une fois embrigadés, font partie d'un groupe très "soudé". "Il y a un espace cocon. A l'intérieur du groupe, chacun a l'impression d'être le même que l'autre. C'est plus que des frères et sœurs, c'est un sentiment de fusion: le groupe prend l'identité de l'individu".
"Ce n'est pas une mission divine: c'est le jeune qui veut mourir, qui veut tuer"
Pour autant, la responsabilité est bien là. "Avec ses parents, avec les repentis, on va faire comprendre au jeune qu'il n'a pas été investi par une mission divine, mais que c'est un problème personnel. C'est lui qui a envie de mourir, c'est lui qui veut tuer, c'est lui qui veut sauver le monde, c'est lui qui a cru qu'il y avait de l'humanitaire (promis en Syrie par l'organisation terroriste Etat islamique, ndlr). Pourquoi a-t-il cru cela? Pourquoi s'est-il coupé de la télévision? Pourquoi n'a-t-il pas voulu voir?".
Oui, elle a de l'espoir, oui, elle parvient à "sauver des vies"
Face à ce constat glaçant, à ces faits incompréhensibles, la présentatrice interroge son invitée de façon très spontanée: "Est-ce que vous pouvez nous donner une raison d'espérer?" "C'est mon rôle de donner de l'espoir aujourd'hui, répond d'emblée Dounia Bouzar. Ceux qui ont été pris à partir, une fois, deux fois, trois fois, et qu'on parvient à réhumaniser, [c'est parce que l'on] inverse la phrase de Daesh (l'organisation terroriste Etat Islamique, ndlr). Daesh leur dit 'Nous serons plus forts, vous êtes supérieurs parce que nous aimons la mort plus que les autres n'aiment la vie. Nous, on leur fait revivre la vie, par différents moyens, il n'y en a pas un en particulier. Chacun peut trouver sa façon à lui: les parents sont les premiers sauveurs de leurs enfants, les repentis sont les premiers sauveurs de ceux qui vont à la mort. Ils vont essayer de faire revivre en eux ce qu'il y a d'humain : ils ne ressentent plus rien. Le lien humain est vécu comme une preuve de faiblesse dans la mission divine. Quand un repenti, une maman, un papa, une tata, arrive à faire ressurgir un sentiment, une sensation, une amitié, un amour, une peur, ou la prise de conscience que c'est lui qui a envie de mourir. Et là, on devient un sas entre Daesh et le monde réel".
"L'espoir c'est que quelqu'un qui revient de la mort, quand il est dans la chaîne de la vie, c'est le premier à sauver les autres", ajoute l'experte.
Dounia Bouzar a reçu des coups de fil de détresse de 4.000 parents: "Mon enfant se radicalise, j'ai peur!"
L'experte livre aussi des témoignages de parents inquiets. En France, 4.000 parents ont déjà appelé la police pour signaler que leur enfant semblait être en lien avec un islam radical : "Ils disent: 'Mon enfant ne veut plus aller à l'école, il n'a plus confiance en ses profs, il ne veut plus de musique, il ne veut plus nous parler, il ne nous considère plus comme ses parents, il dit qu'il est "élu", qu'il n'a plus rien à voir avec les autres, je suis inquiet'".
La fondatrice du centre de prévention explique que ces jeunes représentent une certaine catégorie de jeunes, mais qu'il y en a d'autres. Ainsi, il y a ceux qui ont été tellement embrigadés qu'ils voulaient partir en Syrie et qui, pour plusieurs raisons, n'ont pas pu mener à bout leur projet. Dounia Bouzar cite aussi la catégorie de jeunes fragiles socialement et familialement qui a l'impression de ne pas avoir sa place dans la société, "à qui le rabatteur va proposer de prendre toute la place, et il y aura un ressentiment".
Enfin, l'experte cite aussi les jeunes qui rentrent de Syrie, après avoir été en contact avec Daesh, l'organisation terroriste Etat Islamique. Parmi eux, il y a ceux qui reviennent pour constituer les cellules dormantes et ceux qui regrettent. "Ceux-là rentrent en courant car ils ont vu le vrai visage de Daesh". Mais encore faut-il qu'ils y parviennent. "La plupart sont fusillés. A ma connaissance, seules deux jeunes filles ont pu rentrer".
"Chaque embrigadement s'adapte à la culture du pays. On embrigade pas de la même manière au Japon, en Chine, en Tunisie ou en France". De plus, l'experte estime que les rabatteurs sont de plus en plus futés: "Ils font parler le jeune et ils lui font miroiter une raison qui correspond à son profil psychologique".