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Egalité et réconciliation, Fdesouche, Boulevard Voltaire ou encore Russia Today...Depuis une décennie, des médias au positionnement très droitier ont fait leur apparition sur la toile, avec l'objectif de "réinformer" les citoyens.
"Trop à gauche" ou encore "pas suffisamment représentatifs", c'est bien souvent en ces termes que les Français jugent leurs médias. Les sondages réalisés élection après élection ne démentent pas ces impressions. En juin 2012 par exemple, un sondage Harris Interactive estimait à 74% le taux des journalistes ayant voté à gauche lors de la présidentielle.
Pour lutter contre "la gauchisation des esprits" - selon la formule de Jean-Marie Le Pen- des médias à la droite de la droite ont ainsi fait leur apparition.
Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, la montée des "médias de masse", et notamment la télévision, a banni "les opinions minoritaires" de l'espace médiatique: "de l'avènement de la télévision jusque dans les années 1990, les courants minoritaires dont l'extrême droite n'ont plus eu accès à la télé officielle", explique-t-il.
Privés de leur droit de cité dans les médias, "ces courants minoritaires" ont, selon le sociologue, "profité de l'essor du numérique pour lancer leur propre plateforme d'information".
Des médias hétéroclites
Hétéroclites, ces médias partagent néanmoins une vision du monde et un positionnement idéologique.
Toutefois, deux stratégies se font face: d'un côté, un choix en faveur d'un discours presque exclusivement identitaire et de l'autre, une stratégie plus "confusionniste", dont l'intérêt selon Tristan Mendès France, enseignant en cultures numériques à l'université Sorbonne-Nouvelle, est de créer "des passerelles" entre extrême droite et extrême gauche.
"Le site Egalité et réconciliation par exemple, traite régulièrement de la question du TTIP (traité de libre échange transatlantique) ou encore du Big Pharma (...) En clair, des thèmes qui pourraient être traités par des médias d'extrême gauche", relate l'enseignant à l'AFP.
Dans la même lignée, le site Agence Info Libre, co-fondé par David Bonapartian et qui propose d'offrir "un regard libre et différent" sur l'actualité, brasse lui aussi un large choix de sujets.
A contrario, Fdesouche, qui fonctionne comme un agrégateur d'informations, ou encore La Gauche m'a tuer se concentrent eux presque exclusivement sur les thématiques identitaires.
"Réinformer les esprits"
Si chacun dispose d'une ligne éditoriale propre, tous partagent le même objectif: "réinformer" les citoyens.
Le concept de "réinformation" n'est pas nouveau. Mais il est promu depuis quelques années par l'intellectuel d'extrême droite Jean-Yves Le Gallou. En 2003, comme acte fondateur, il lance Polémia, un cercle de réflexion qui met sur pied une critique des médias.
En 2010 naissent les Bobards d'or, une cérémonie destinée à dénoncer les journalistes "qui n'hésitent pas à mentir délibérément pour servir le politiquement correct". Deux ans plus tard, il co-fonde l'OJIM (observatoire des journalistes et de l'information médiatique) afin "d'informer sur ceux qui nous informent".
Pour Tristan Mendès France, cette critique des médias vise à "discréditer les journalistes. En optant pour un discours de l'alternative, ils s'assurent les faveurs d'un public déçu ou méfiant des médias traditionnels", décrypte-t-il auprès de l'AFP.
Pourtant, note David Doucet, journaliste et co-auteur de l'ouvrage "Les petits soldats de la réinformation" à paraître le 21 septembre, la "réinformation" est avant tout "un concept marketing car la plupart de ces médias sont des médias d'opinion".
Qu'importe, la "réinformation" est un créneau qui fonctionne: s'il n'y a pas de chiffres officiels mesurant l'audience de ces sites, ils sont souvent cités comme faisant partie des blogs politiques les plus populaires.
Une audience qui attise les convoitises d'un pays en particulier: la Russie, qui voit en la "réinformation" une façon de diffuser sa vision du monde.
Opportunisme russe
Présente en France pendant de nombreuses années à travers le titre "La Voix de la Russie", c'est en 2014 que la Russie modernise son offre française avec le lancement de "Sputnik" -le nom est un pied de nez aux Américains puisqu'il fait référence au premier satellite artificiel mis sur orbite par l'URSS en 1957- un service d'informations multimédia.
Mais c'est le lancement en octobre du site Russia Today, du nom de la chaîne d'information internationale qui émet notamment en anglais, en arabe et en espagnol, qui intrigue.
Doté d'une large palette d'intervenants allant du souverainiste Pierre Lévy, à l'économiste euro-critique Jacques Sapir en passant par le directeur de la publication du droitier Valeur Actuelles, Yves de Kerdrel, il est, selon Nicolas Hénin, auteur de l'enquête "La France russe", adepte du confusionnisme: "la chaîne cultive, sciemment un discours confusionniste, dans le but de faire émerger un souverainiste, même de gauche, favorable à la Russie".
Mais la chaîne ne s'arrête pas là. Pour parfaire son image de média alternatif, elle recrute fin novembre Philippe Verdier, présentateur météo de France 2 licencié après la parution de son livre controversé sur le climat. Une façon de dire que, contrairement aux médias "dominants", elle ne censure pas ses journalistes.
Pour la spécialiste de la Russie Anne Nivat, ce positionnement n'a rien d'étonnant: "les Russes veulent incarner l'alternative dans chaque pays où ils s'implantent et en France, l'alternative selon eux c'est de relayer les thèses de la droite dure".