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C'est la Semaine bio. Des événements sont organisés dans tout le pays pour faire découvrir un secteur en plein boom. Il y a en effet de plus en plus de consommateurs et de producteurs. Mais le bio suscite de nombreuses questions. La rédaction de RTLinfo.be y répond et vous éclaire à travers cinq reportages. Ce vendredi, nous vous expliquons comment les producteurs bio doivent se plier aux exigences de la grande distribution. Une enquête de Lucas Babillotte.
Les scandales alimentaires à répétition, les révélations choquantes sur la production de certains aliments ou la fabrication de certains plats préparés, les résultats de plus en plus inquiétant de l'impact de certains produits de l'agriculture intensive (pesticides, etc.) sur notre santé, les conditions de l'élevage industriel de certains animaux, la menace globale qui pèse sur notre planète, etc. Les raisons qui poussent à acheter des produits bio ne manquent pas. En Belgique, les consommateurs (et, par ricochet, les producteurs) de ces produits plus sains sont chaque jour plus nombreux (voir chiffres plus bas). Vous êtes toutefois encore une très large majorité à ne jamais acheter bio ou seulement à de rares occasions. Les raisons ? Le prix, bien entendu. Mais aussi des interrogations. Parfois même de la méfiance. Derrière tous ces logos et étiquettes verts, qu'est-ce qu'il y a vraiment ? Est-ce que ce n'est pas une arnaque pour nous faire payer plus cher ? La grande distribution est-elle un atout ou un danger pour le bio et sa qualité ? Notre journaliste Lucas Babillotte a enquêté.
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Comment expliquer qu'une pomme bio soit aussi "belle" qu'une pomme non bio ?
Qu’ils soient issus de l’agriculture biologique ou de l’agriculture conventionnelle, les fruits et légumes frais doivent passer par une étape incontournable avant leur commercialisation en magasin: le calibrage. Il s’agit de classer les produits d’une récolte en fonction de critères de poids, de taille mais aussi de "beauté". Cette étape de sélection des produits "esthétiquement commercialisables" a toujours existé en bout de chaîne de l’agriculture bio mais les exigences fixées par les grandes surfaces semblent de plus en plus difficiles à tenir pour les producteurs.
"Les grandes surfaces demandent des choses que nous ne savons pas nécessairement produire, s'insurge Claude, producteur de pommes et poires bios depuis 18 ans, à savoir qu'on ne peut pas avoir une pomme bio aussi cosmétique qu'une pomme classique. En terminant mon lot de pommes, il n'est pas rare qu'aucune pomme ne convienne à Delhaize, tout ça parce qu’ils ne veulent pas de fruits rugueux. On a beau leur expliquer que la rugosité d'une pomme s'explique juste par un stress épidermique qui peut être la conséquence d'un coup de froid, on sait d'avance qu'ils ne les prendront pas. Heureusement, Colruyt les prend, pour moins cher."
Et cette sélection de plus en plus drastique ne s’applique pas qu’aux pommes. "Une pomme de terre avec un petit creux ou des petites taches noires, pour Delhaize ça n'ira pas, déplore Francis. Il faut qu'elle soit régulière et bien formée, elle n'a droit à zéro défaut. Il faut qu'elle soit parfaite ! Les grandes surfaces veulent tout standardiser au même titre que le conventionnel, et cela n'a pas de sens !", estime-t-il.
Entre le conventionnel et le bio, les rendements ne sont, par ailleurs, pas du tout les mêmes. "En bio, on ne peut accepter que ce que la nature nous donne, résultat j'arrive à 45 % de rendement par rapport au conventionnel, estime Claude qui produit entre 180 et 200 tonnes de pommes annuellement. Non seulement on n'a pas les mêmes moyens, mais on ne peut aller contre les gros dégâts, notamment climatiques, que l'on rencontre souvent."
Il est donc beaucoup plus difficile de "maîtriser" l’esthétique d’un fruit ou d’un légume bio que d’un produit issu de l’agriculture conventionnelle. Une telle sélection n’est donc pas sans conséquence. "Il y a parfois 70 % de la marchandise qui ne leur convient pas, 70 % de pertes qui seront rebues ou données à du bétail", regrette Francis. Et cela conduit même parfois à des issues hallucinantes : "La grande surface demande par exemple des choux rouges qui font entre 1,8 kg et 2 kg. Alors qu'est-ce qu'on fait quand on a un chou bio de 2,5 kg ? On lui arrache des feuilles pour arriver à un chou de 2 kg", signale Francis.
Les fruits et légumes bios seraient donc aussi "beaux" que les autres parce que c'est une exigence des distributeurs. "Le problème, c'est que les commerciaux ont totalement perdu le contact avec les producteurs, regrette Claude, le producteur de pommes. C'est pour cela que nous tentons de leur rappeler, de temps en temps, qu'une pomme, non seulement ça vient d'un arbre, mais c'est le "fruit" d'une année de production. Delhaize ne tire pas les prix vers le bas, mais le "beau" vers le haut."
Mis en cause à plusieurs reprises par les producteurs que nous avons rencontrés pour sa politique de sélection des produits bios, Delhaize renvoie de son côté la responsabilité sur le client: "Même s'ils sont bios, les légumes qui présentent des tâches ne se vendent pas. Si on met ces produits dans nos rayons, les clients ne les achèteront pas", affirme Roel Dekelver, en charge de la communication de Delhaize.
Un point de vue partagé par Sylvie Morcillo, directrice de l'Union nationale interprofessionnelle des transformateurs et distributeurs de produits de l'agriculture biologique (Unitrab), pour qui cette politique de sélection, avant d'être une exigence de la grande surface, est avant tout la logique du consommateur : "Je ne sais pas si un consommateur qui voit des produits mal calibrés, des produits moches, serait d'accord de les acheter."
Nadège De Bonte pense de son côté qu’on a besoin de la grande distribution aujourd’hui "parce que c’est la porte d'entrée, c'est l'accessibilité, c'est la proximité, c'est la facilité mais quand les consommateurs cheminent et veulent aller plus loin, ils aboutissent très souvent dans les petits magasins spécialisés bios. Les clients des épiceries savent davantage qu'une carotte n'est pas toujours droite et qu'une pomme a parfois des petites impuretés, mais cela leur importe peu, ils veulent juste avoir la garantie que leur produit est sain et qu'il a été fait dans de bonnes conditions et sans intoxiquer les voisins", affirme-t-elle. Le bio de grandes surfaces serait donc destiné aux "consommateurs bio novices" alors que les petites épiceries bio seraient le lieu de rencontre des consommateurs plus avertis.