Partager:
2020 est une année extraordinaire. Elle a bouleversé beaucoup de choses dans nos vies, souvent en négatif, mais elle a aussi accéléré le développement de certains moyens de communication à distance. On pense bien sûr aux nombreux outils de télétravail (qui connaissait Teams et Zoom en 2019 ?). Le monde de l'enseignement n'y a pas été étranger. En quelques semaines, des milliers d'enseignants et d'élèves ont dû chercher un moyen pour travailler à distance. Et la tâche n'a pas été aisée, car certains partaient du niveau zéro au niveau matériel et logiciel.
En parlant de logiciel, et vous l'ignoriez sans doute, la Belgique est un terreau fertile pour des solutions libres (dont l'accès est gratuit) liées à l'apprentissage à distance.
Nous avons discuté avec Yannick Warnier, un Bruxellois. Il est à l'origine de Chamilo qui est une asbl et un logiciel. Il est aussi le directeur technique de BeezNest, une entreprise qui accompagne les établissements souhaitant utiliser au mieux ce logiciel.
Quelle est l'origine de Chamilo ?
"On a commencé le projet Chamilo en 2010. Avant cela, mon parcours est classique: des études supérieures en informatique, puis j'ai travaillé dans une société de développement de logiciels". S'il s'est orienté vers les logiciels d'apprentissage (appelés LMS pour Learning Management Systems), c'est peut-être car c'était… dans ses gènes : "Mon père était informaticien, et ma mère était enseignante… c'est donc une conséquence naturelle", plaisante-t-il.
C'est quoi, Chamilo ?
Chamilo est un logiciel dit open source, c'est-à-dire que tout le monde peut le télécharger, l'utiliser, le modifier à sa guise, sans payer de licence. "Nous, on développe une solution qu'on fournit gratuitement à tout le monde". Ça, c'est Chamilo, et tout le monde peut le télécharger (via le site officiel). Le logiciel permet de créer des cours en ligne, et agit comme un éditeur de contenus qui peuvent être interactifs, via des exercices notamment.
Au fil des ans, la solution s'est enrichie et est devenue très complète aujourd'hui (gestion des présences, d'un agenda, d'un forum, d'une base de connaissances, etc). Chamilo et BeezNest emploient une grosse dizaine de personnes, "dont une partie en Amérique latine, où Chamilo est bien utilisé". L'équipe est assez réduite, "donc on concentre notre énergie sur le développement, et pas sur le marketing ou la recherche de clients…" Raison pour laquelle Chamilo n'est pas spécialement connu ni du grand public ni des écoles.
Qui utilise Chamilo ?
"Il y a le secteur éducatif, comme des universités, des académies (regroupement d'écoles en France). Elles ont besoin d'un prestataire de service (ce qu'est BeezNest) pour les aider à utiliser efficacement Chamilo". Il s'agit "principalement de clients en France, et très peu en Belgique".
L'autre clientèle, "c'est le côté gouvernemental: on a toute une série d'organisations, d'associations, des ministères, qui utilisent notre logiciel pour former leurs collaborateurs".
Et puis il y a "tout type d'entreprises, actives dans la logistique par exemple, ou bien des call-centers où il y a un gros roulement d'employés, qu'il faut donc former en permanence".
On fait appel à nous pour des raisons de budgets
Les écoles primaires ou secondaires peuvent-elles utiliser Chamilo en Belgique ?
"Oui, elles pourraient le faire tout à fait librement, gratuitement". Mais si elles le font sans accompagnement, "elles ont besoin, par exemple, d'un enseignant avec de bonnes connaissances 'techniques', qui mènera à bien le projet d'implantation, d'utilisation et de soutien de ses collègues".
D'ailleurs, "c'est très souvent comme ça que ça commence: dans le monde, on a plus de 60.000 installations de notre logiciel, alors qu'avec BeezNest, on ne travaille que pour moins de 600 clients, donc moins de 1%".
Tout le monde peut donc le faire tout seul, ou presque. "Il y a un moment où, si les besoins en ressources et en puissance grandissent", si le projet prend beaucoup d'ampleur, "on fait appel à nous pour des raisons de budget, car la gestion de la plateforme demande des moyens humains, des experts pour certains aspects, et généralement les écoles ne les ont pas".
Mais pour la base, dans une école, c'est assez simple, et ça ne nécessite normalement pas d'aide pour les débrouillards. "Les enseignants ont souvent déjà des documents numériques, comme des fichiers Word avec des tableaux et des exercices, et il suffit de les intégrer dans Chamilo".
Et en Belgique, justement, ça marche ?
"Non, on est assez déçu de la Belgique. On a une très grosse activité en Amérique latine, où nous avons une entreprise 'sœur'. Au niveau académique, au Pérou notamment, c'est nettement plus dynamique que ce qu'on constate en Belgique où, depuis le début du confinement, aucune institution éducative n'a fait appel à nous. Or on est belge, on existe depuis 2010 et on est parmi les plateformes d'e-learning les plus populaires, les plus simples à utiliser", avance Yannick.
En tant que parent, ce professionnel avoue être un peu déçu par ce qui a (ou ce qui n'a pas) été mis en place au niveau local en Belgique. "Il a fallu au moins un mois pour qu'il y ait les premiers efforts, et puis c'était parfois 1 heure par jour de visioconférence pour garder le contact, plutôt que d'envisager la continuité de l'éducation de enfants".
Yannick reconnait cependant que "les enseignants ont déjà beaucoup de travail: gérer 25 enfants, corriger le soir à la maison, il y a vite un trop-plein".
Nous ne voulions pas imposer de logiciels
Où en est la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
En réalité, la Fédération Wallonie-Bruxelles a pris les choses en main assez rapidement au niveau de l'enseignement à distance. Mais les mesures qui datent du mois d'août 2020 étaient des propositions, non contraignantes.
"Nous ne voulions pas imposer de logiciels, chaque école fonctionne comme elle le souhaite. Beaucoup d'entre elles avaient déjà développé des choses qui fonctionnent très bien, donc on n'estime qu'il ne faut pas imposer un logiciel à tout le monde", nous a répondu Jean-François Mahieu, responsable de la communication de Caroline Desir, ministre de l'Education.
Rien n'est imposé, mais pour tous les établissements qui le souhaitent, "on a mis une plateforme à disposition, il s'agit de Happi, qui est basé sur le logiciel open source Moodle", un concurrent de Chamilo, d'origine australienne, et qui a globalement le même principe de fonctionnement.
"Happi prévoit de nombreuses fonctionnalités modulables qui permettent aux enseignants de créer des cours en ligne, suivre les apprentissages, communiquer et partager des ressources", dit une circulaire envoyée le 21 août aux écoles, et qui donne des détails du fonctionnement et de la mise en place par les écoles.
La plateforme Happi a été développée en interne, par l’ETNIC, le partenaire informatique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. "Au vu des enjeux de la transition numérique dans l’enseignement, l’Administration générale de l’Enseignement (AGE) a sollicité l’ETNIC pour concevoir un outil d’apprentissage inter-réseaux ouvert à tous les établissements scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles. La mise en place d’un tel projet fut accélérée avec la crise sanitaire qui a pour conséquence d’augmenter les pratiques d’enseignement à distance", explique l'ETNIC. "Pour ce projet, l’ETNIC s’est chargée d’héberger un logiciel, de le paramétrer en fonctions des besoins de l’AGE et d’en assurer la maintenance. L’ETNIC a aussi collaboré avec le Service général du Numérique éducatif pour le graphisme de l’interface".
Pourquoi Moodle ?
Pourquoi se baser sur un logiciel australien plutôt qu'une solution belge ? "Le choix s'est posé dans un contexte un peu particulier: il fallait développer une solution en un temps record", nous a expliqué François Brixy, membre du service général du numérique éducatif. "Moodle est très largement utilisé au niveau mondial, la plateforme a une grande communauté très active et des millions d'utilisateurs. Cela nous garantissait une solution éprouvée, pérenne, évolutive, modulaire et durable". Un autre élément était essentiel: "la garantie des droits des utilisateurs, de la sécurité de leurs données personnelles et donc de leur vie privée".
François Brixy précise également "que l'ETNIC avait déjà une expérience d'utilisation de Moodle pour différents services de la Fédération Wallonie-Bruxelles", et qu'il était donc logique, dans l'urgence, de continuer à l'utiliser.
Selon les derniers chiffres que nous avons obtenus de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Happi compte déjà 234.825 utilisateurs répartis dans 816 établissements.