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Une ronde contre une "justice débordée" face aux violences machistes

A l'image des Mères de la place de Mai réclamant les disparus de la dictature argentine, elles tournent aux marches du palais de justice de Toulouse, en une Ronde des femmes en colère contre le traitement judiciaire des violences conjugales et sexuelles.

"Une justice débordée, des femmes en meurent", "Ras-le-viol", "Justice de l'entre-soi, patriarcale avant tout", "Françoise, 42 ans, égorgée par son compagnon": des pancartes sont déposées sur le parvis, scotchées sur un abri d'autobus, brandies à bout de bras.

A midi, les sirènes de la protection civile retentissent. Un signal chargé de symbole.

La Ronde s'ébranle. Comme chaque premier mercredi du mois, elle rassemble des femmes de tous âges, féministes de la première heure ou de la nouvelle génération, mais aussi survivantes.

"Mon ex-mari m'a battue plusieurs fois, même quand j'étais enceinte", confie à l'AFP Enza, 47 ans, mère de deux filles de six et huit ans, qu'elle évoque avec tendresse.

La sono crache "Résiste!" de France Gall, des femmes dansent, lèvent le poing, scandent: "Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère!"

- Les jambes noires de coups -

Enza, qui préfère taire son nom, poursuit son récit glaçant: "La petite prenait de grosses claques quand elle l'empêchait de dormir". "C'était psychologique aussi. Il répétait aux filles qu'elles étaient nulles."

Chaque année, plus de 200.000 femmes subissent des violences conjugales, 102 en sont mortes en 2020 selon le ministère de l'Intérieur.

Avant qu'il ne soit trop tard, Enza a pu dire "stop". Le père de ses enfants l'avait "tabassée sur les jambes au point qu'elles étaient noires", mais parce qu'ainsi "ça se voyait moins que sur la tête".

C'était en novembre 2018. Paralysée par la peur, elle ne dépose une plainte que trois mois plus tard. Les traces des coups ont disparu. "Il n'y a pas eu de suites (...) Il a été en garde à vue et c'est tout", déplore-t-elle.

Malgré le vent, la pluie qui menace, la Ronde des femmes en colère en réunit une vingtaine ce mercredi de mars. Elle tourne pendant une heure, pour la 25e fois.

L'idée a surgi en 2019 du combat de Carole Elicha Giraud, aujourd'hui âgée de 57 ans et alors en grève de la faim devant ce même palais pour dénoncer une "enquête bâclée" après la mort, onze ans plus tôt, de sa fille Sarah.

"Je suis là à sa mémoire." "Ma petite venait d'avoir 19 ans (...) elle avait des traces de 40 coups avant la mort et 20 après." Son compagnon "a fait croire qu'elle s'était suicidée avec des cachets (...) Il s'en est tiré juste avec un bracelet électronique", lâche-t-elle.

- Plutôt se battre qu'être battue -

A ses côtés, Françoise Courtiade, 72 ans, explique comment le Collectif Midi-Pyrénées pour les droits des femmes (CMPDF) a accompagné Carole et lancé cette action récurrente pour "une meilleure prise en compte des violences faites aux femmes par le système judiciaire".

Si des représentantes de la Ronde ont été reçues deux fois, à leur demande, par des membres du parquet, elles regrettent des "magistrats enfermés dans leur tour d'ivoire". "Aucun ne s'est jamais dérangé pour savoir ce qu'on faisait là!", s'indigne Claudine Salvaire, 72 ans, présidente du collectif.

Le ministre de l'Intérieur Gérard Darmanin a noté en janvier une hausse de 33% des enregistrements des violences sexuelles l'an dernier, saluant une "meilleure prise en compte de ce sujet par les forces de l'ordre".

Mais pour les militantes d'Osez le féminisme (OLF), telle Estelle Grossias, 27 ans, trop de plaintes sont négligées, "seulement 30% sont traitées".

"Les dysfonctionnements de la justice ont des conséquences meurtrières", renchérit Enora Lamy, 24 ans. "Notre objectif, c'est de mettre un coup de pied dans la fourmilière!"

La Ronde s'arrête. Les femmes qui, même pendant les confinements du Covid, ont tourné "virtuellement", se donnent rendez-vous au mois prochain mais aussi "à la manif du 8 mars".

Car la lutte continue. "Il vaut mieux se battre qu'être battues!", souligne Enza. "A la première main qui se lève, ajoute Carole, il faut partir et surtout en parler, ne pas avoir honte parce que le silence tue!"

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