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Le mouvement Black Lives Matter et une nouvelle pétition visant à retirer les statues de Léopold II de l'espace public ont relancé les actes de vandalisme et les discussions sur les représentations dans l'espace public à la gloire des acteurs du passé colonial de la Belgique ainsi que le lien entre ce passé et le racisme persistant aujourd'hui.
Un buste de Léopold II a été vandalisé square du Souverain, sur le boulevard du Souverain à hauteur de l'avenue Jules Génicot à Auderghem. La statue a été mise à terre et de la peinture rouge a été coulée dessus. Une photographie de Patrice Lumumba, une figure de l'indépendance du Congo belge et Premier ministre de la République démocratique du Congo en 1960, a été posée à sa place sur le socle.
Une activiste, qui fait partie du groupe à la base de cette action, s'est exprimée dans C'est pas tous les jours dimanche. "Cette statue méritait de tomber, il était temps. Cette statue-là, comme l'ensemble des statues de Léopold II, mérite une seule et unique place et elle est au musée et pas dans nos rues", a expliqué une activiste qui a fait basculer la statue. Pour cette dernière, "la réflexion ne peut se faire que par des parcours pédagogiques et quand il y a une commission mixte avec des personnes concernées. Mais avoir cette statue dans l'espace public comme symbole d'une époque figée et de violence qui a terni la dignité de milliers d'êtres humains ça n'a pas de sens", a-t-elle dit.
Aux personnes qui disent que ces activistes n'aiment pas la Belgique, cette dernière répond: "Si on aime la Belgique et d'ailleurs on est tous Belges donc la Belgique, on l'aime. Ce n'est pas vraiment ça le débat, le débat est de savoir regarder quels sont les symboles et les versions de l'histoire qui ont été décidées d'être gardées et représentées dans nos villes", a ajouté l'activiste.
"Il y a des personnes qui préféreraient que cette histoire belge reste dans le sang et la violence et qu'elle ne soit jamais adressée", a-t-elle précisé. "Ce qui se passe maintenant est de l'action directe. Si tu demandes quelque chose depuis des siècles et qu'on ne te l'accorde pas, à un moment donné tu prends tes mains et ton équipe et tu y vas toi-même", a lancé l'activiste.
"Si nous avions été entendus, si il y avait eu une action concertée avec les pouvoirs publics, ça aurait été beaucoup plus simple et beaucoup plus vertueux. C'est l'inaction politique qui nous mène à intervenir aujourd'hui", a expliqué la femme.
"Je condamne fermement ces actes de vandalisme"
La statue de Léopold II située sur la place du Trône à Bruxelles a été vandalisée plus tôt dans la semaine, de même qu'une autre de ses effigies à Ekeren. Si à Ixelles, le bourgmestre Christos Doulkeridis (Ecolo) fait valoir que la statue du général Storms quittera l'espace public pour finir au musée, mais que, selon lui, la même logique ne pouvait pas s'appliquer avec un souverain belge.
Le bourgmestre d'Auderghem Didier Gosuin (DéFI) n'a pas l'intention, quant à lui, de retirer des sculptures ou de débaptiser des rues. "Ce n'est pas comme ça qu'on fait avancer la démocratie et ce n'est pas comme ça non plus qu'on fait évoluer l'histoire", selon lui. "Je ne supporte pas d'entendre, 'Je demande quelque chose même depuis un certain nombre d'années, l'état ne me le donne pas donc j'agis et je me fais justice moi-même'".
Il va cependant envoyer un courrier au fédéral pour demander à la Première ministre de réunir un collège d'experts et d'historiens afin de proposer un récit conforme à diffuser dans les manuels scolaires et l'espace public.
"Je condamne fermement ces actes de vandalisme et je ne crois pas qu'ils facilitent une lecture raisonnée de l'histoire, au contraire", souligne-t-il. "Je ne nie pas la nécessité d'avoir une lecture objective de l'histoire coloniale, mais ce n'est pas aux communes de faire cela. C'est à l'Etat fédéral de réunir un collègue d'experts et d'historiens pour qu'ils proposent une lecture qui ne serait pas celle faite par les colons. Changer le récit doit se faire de manière apaisée, pas dans le conflit".
"Mais où va-t-on ?"
Ixelles a le boulevard Général Jacques, qui était au service de Léopold II, ou le métro Pétillon, qui était un major au service de Léopold II au Congo. On peut aller plus loin en s'en prenant à des symboles religieux parce qu'au nom de la religion des atrocités ont été commises, mais où va-t-on ? Effacer tout ce qui nous déplaît dans l'histoire ne la fera pas changer. C'est le récit, ce qui est transmis aux générations, qui doit changer.
Des mises en contexte pourraient rappeler les parts d'ombre et de lumière à côté de certaines statues et noms de rue. Si certains commencent à se masquer pour commettre des actes de délinquance au nom de sa vérité, croient qu'ils peuvent sortir de l'Etat de droit pour faire avancer sa thèse, ils font reculer la démocratie".
Il estime que, les peuples sont lents à admettre des vérités, le temps de la compréhension au niveau des individus n'étant pas le même qu'au niveau collectif. "On doit à Napoléon le code civil et de grandes avancées, mais aussi une barbarie et des massacres pour assouvir sa folie impériale", continue Didier Gosuin. "Il figure partout dans l'espace public français. Les Français n'ont pas encore à son égard un recul suffisant, même si on ne glorifie plus Napoléon de la même manière aujourd'hui. Ceux qui ont eu du pouvoir dans l'histoire ont rarement été des saints".