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Une procession de dizaines de juges de la Cour suprême en toge doit accompagner mercredi matin leur présidente arrivant à son bureau, lors d'une manifestation inédite contre la réforme de leur institution, mal vue également à Bruxelles.
La magistrate, Mme Malgorzata Gersdorf, est entrée mardi en résistance ouverte contre le pouvoir politique, en refusant de prendre sa retraite comme le veut la réforme menée par les conservateurs du parti majoritaire Droit et Justice (PiS).
Le conflit entre la majorité des juges de la Cour suprême - dont 27 risquent eux aussi d'être mis d'office à la retraite - et le pouvoir politique s'inscrit dans un différend plus vaste opposant Varsovie à la Commission européenne à propos de réformes judiciaires lancées au nom d'une plus grande efficacité de la justice.
Ces réformes sont perçues par leurs adversaires comme allant à l'encontre du principe de séparation des pouvoirs, au profit du pouvoir politique.
Egalement critique à leur égard, la Commission européenne a lancé lundi une procédure d'infraction d'urgence contre Varsovie. Celle-ci pourrait aboutir, après plusieurs étapes, à la saisie de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et à des sanctions financières.
A Varsovie, Mme Gersdorf a été reçue mardi par le chef de l'Etat. Le président Andrzej Duda, sans lui remettre un document l'informant formellement de la fin de ses fonctions, le lui a signifié implicitement, annonçant qu'un juge de la Cour Suprême, Jozef Iwulski, allait assurer l'intérim à la tête de l'institution, en attendant l'élection de son successeur en titre.
- "Un bon juge" -
Un coup de théâtre s'est alors produit, Mme Gersdorf annonçant qu'elle avait désigné le même juge, non comme son successeur mais comme son remplaçant "pendant son absence". Elle a précisé par la suite qu'elle comptait prendre des vacances.
Avec humour, elle a dit aux journalistes, après la rencontre avec M. Duda, qu'elle avait trouvé un consensus avec lui sur un point, à savoir que M. Iwulski "est un bon juge".
Des experts interrogés par les médias polonais ont estimé que Mme Gersdorf avait bien mené son jeu: la désignation d'un remplaçant est cohérente avec sa vision de la réforme, qu'elle refuse, la jugeant en partie inconstitutionnelle.
Tandis que la démarche de M. Duda a paru moins limpide: en effet, M. Iwulski est âgé de 66 ans, autrement dit il devrait être lui aussi mis d'office à la retraite et non désigné pour diriger la Cour suprême.
Il a, certes, demandé au chef de l'Etat de poursuivre son travail, comme l'y autorise la loi, mais il l'a fait en se basant sur la Constitution et le principe d'inamovibilité des juges et non selon la procédure prévue par la réforme signée par le président.
Des groupes d'opposition ont appelé les Varsoviens à venir à la Cour suprême mercredi matin pour soutenir les juges contestataires.
Mardi soir déjà, entre quatre et cinq mille manifestants, selon les estimations des journalistes de l'AFP, se sont rassemblés devant le siège de la Cour suprême pour témoigner de leur soutien à sa présidente.
Venue les remercier, Mme Gersdorf a été applaudie lorsqu'elle a réaffirmé qu'elle resterait à son poste "jusqu'en 2020", conformément à son mandat de six ans inscrit dans la constitution.
Le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, considéré comme le principal décideur du pays derrière le gouvernement et le parti conservateur, a estimé mardi dans une interview que le défi des juges allait s'achever "à long terme par leur défaite désastreuse".