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Yves a contacté la rédaction de RTLinfo via notre bouton orange Alertez-nous avec ce qu'il pensait être un scandale. "Les conseillers communaux de la commune de Cerfontaine sont payés 300€ de l'heure. 100€ de jetons de présence pour des conseils communaux qui durent moins de 20 minutes", dénonçait-il.
Entre 63,46€ et 214,77€ brut par jeton de présence
Pour tenter de calculer le "salaire" moyen d'un conseiller communal en Belgique, il faut premièrement savoir qu'ils sont payés en jetons de présence et non en salaire. Ces jetons, ils ne les touchent que lorsqu'ils assistent effectivement à une réunion du conseil communal ou à une de ses commissions. S'ils sont absents, ils ne touchent rien. Et le total de leurs jetons de présence de l'année leur est versé une fois par an.
La valeur du jeton de présence n'est pas fixe, chaque conseil communal la détermine dans une fourchette dictée par l'organe de tutelle, les Régions.
En Wallonie, le code de la démocratie locale stipule que la valeur du jeton devra être, dès l'indexation du 1er novembre prochain, comprise entre 63,46€ et 213,36€ brut, soit la valeur du jeton dans les conseils provinciaux.
À Bruxelles, la limite inférieure est la même qu'en Wallonie : 63,46€ brut. La limite supérieure, elle, correspond "au montant le plus élevé de l’échelle de traitement des assistants administratifs de la fonction publique de l’État fédéral, majoré ou réduit en application des règles de liaison à l’indice de cette échelle, puis divisé par 180". Concrètement, cela représentera 214,77€ au 1er novembre.
Un jeton de présence moyen à 102,92€ brut
Nous avons reçu les informations de plus de 100 conseillers communaux qui siégeaient durant cette législature qui touche à sa fin, chacun dans une commune différente. Ils ont accepté de nous dévoiler la valeur de leur jeton de présence.
Quelles conclusions tirer de ces données?
- Aucune commune n'atteint le plafond. Au contraire, la valeur du jeton de présence est souvent plus proche de la limite inférieure que l'inverse.
- Sur la centaine de communes répertoriées, la valeur moyenne du jeton de présence est de 102,92€.
- Certaines communes n'ont même pas respecté l'indexation. Dans 6 d'entre-elles, le jeton de présence était ainsi en-dessous de la valeur minimale indexée de 63,46€ brut, avec le jeton le moins bien payé à 49,58€. A l'inverse, seules 2 communes s'approchaient de la limite supérieure, avec un jeton maximal à 206,55€.
- On constate aussi qu'en général, les conseils communaux fixent un prix "rond" en début de législature : 65€, 75€, 80€, 90€, 100€ très fréquemment, 120€, 125€ ou 150€, et ne l'indexent pas forcément au cours de celle-ci.
- On découvre enfin que la valeur du jeton de présence n'est en rien liée à la taille de la commune. Le jeton le plus cher à 206,55€ se trouve par exemple dans une commune rurale et campagnarde de moins de 8000 habitants, alors qu'une des communes sous le barème compte 2 fois plus d'habitants et est fortement urbanisée. Il faut cependant reconnaître que les grandes villes offrent en général des jetons de présence légèrement au-dessus de la moyenne.
Ramené à un salaire mensuel, ça ne fait que 128,65€ brut par mois
Combien de fois touchent-ils ces 102,92€ ? En moyenne, sur la centaine de communes analysées, on arrive à 10 conseils communaux par an, soit un par mois sauf en juillet – août, ce qui est le minimum légal. Mais certaines communes montent exceptionnellement à 13, et d'autres n'en ont tenu que 7. Cela représente donc en moyenne 1029,2€ par an.
Des commissions qui font gagner un peu plus
À cela, il faut ajouter en moyenne 2 commissions par conseil dans les communes fort peuplées. Mais dans les plus petites communes, qui sont majoritaires, on est clairement en-dessous de ce nombre. On n'en a dénombré que 2 l'année dernière par exemple dans la moins "occupée". Mais c'est monté jusqu'à 50 dans une autre. De plus, les jetons de présence à ces commissions peuvent avoir une valeur moindre, parfois la moitié voire la tiers d'un jeton au conseil communal, ou même ne donner droit à aucun jeton de présence. Il devient dès lors difficile d'établir une moyenne.
Nous compterons donc 10 commissions aux 2/3 de la valeur d'un jeton pour se rapprocher de la réalité, soit 686,13€ par an.
On peut donc établir une moyenne de revenus par an à 1715,33€ brut pour un conseiller communal, ou 142,94€ brut par mois.
Des rétrocessions qui font perdre un peu plus
De plus, certains rétrocèdent tout ou une partie de ces revenus à leur parti, leur groupe politique ou leur locale. Les élus PTB, par exemple, s'ils ont un travail à côté et gagnent donc déjà un salaire moyen de travailleur, rétrocèdent 100% de leurs jetons de présence au parti. Chez Ecolo, une feuille de calcul obligatoire dicte combien chaque élu rétrocède au parti. Selon nos statistiques, les conseillers communaux écologistes rétrocèdent en moyenne 28% de leurs jetons de présence. Au PS, chaque élu doit normalement reverser 10% de ses rémunérations brutes au parti. Les conseillers communaux FDF rétrocèdent eux-aussi en moyenne 10%. Au cdH cela se décide au niveau des sections locales, avec des pourcentages variables de 0% à 10% en passant par 5%. Enfin au MR, ce sont les fédérations provinciales qui fixent le montant des rétrocessions, mais elles ne sont généralement pas obligatoires pour les conseillers communaux. Certaines locales ou groupes, indépendamment de la couleur politique, s'organisent cependant pour constituer un pot commun qui permet, par exemple, de financer les campagnes électorales.
Enlevons donc encore 10% de moyenne par mois au salaire de notre conseiller communal type, et on arrive à environ 128,65€ brut par mois.
Trois heures de conseil communal qui cachent "un quart temps"
"Cette "rémunération" recouvre pour être correcte et complète bien plus que notre "simple" présence en séance de conseil...", fait remarquer Anne Beghin, cheffe de groupe Ecolo à Genappe.
La durée moyenne d'un conseil communal est d'environ 3 heures selon les témoignages recueillis. Ils vont de 1h30 à 5h, et globalement, plus la commune est peuplée, plus les points à débattre et les conseillers à intervenir sont nombreux, et donc la durée des conseils aussi.
Mais ces 3h dix fois par an cachent un énorme travail de préparation et de représentation. Tous les conseillers communaux interrogés sont unanimes là-dessus. Ce travail supplémentaire comprend:
- La lecture des pièces, dont l'analyse des PV du Collège, "soit de 2 à 4hr de lecture à la maison communale", estime Xavier Losseau, conseiller communal IC (cdH) à Thuin.
- Les réunions de groupe politique (avec son équipe, le président de la locale, des sympathisants éventuels)
- La recherche d'éléments explicatifs supplémentaires (déplacements sur le terrain, contacts avec des experts, contacts avec les services communaux concernés)
- La préparation et rédaction des interventions ou des motions, qui ne peut pas s'étaler dans le temps. "Nous recevons la convocation 10 jours francs avant la date du conseil (en-dessous de ce délai, ce serait illégal). Nous avons donc très peu de temps pour faire notre travail", note Sophie Agapitos, seule conseillère communale Ecolo à Orp-Jauche. "Pour les conseillers d'opposition, seuls ou en groupe, le travail pour "rentrer" dans les dossiers est plus long que celui des bourgmestres et échevins qui, eux, "baignent" dedans. Dans un groupe d'opposition présent au conseil communal, les conseillers se partagent souvent le travail. Mais quand on est seul, on doit faire une grosse partie du travail en solo, puisque seuls les conseillers ont accès à la fameuse farde qui contient les documents complets."
- La rédaction de communiqués de presse en lien avec les interventions
- Le cas spécifique du budget, voté une fois par an : un conseil communal qui souvent dure deux fois plus longtemps que d'habitude et "qui représente des centaines de pages d'annexes", précise Jean-Pierre Graisse, conseiller communal Ecolo de Bertrix.
"Il faut ajouter par séance environ 10h de préparation", résume Marc Generet, chef de file 7avecvous (cdH) à Manhay. Même son de cloche du côté de Claude Demanez, chef de groupe MR à Chièvres: "C'est une masse de travail que j'évalue à une centaine d'heures par an, et je ne parle que des dossiers et de leur étude".
Car après avoir préparé le conseil communal, d'autres réunions liées à leur mandat politique les attendent.
- Les commissions (rémunérées ou non)
- Les assemblées générales d'intercommunales ou d'ASBL para-communales dans lesquelles ils siègent au Conseil d'administration. "Je participe à environ 30 à 40 réunions non rémunérées" par an, estime ainsi Marc Bourgeois, conseiller communal Ecolo à Limbourg.
En plus de ce travail, le conseiller communal doit être présent dans la vie de sa commune. Il doit :
- Assister à des événements locaux (fêtes de villages, carnavals, fêtes d'écoles, soupers, inaugurations, noces, nouveau-nés, réponses aux interpellations des citoyens, …)
- Réaliser des tracts politiques
Si le temps total consacré au mandat de conseiller communal varie bien entendu en fonction de l'implication du mandataire, il est donc bien plus important que simplement les quelques heures passées en conseil communal. "J’estime que l’exercice de ce mandat demande environ un quart temps", résume Xavier Desgain, chef de groupe Ecolo à Charleroi.
Beaucoup d'argent dépensé également
En plus du temps, le mandat demande aussi de l'argent. La présence sur le terrain coûte parfois cher, avec les fleurs offertes lors de décès, l'impression des toutes-boîtes, etc. Et quand un partie des jetons ne sert pas à financer la campagne électorale, "le conseiller communal doit engager des dépenses importantes au moment des élections qui ne sont remboursées par personne", ajoute Didier Hellin, chef de file idOhey, à Ohey.
Le tout sans aucun défraiement : "Aucun avantage en nature, aucune mise à disposition de personnel, aucun remboursement de frais de voiture personnelle", détaille Etienne Bertrand, chef de file cdH à Sombreffe.
Résultat : "Ce qu’on a touché comme jeton de présence est rapidement englouti et souvent largement dépassé", constate Marc Bourgeois. "Pour un conseil communal, je fais un plein d'essence", ironise de son côté Daniel Schutz, conseiller communal indépendant à Habay.
Les jetons de présence ne représentent donc vraiment pas de quoi faire vivre une famille, ni même une personne seule. "Il est tout à fait impossible de vivre du salaire perçu comme conseiller communal", assure Gian-Marco Rignanese, conseiller communal Ecolo à Hamme-sur-Heure-Nalinnes.
Un travail sur le côté est obligatoire
Le constat est simple selon Etienne Bertrand : "Un élu local simple conseiller communal est obligé d'avoir une autre activité professionnelle".
Voilà pourquoi tous les conseillers communaux contactés ont un autre travail à côté. Sur les 96 conseillers communaux qui ont accepté de nous révéler leur métier, on répertorie :
- 24 indépendants ou profession libérale (7 avocats, 4 dans le secteur médical, un chef d'entreprise, un administrateur de sociétés, un agriculteur, un entrepreneur ou encore des consultants ou conseillers)
- 16 fonctionnaires ou employés dans une entreprise publique (5 régionaux, 2 fédéraux, un local, un européen, certains travaillant chez bPost, à la SNCB , au TEC, ou encore 2 directeurs d'une intercommunale ou d'un service d'Aide à la Jeunesse)
- 10 actifs en politique (un ministre communautaire, deux députés régionaux, un collaborateur de ministre, des conseillers de cabinets ou provinciaux ou encore un secrétaire politique)
- 15 actifs dans l'enseignement (dont 13 enseignants, un éducateur et une conseillère pédagogique)
- 15 employés dans le privé
- 15 retraités
- 1 chercheur d'emploi
Conclusion : aucun conseiller communal ne le devient pour l'argent
"Au vu des heures de travail que l'analyse des dossiers nécessite, je pense que nous devons tourner à +/- 5€ de l'heure", estime Pierre Pirard, chef de file Commune Passion (MR) à Sainte-Ode. Pour Anne Beghin, "la "rémunération" des conseillers communaux est de l'ordre du symbolique."
Jean-Louis Verboomen, chef de groupe Ecolo à Waterloo, va dans le même sens: "Dans le cas de quelqu’un qui est uniquement conseiller communal et qui s’investit pour sa commune, on parle de quelque chose qui s’apparente à du bénévolat et un hobby."
Beaucoup d'argent perdu pour les indépendants
Pire, pour les indépendant ou les professions libérales. "Faire de la politique me coûte de l'argent", assure Jean-Marie Hoff, conseiller communal cdH à Morlanwelz et chef d'entreprise. Idem pour Jean-Marie Fafchamps, conseiller communal cdH à Pepinster, retraité mais indépendant complémentaire: "Le mandat de conseiller communal me coûte plus qu'il ne me rapporte."
Du côté des avocats, la perte est encore plus sèche : "Tout le temps consacré à la commune ne l'est pas à mes dossiers. Mon mandat de conseiller communal me coûte donc de l'argent, mais je le savais avant de commencer", explique sans regrets Laurent Masson, conseiller communal Ecolo à Lasne. Sébastien Humblet, chef de groupe ALN (MR) à Assesse confirme : "Si je devais comptabiliser les heures consacrées à la commune par rapport aux “revenus”, au lieu de travailler pour mon bureau et générer des honoraires pendant ce temps-là, il est clair que j’ai “perdu” beaucoup d’argent. Nombre d’élus sont dans mon cas. Mais il ne faut pas s’en plaindre puisque c’est un choix. Et aussi (avant tout) celui de l’électeur."
Quand on combine conseillère communale, avocate et mère de famille, le temps perdu s'ajoute à l'argent, fait remarquer Cécile Dascotte, cheffe de groupe Ecolo à Colfontaine : "Ces mandats ont eu un impact plus négatif que positif sur mes revenus professionnels, puisque je n’ai tout simplement pas pu consacrer le temps dévolu à la politique à mon activité professionnelle d’avocate "généraliste". Sans compter le temps que je n’ai pas consacré à ma famille, à cause des multiples réunions politiques en soirée."
Pour un avocat, même un poste d'échevin ne suffit pas à combler la perte financière. "Lorsque j’ai exercé un mandat au sein du Collège communal, de 2006 à 2012 (échevin durant 2 ans puis président de CPAS durant 4 ans) au cours de la précédente législature, j’affirme que j’ai perdu de l’argent", explique Benoît Closson, chef de file Avec Vous (MR) à Wellin. "L’ensemble des mandats publics m’a rapporté environ 40.000€ brut par an. J’ai dû compenser mon manque de temps par l’engagement de personnel complémentaire au sein du cabinet. Étant moins présent au cabinet, mon chiffre d’affaire a considérablement diminué au cours des 6 années concernées. Il suffit de comparer mes déclarations fiscales sur 12 ans, c’est assez édifiant."
Croire ou laisser croire qu'ils gagnent 300€ de l'heure les attriste
"Honnêtement, si quelqu'un pense se faire riche en étant conseiller communal qu'il passe son chemin", résume Renaud Brion, conseiller communal OSE à Gouvy.
Une réalité que les citoyens ne connaissent souvent pas, mettant tous les politiciens dans le même panier, déplore Etienne Bertrand : "Voilà 29 ans que j'exerce un mandat de conseiller communal de Sombreffe sans discontinuer. J'en ai été le bourgmestre durant 12 ans. Des milliers d'élus locaux, le plus souvent de petites communes comme la mienne, n'ont pas d'objectif financier ni d'enrichissement en travaillant comme élu local et certainement pas comme conseiller communal… contrairement à ce que pensent bien des citoyens aujourd'hui. Ce qu'on n'imagine pas où beaucoup moins, c'est que des élus locaux mettent de leur poche pour leur cadre de travail. En ce qui me concerne, j'ai à l'époque meublé à mes frais mon bureau avec des fauteuils pour recevoir mes invités, acheté ma lampe de bureau, un halogène et même les plantes vertes... cela a l'air ridicule mais la population ne se rend pas compte de cette réalité-là et c'est bien dommage".
"Je conseillerais à tous ceux qui critiquent de venir passer un moment en compagnie d'un mandataire, pour s'informer et se rendre compte de la réalité", ajoute Andrée Debauche, conseillère communale Ecolo à Chastre. "Nous en avons assez d'être pointés du doigt comme "malhonnêtes" et nous sommes fiers malgré tout de nous être engagés en politique. Je suis prête à accueillir une personne à travailler avec moi la semaine qui précède un conseil, à me suivre dans mes déplacements et réunions de préparation diverses. Je ne sais pas si beaucoup sont prêts à le faire à ce tarif-là."
Pourquoi le faire? Par civisme, par conviction
Maintenant qu'il est établi qu'on ne devient pas conseiller communal pour s'enrichir et que cela ne rapporte même rien, voire leur coûte de l'argent, qu'est-ce qui les fait continuer? "Être conseiller, c'est aussi participer à la vie communale. C'est, de plus, être à l'écoute de ses concitoyens et répondre dans la mesure du possible à leurs attentes fondées. C'est aussi une profonde satisfaction d'être acteur, avec plus ou moins de talent et de réussite, dans la vie en société et non de la subir", conclut Xavier Losseau.
Plus facile quand on est dans la majorité
Il y a tout de même un cas de figure où un conseiller communal peut avoir moins de travail : s'il est dans la majorité. La plupart de nos interlocuteurs sont en effet dans l'opposition, d'où leur implication en temps. Mais quand on "fait le nombre" au sein de la majorité, c'est parfois moins prenant. "Certains conseillers sont présents aux séances du conseil communal mais ne participent pas au débat", note l'une d'eux. "Cela ne signifie pas qu’ils ne préparent rien, mais qu’ils ne peuvent pas parler car c’est le poids de la particratie qui transforme les conseillers communaux élus dans la majorité en simples presse-boutons."
Ce qui n'enlève aucunement le fait que ces mêmes conseillers communaux gagnent tout aussi peu que ceux de l'opposition.



















