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Il est 18H00 tapantes à Nouméa: le couvre-feu nocturne débute. Comme chaque soir depuis les premières violences lundi, les amas de ferraille, branchages et autres plaques de tôle sont replacées au milieu de la chaussée en guise de barricades.
La scène se reproduit à l'identique dans tous les quartiers résidentiels de la capitale calédonienne, aux prises depuis trois jours à des émeutes qui ont fait cinq morts et ravivé le souvenir de l'insurrection indépendantiste des années 1980.
Ces barricades sont érigées par des groupes de résidents des quartiers européens qui se présentent comme "comités de quartier" ou "voisins vigilants" et contrôlent les accès à leur quartier ou à leur rue.
Certains se contentent d'un coup d'œil rapide au conducteur qui souhaite passer, d'autres inspectent en détail les habitacles en y braquant la lampe de leur téléphone portable. A certains endroits, ils interdisent même totalement la circulation.
Une entrave à la liberté de circuler qui se double d'une violation objective du couvre-feu.
Sur les barrages, les armes à feu sont discrètes, mais présentes. L'arsenal va du bâton et de la barre de fer à l'arme semi-automatique, en passant par le pistolet à balle en caoutchouc ou l'arme de chasse de tous calibres, a constaté une journaliste de l'AFP.
Ceux qui tiennent les barricades et les "checkpoints" (points de contrôle, NDLR) estiment "ne pas avoir le choix". "Il faut bien se défendre", estime Annie, la quarantaine, qui n'a pas souhaité révéler son patronyme. "On ne va pas se laisser voler, piller ou que sais-je encore..."
Sur ce barrage du quartier de la Baie de l'Orphelinat, Sophie assure que "les forces de l'ordre sont au courant, elles sont passées nous voir".
La quadragénaire n'est pas armée mais, s'il le faut, elle prendra "un caillou, n'importe quoi, pour se défendre". "Mais seulement si on m'attaque", ajoute-t-elle, "je ne suis pas là pour en découdre".
- "Contre-barrage" -
Jeudi, le représentant de l'Etat dans l'archipel français du Pacifique-Sud, Louis Le Franc, a rappelé que le couvre-feu s'imposait à "tout le monde", même pour ces groupes de défense civile improvisés.
Sans succès, à en croire le nombre de personnes mobilisées le soir-même.
"Les policiers nous ont dit qu'ils étaient débordés, qu'ils ne pouvaient pas être partout et que c'était bien que nous sécurisions notre quartier", argue un homme requérant l'anonymat sur un "contre-barrage" du quartier de Tuband.
Pourtant, en plus des deux gendarmes décédés, trois personnes, de jeunes Kanak âgés de 17 à 32 ans, ont été tuées lors d'affrontements. Et pas par les forces de l'ordre, a souligné M. Le Franc.
Nouméa bruisse de rumeurs sur des milices qui, comme dans les années 1980, se lanceraient à la chasse aux Kanak. Ces bruits ont provoqué la panique dans la communauté autochtone.
A la Vallée-du-Tir, un quartier populaire aux premières loges des affrontements entre forces de l'ordre et émeutiers, Gabriel, T-shirt noir et coupe de cheveux afro, a mis en place un "checkpoint" avec d'autres jeunes kanak.
Branchages, barrière et rocher ont fait l'affaire. Assis dans un caddie de supermarché, le jeune homme noir dit avoir pris cette initiative "pour protéger les vieux et les mamans des milices".
Lui et ses camarades en sont persuadés, ils courent un danger du fait de leur couleur de peau. "C'est sûr, ça a débordé, mais c'est pas une raison pour s'en prendre à nous", lance-t-il.
La peur n'empêche cependant pas la discussion et l'entraide. Marc, un Européen vivant au Vanuatu, s'est installé temporairement dans un appartement tout proche du barrage, avec son épouse enceinte.
"Son terme est dans trois jours, on est venu à Nouméa pour qu'elle accouche dans un bon hôpital et au calme... C'est raté", sourit-il, mi-inquiet, mi-amusé.
Les jeunes du barrage se sont engagés à les accompagner à la clinique le jour J pour être sûrs qu'ils arrivent sans encombre.