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A "GuayaKill", un quotidien d'exécutions et de cadavres

Deux corps sans vie gisent à terre, l'un au milieu de la chaussée, l'autre sur le parvis grillagé d'un petit immeuble. Les tueurs ce soir-là ont frappé un quartier habituellement tranquille de Guayaquil, la grande ville portuaire du sud-ouest de l'Equateur et épicentre de la violence criminelle dans le pays.

L'agglomération de 3,2 millions d'habitants, à l'embouchure du fleuve Guayas, sur le Pacifique, a été surnommée "GuayaKill", un néologisme popularisé sur les réseaux sociaux face à cette macabre litanie d'exécutions sommaires et autres assassinats qui y ont lieu presque quotidiennement.

Selon un premier rapport de police, des inconnus ont débarqué à la nuit tombée d'une "fourgonnette blanche", ouvrant le feu à la mitraillette sur les occupants de la terrasse d'un appartement en rez-de-chaussée.

Quelques minutes après le règlement de compte, la terrasse est inondée d'hémoglobine, des cartouches sont éparpillées un peu partout dans la rue.

"Ca a été une pluie de balles", confesse à voix basse un voisin, avant de se murer dans le silence.

"C'était mon mari!": dans des cris de désespoir, l'épouse éplorée de l'une des victimes s'accroche au corps inanimé de son défunt époux, recouvert d'un linceul de drap bleu. "C'est une victime collatérale", lâche un officier de police.

- Dernière salsa -

Peu de temps avant, les victimes insouciantes et tout sourire étaient occupées à chanter et jouer de la salsa au tambour, selon une vidéo diffusée le lendemain du drame sur les réseaux sociaux.

D'autres images d'une caméra de vidéosurveillance du carrefour voisin montrent les trois assaillants ouvrir le feu de façon indiscriminée et sans faire de quartier.

Bilan de l'attaque: trois morts, dont l'un est décédé à l'hôpital, et trois blessés. Les assassins ont pu prendre la fuite.

En réaction aux violences, une poignée de militaires, armes au poing, accompagnés de policiers à moto, filtrent l'une des entrées de Duran, ville jumelle de Guayaquil sur l'autre rive du Guayas. Ils fouillent les véhicules à la recherche de drogues, d'armes ou d'explosifs.

"C'est le jeu du chat et de la souris", explique un sous-officier. La situation est "compliquée", voire "un peu chaotique", confesse-t-il, casque lourd sur la tête et visage dissimulé.

Fin juin 2023, Guayaquil et sa périphérie, point majeur d'exportation de la cocaïne produite en Colombie et au Pérou voisin, affichait un taux d'homicide de 40,8 pour 100.000 habitants, avec 1.425 assassinats recensés entre janvier et juillet 2023, quasiment le double par rapport à la même période en 2022.

Depuis cet été, le rythme des assassinats s'est encore accéléré, selon les médias locaux. Le 20 septembre, douze personnes ont été tuées en 24 heures dans la cité portuaire.

Le golfe de Guayaquil offre un paysage contrasté d'immeubles rutilants à façade de verre, de villas luxueuses protégées par des fils barbelés et de quartiers populaires minés par l'insécurité.

Duran en particulier, avec sa pauvreté et son accès direct à la rivière à proximité du port en eaux profondes, est le territoire des bandes criminelles.

A la nuit tombée, la cité devient une ville fantôme, où seules errent des silhouettes décharnées fouillant les ordures au milieu des rues poussiéreuses.

- Bandes rivales -

C'est sur le pont piétonnier enjambant une route à dix voies à l'entrée de la ville, que deux corps décapités ont été suspendus en février, un crime portant la marque des cartels mexicains et qui a fortement frappé les esprits.

"Il y a beaucoup de morts à Duran. Et cela va de mal en pis (...) tellement de mafias sont entrées par ici", s'alarme un habitant, qui décrit pêle-mêle "la peur, les extorsions, les bombes".

"Le crime ici, c'est désormais un mélange de petite délinquance, de narcotrafic et de mafias", décrypte sous condition d'anonymat un journaliste local, sonné de toute cette violence "inexistante il y a encore deux ans".

"Les tueurs frappent un peu n'importe où et à n'importe quel moment. Il n'y a pas vraiment de règle", dit-il.

Les victimes sont presque toujours des hommes, généralement récemment sortis de prison, et les tueurs souvent des "adolescents", précise le sous-officier.

L'enjeu est le contrôle du territoire et du trafic de drogue par l'embouchure du fleuve, confirment toutes les sources interrogées.

A Duran, les protagonistes de cette guerre sont deux bandes rivales, "Latin Kings" contre "Chone killers", dont témoignent des graffitis sur les portails des maisons.

Les "Chone killers" se disent les "sicarios" (tueurs à gages) des "Choneros", plus grand gang criminel du pays.

A l'échelle de tout Guayaquil, ce sont les "Aguilas" (aigles), "Lagartos" (caïmans) et "Tiguerones" (tigres) qui s'affrontent... toute une ménagerie sur laquelle les "Choneros" sont en train d'imposer leur hégémonie.

Ce sont ces mêmes groupes qui se massacrent à intervalles réguliers dans des rixes barbares au sein de l'immense pénitencier en périphérie de la ville.

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