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Contraception forcée: le Groenland somme le Danemark d'affronter son passé

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James BROOKS

Depuis le premier témoignage public passé inaperçu en 2019, les langues se délient sur la campagne de contraception forcée menée par le Danemark au Groenland, qui exige de l'ancienne puissance coloniale qu'elle reconnaisse l'ampleur du traumatisme provoqué.

Sur quelque 9.000 femmes d'âge fertile, plus de 4.500 jeunes Inuites ont subi, entre la fin des années 60 et jusqu'au début des années 90, sans leur consentement ou, pour les mineures, celui de leurs parents, la pose d'un stérilet décidée par les autorités danoises.

Cette campagne visait à limiter les naissances dans le territoire arctique qui, s'il n'était alors plus une colonie, restait sous tutelle de Copenhague, inquiète du fort taux de natalité.

Pour l'administration danoise et sa "mentalité coloniale", il s'agissait "de limiter l'explosion démographique, surtout après que les politiques de modernisation eurent permis d'améliorer l'état de santé - en combattant la tuberculose de manière extrêmement efficace", avance l'historien Søren Rud, de l'Université de Copenhague.

L'ampleur du préjudice subi par les femmes et de la violation des droits des indigènes seront au coeur des conclusions qu'une commission d'enquête juridique, composée d'experts groenlandais, danois et internationaux, doit rendre mi-2025.

Le dossier est l'un des nombreux sujets sensibles, comme celui des adoptions forcées, affectant les relations entre les deux territoires.

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James BROOKS

"Il s'agit d'une étape nécessaire pour avancer au sein du royaume" du Danemark, explique à l'AFP la ministre groenlandaise chargée du dossier, Naaja Nathanielsen.

"Des violations ont été commises. Comment les définir dans un cadre juridique ? C'est ce qui est en train d'être examiné: s'agit-il d'un génocide ou pas?", ajoute t-elle.

Pour la ministre, qui marque ainsi son indépendance vis-à-vis du gouvernement danois, "une enquête ne saurait être complète sans examiner les aspects des droits de l'homme et des droits des indigènes".

Naja Lyberth est la première femme à avoir publiquement décrit les sévices qu'elle a subis à l'entrée de l'adolescence et, pour elle, aucun doute n'est permis: "un certain nombre de droits de l'homme ont été violés".

"Le droit d'avoir des enfants, le droit de fonder une famille et le droit de ne pas être discriminé, le droit de ne pas être soumis à des expériences semblables à la torture", détaille cette psychologue de 62 ans, qui a eu un fils, dans sa maison de Nuuk face à la mer.

"En 1953, nous sommes devenus une partie du Danemark, à part égale, une sorte de région", explique-t-elle. L'immense île arctique est depuis devenu un territoire autonome.

- "Colonisation" des corps -

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James BROOKS

"Sur le papier, nous sommes devenus égaux, mais d'après mon expérience, ce n'est qu'à ce moment que la colonisation a commencé, l'occupation de mon corps, de nos corps", poursuit-elle.

La sexagénaire aux mèches poivre et sel a beau avoir raconté son histoire maintes fois, elle retient ses larmes dès qu'elle se confie.

Elle avait 13 ou 14 ans - sa mémoire est hésitante - quand elle a été sommée, avec les autres filles de sa classe, de se rendre chez le médecin.

"Son outil m'a pénétrée pour insérer le stérilet. C'était très froid et comme des coups de couteau à l'intérieur de moi. C'était très très violent", dit-elle.

"Je voyais bien que les outils semblaient bien trop grands pour mon corps de petite fille, mais à l'époque je n'avais pas réalisé que c'était pour les femmes adultes".

"C'était comme de la torture, comme un viol", ajoute-t-elle.

Il y a deux ans, Mme Lyberth a participé à une série de podcasts du radiodiffuseur public DR qui a dévoilé l'étendue de la campagne dont elle ne soupçonnait alors pas l'ampleur.

"C'est comme vivre un tsunami", assure celle qui depuis son premier témoignage dans la presse il y a cinq ans - passé inaperçu - n'a cessé d'encourager les "survivantes", selon ses mots, à partager.

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James BROOKS

Elle a créé un groupe Facebook qui rassemble aujourd'hui 317 femmes concernées. Comme toutes les autres femmes touchées résidant au Groenland, elles bénéficient d'une aide psychologique gratuite.

- Procès en vue -

Près de 150 d'entre elles ont aussi porté plainte contre le Danemark et un procès pourrait avoir lieu dès l'an prochain estime leur avocat, Mads Pramming.

La campagne a rendu la moitié d'entre elles stériles et la majorité souffre de séquelles physiques ou psychologiques.

Pour la ministre groenlandaise, "si cette affaire n'est traitée qu'au tribunal, il s'agira d'un échec majeur".

"Nous devons aborder ce problème d'une manière politique, en reconnaissant que c'est un peuple qui a été touché", ajoute Naaja Nathanielsen.

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Michal Cizek

La Première ministre danoise Mette Frederiksen s'est engagée à ce que la lumière soit faite sur cette campagne et sur les relations post-coloniales entre ces territoires, qui avec les îles Féroé, sont constitutifs du royaume du Danemark.

"Nous devons être trois partenaires égaux : trois pays, trois peuples, trois langues", a assuré au Parlement la cheffe du gouvernement danois.

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