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Au large d'Istanbul, des insulaires en lutte contre les minibus électriques

Depuis une semaine, Ibrahim Aycan fait la guerre aux minibus électriques débarqués sur son île de Büyükada, jugeant qu'ils menacent la quiétude de ce havre de paix face aux rives sud de la bouillonnante Istanbul.

"Nous vivons une vie paisible ici, nous sommes une île lente. Ces véhicules nous attristent. Laissons les gens marcher et faire du vélo !", lance l'avocat, président de l'Association des amis de l'île, sur laquelle Stambouliotes et touristes en quête d'une bouffée d'oxygène viennent flâner à longueur d'années.

Le quadragénaire, l'un des meneurs de la fronde contre les nouveaux minibus municipaux, fait barrage de son corps dès qu'il croise l'un de ces "monstrobus", comme les ont rebaptisés les habitants réfractaires de Büyükada, la plus grande des îles des Princes, situées en mer de Marmara, d'où les voitures sont bannies à de rares exceptions.

"Hier, j'ai vu un bus en sortant de chez moi. J'avais un rendez-vous mais je me suis figé devant lui pendant une demi-heure", explique-t-il en arborant un pin's blanc de son association sur son t-shirt noir.

Ces minibus de près de 6 mètres sur 2,5 et d'une capacité de 12 personnes ont été mis en service le 15 juin, s'ajoutant aux petites navettes qui parcouraient déjà les sinueuses routes de cette île de 5,36 km² et de 8.500 âmes.

Aussitôt, des habitants se sont dressés sur leur passage. Huit d'entre eux ont été interpellés le premier jour, mais des manifestations spontanées continuent d'avoir lieu chaque jour dans une ambiance de kermesse.

- "Perdre cette identité" -

"Les nouveaux bus sont deux fois et demi plus grands que les navettes, mais on ne peut y mettre que 12 personnes, contre 13 dans les anciennes. C'est illogique !", s'étrangle Kamer Alyanakyan, 58 ans, qui passe tous ses étés sur Büyükada depuis son enfance, entre les villas en bois blanches et les bougainvilliers fuchsia, et peste aussi contre les triporteurs électriques qui zigzaguent dans le centre-ville.

"Personne ne nous a demandé ce que nous voulions ! Les rues de l'île sont piétonnes, nous ne voulons pas perdre cette identité", enchaîne l'entrepreneur, qui a frappé aux portes pour convaincre les habitants de signer une pétition demandant le retrait des minibus, paraphée par près de 5.000 insulaires depuis mai.

Malgré la mobilisation, de nouveaux véhicules ont été acheminés sur l'île de nuit cette semaine, "comme des armes", affirme Kamer Alyanakyan.

"À Istanbul, des efforts sont faits pour prioriser les piétons. Nous sommes le seul district où leur place est en train d'être réduite", déplore-t-il.

Depuis son café-restaurant situé au milieu de l'île, à 40 minutes à pied de l'embarcadère, Mehmet Can reconnaît que les nouveaux bus auraient pu être "plus petits", mais le commerçant les juge "plus confortables" et surtout "nécessaires en période estivale", quand des dizaines de milliers de personnes affluent en journée sur les îles.

"Ils ne vont pas les jeter juste parce que quatre personnes aboient", ajoute-t-il.

- "Résister à la pression" -

La municipalité d'Istanbul, mégapole de 16 millions d'habitants dirigée par le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l'opposition turque, affirme que les transports en commun sont "indispensables pour les habitants de l'île", notamment les personnes âgées, et souligne que ces minibus sont accessibles aux handicapés, contrairement aux petites navettes.

Le 18 juin, une assemblée consultative d'Istanbul s'est toutefois opposée aux "monstrobus", reprenant l'expression des militants de Büyükada.

"Nous soutenons les insulaires qui veulent défendre leurs rues piétonnes", a-t-elle écrit, regrettant l'absence de communication, alors que "les îles sont une zone piétonne et protégée depuis 1984".

"C'est un soutien de poids", se réjouit Kamer Alyanakyan, convaincu que la municipalité finira par reculer.

D'ici-là, l'entrepreneur se rendra début juillet aux Etats-Unis pour un festival sur l'île Mackinac, près de Détroit, la capitale automobile américaine, sur laquelle les voitures sont bannies.

"Je vais aller parler aux gens, aux autorités. Je vais leur demander : comment avez-vous fait pour tenir ? Comment avez-vous résisté à la pression ?"

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