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Chaque week-end, le Bhoutanais Pema Dorji fait ressortir le Robin des bois en lui et pratique avec concentration le tir à l'arc, non sans quelques généreuses rasades de whisky du cru et un accompagnement de danses et chants folkloriques.
Dans ce petit royaume himalayen de 800.000 habitants enclavé entre la Chine et l'Inde, le tir à l'arc est bien plus qu'un sport traditionnel: c'est un mode de vie.
Des compétitions s'y tiennent chaque mois durant les jours considérés comme de bon augure, et culminent dans un championnat national suivi par des centaines de bruyants supporteurs.
Lors des interruptions, les archers étanchent leur soif à coup de whisky local ou d'alcool de pêche, avant de repartir sur le champ de tir encadré par des drapeaux colorés flottant au vent.
"L'alcool et le tir à l'arc vont de pair", explique Tashi Dorji, responsable recherche et développement à l'Association des jeux et sports indigènes du Bhoutan (BIGSA).
"Nous buvons pour gagner en confiance. Nous croyons qu'en buvant nous pouvons mieux atteindre la cible", dit ce jeune homme de 25 ans.
Les compétitions opposent deux équipes de 11 tireurs chacune, qui doivent atteindre le plus de fois possible le centre d'une cible fixe située à 140 mètres de distance.
Dès que l'objectif est touché, un cri de guerre retentit. Vêtus de costumes traditionnels, les tireurs effectuent alors une petite danse. À la fin du match, l'équipe victorieuse doit réaliser un numéro rituel de danse et de chant, différent de celui que doivent faire les perdants.
- Arrivée de sports modernes -
Ce sport national est enraciné dans les légendes du Bhoutan, dans lesquelles arcs et flèches servent à chasser et détruire les démons et les esprits maléfiques. Les histoires abondent aussi sur la façon dont les Bhoutanais ont combattu les Britanniques au XIXe siècle en utilisant des flèches trempées dans du poison.
Le tir à l'arc a été popularisé par le premier roi du Bhoutan, Gongsa Ugyen Wangchuk (1862-1926), et a continué à prospérer au fil des décennies sous le patronage de la monarchie.
Le discipline connaît cependant un déclin depuis l'ouverture au monde de cette nation recluse pour suivre la voie du développement économique et de la modernisation. La télévision y a été autorisée en 1999.
"La télé a rendu accessibles les sports modernes comme le football et le volleyball, qui coûtent moins cher à jouer. Soudain, il y a eu une concurrence face à nos sports traditionnels", raconte Kinzang Dorji, président de BIGSA.
"Les enfants avaient un choix plus large par rapport aux générations précédentes", dit-il à l'AFP.
L'avènement d'arcs plus sophistiqués et recourbés signifiait aussi que les tireurs bhoutanais, habitués à un équipement traditionnel fait de bambous, étaient à la peine dans les compétitions. Bien qu'ayant envoyé des archers à tous les jeux Olympiques depuis 1984, le petit pays n'a pas encore réussi à remporter de médaille dans la discipline.
- Honneur en jeu -
Dans le pays, certains affirment que les Bhoutanais - qui votent ce mois-ci aux élections législatives, les troisièmes de leur histoire - ne possèdent pas l'esprit de compétition suffisant pour s'affirmer dans ce sport sur la scène internationale.
Un avis que ne partage pas Ygyen Dorji, amateur de tir à l'arc.
"La rivalité est assez intense. Les compétiteurs vont souvent mettre des femmes dans les gradins pour distraire les rivaux", explique cet homme, psychologue de profession.
"Les femmes vont vous imiter, essayer de vous distraire et il faut se concentrer durement car la fierté et l'honneur sont en jeu", dit-il.
Un autre pratiquant du tir à l'arc, Karma Tshering, estime que les archers bhoutanais ne recherchent pas les lauriers de la gloire à l'étranger. "N'importe qui peut tirer avec les arcs modernes et sophistiqués", lâche-t-il. Mais "le tir à l'arc traditionnel est beaucoup plus exigeant, vous devez vous concentrer à la fois sur votre corps et votre esprit".