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La Fed est "tombée sur la tête!": Donald Trump multiplie les critiques contre la banque centrale américaine qui a bien l'intention de poursuivre sa politique graduelle de hausse du loyer de l'argent dans une économie florissante.
La Fed perd-elle la raison ou a-t-elle raison de relever ses taux d'intérêt pour prévenir une surchauffe et la résurgence de l'inflation au risque de faire trembler la bourse ?
Difficile de trouver des économistes pour emboîter le pas du bouillant président américain alors que, à 2,25%, les taux d'intérêt au jour le jour --ceux sur lesquels joue la banque centrale-- sont encore en dessous de l'inflation, que le taux de chômage est au plus bas en près de 50 ans (3,7%) et que la croissance à 4,2% au deuxième trimestre devrait encore afficher un rythme bien supérieur à 3% au troisième.
Au contraire, les propos du président américain qui trouve la Fed "trop agressive" et qui a jugé qu'elle était "folle" voire "loco" ("maboule", en espagnol) ont plutôt suscité une volée de protestations.
Interrogée à Bali en Indonésie où se tiennent les assemblées de la Banque mondiale et du FMI, la directrice générale du Fonds monétaire Christine Lagarde n'a pas hésité à monter au créneau.
"Je n'associerais pas exactement Jay Powell (le président de la Fed) à quelqu'un de fou. Non, il apparaît, lui-même et les membres du directoire, comme extrêmement sérieux et solide", a affirmé Mme Lagarde sur la chaîne CNBC.
Elle a aussi expliqué à Bali que le relèvement des taux américains, après trois hausses d'un quart de point de pourcentage cette année, était "inévitable" et "nécessaire".
"La Fed n'est pas folle. Les taux sont très bas, vu la performance de l'économie, l'inflation et le niveau de chômage", a estimé pour sa part David Wessel, économiste à la Brookings Institution.
"La vraie question est de savoir jusqu'où et à quel rythme elle devrait relever ces taux", souligne cet expert pour l'AFP alors que la Fed prévoit a priori encore une hausse du coût de l'argent en décembre et jusqu'à trois l'année prochaine.
Le débat est ouvert au sein du Comité monétaire de la banque centrale, où le président américain a, à la surprise des observateurs, nommé des gouverneurs plutôt respectés et économiquement orthodoxes.
Les experts interrogés reconnaissent qu'il est usuel pour un président américain de ne pas apprécier que les taux remontent. Cela renchérit les prêts à la consommation et les prêts immobiliers, donc a le potentiel de mécontenter des consommateurs qui sont aussi des électeurs. Les législatives de mi-mandat se tiennent le 6 novembre.
Cela renforce aussi le dollar, ce que l'administration Trump ne goûte guère alors qu'elle mène une guerre commerciale qu'elle n'aimerait pas voir dégénérer en guerre des devises.
Mais il est moins usuel pour un hôte de la Maison blanche de critiquer violemment la politique de la banque centrale au risque de décrédibiliser l'indépendance de l'institution aux yeux des marchés, ce qui est problématique.
Les derniers "coups de gueule" présidentiels publics contre la Fed remontent à George Bush père, voire à Richard Nixon.
- Contre-productif -
Comme le souligne Larry Summers, l'ancien secrétaire au Trésor du président Obama et candidat malheureux à la présidence de la Fed en 2013, les commentaires de Donald Trump risquent d'être "contre-productifs", même à l'aune des objectifs présidentiels.
"La question-clé est que, quand un président des Etats-Unis politise la Fed de façon si véhémente, il devient difficile pour la Banque centrale de lever le pied sur les taux si elle pense que c'est nécessaire car elle ne veut pas apparaître comme fléchissant sous la pression" du président, explique M. Summers.
"Ces propos du président sont vraiment mal avisés car ils mettent la banque centrale dans une position difficile" et moins libre, souligne encore cet économiste, lui-même plutôt partisan des taux bas.
David Wessel, de Brookings, n'est pas surpris par la tournure des commentaires présidentiels. "Je pense qu'il était très prévisible qu'en cas de chute de la bourse ou de ralentissement de l'économie, le président blâme la Fed", explique-t-il. Wall Street a connu mercredi sa séance la plus noire depuis février et semblait encore sur la pente descendante jeudi.
Le conseiller économique du président Larry Kudlow a tenté d'atténuer les propos du président en affirmant que Donald Trump n'avait pas l'intention de "dicter" la politique de la Fed. Mais M. Trump a encore insisté, dénonçant une Fed "incontrôlable".
Il a toutefois assuré qu'il n'allait pas "renvoyer" Jerome Powell, qu'il vient de nommer, et qu'il était seulement "déçu" par ses choix monétaires.