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La claustrophobie d'Axelle l'empêche de trouver un travail, elle veut que son trouble soit reconnu: "Je me dis que dans la société, je ne sers à rien"

Axelle est une maman à temps plein qui vit à Jumet, dans le Hainaut. Son trouble, la claustrophobie, l'empêche de travailler. Mais il n'est pas reconnu comme invalidant. Du coup, elle se retrouve coincée. Explications.

Axelle a 39 ans et vit avec la claustrophobie depuis sa tendre enfance. Elle a décidé d’appuyer sur le bouton orange Alertez-nous afin de faire connaître sa condition et de lever le voile sur ce trouble. Prendre l’ascenseur, monter sur une autoroute, prendre les transports en commun sont autant de gestes impossibles à réaliser pour elle. Elle nous explique: "Dans les endroits que je ne connais pas, je ne peux pas être toute seule. Je ne peux pas partir en vacances, parce que les autoroutes, je ne peux pas les prendre. Étant donné qu’il y a la berme centrale, je ne peux pas faire demi-tour comme je veux, donc je me sens enfermée. Je me dis que si j’ai un malaise… imaginons, on va à la mer, et il y a des bouchons. Je me sens oppressée, parce que je ne peux pas sortir comme je veux".


Bouffées de chaleur, tremblements, palpitations, vertiges… et même une sensation de mort imminente

Que se passerait-il s’il elle se retrouvait dans un ascenseur ? "Je ne rentre pas là-dedans. J’ai déjà une fois eu l’expérience, où j’ai dû aller à la mutuelle à Charleroi, et j’ai dû prendre l’ascenseur, mais c’est un truc de malade. Bouffées de chaleur, tremblements, palpitations, vertiges, la langue qui manque de salive et l’envie de faire une syncope. Je ne peux pas m’en empêcher, c’est des crises d’angoisse, je ne peux rien faire".

Lydia Nkundabagenzi, psychologue cognitivo-comportementaliste, prend notamment en charge des patients atteints de ce trouble et nous a cité ces mêmes symptômes. "Parfois des personnes ont des sentiments de mort imminente, ça va loin en termes d’angoisse. Ils se disent, ‘mon cœur va s’arrêter’, ils ont des palpitations, toute cette symptomatologie anxieuse, liée à l’angoisse", ajoute-t-elle.


Claustrophobie et agoraphobie souvent liées

Mais qu’est-ce que la claustrophobie exactement ? "Ce sont des personnes qui ont une peur irrationnelle et intense des lieux clos et de ce qui pourrait amener le sentiment d’étouffement. Ces personnes peuvent avoir ça par exemple dans des ascenseurs, typiquement, dans des petits locaux sans fenêtre, où le sentiment de manquer d’air peut s’installer".

Souvent, mais pas systématiquement, la claustrophobie est associée à l’agoraphobie. Ici, il s’agit d’une peur de l’obstacle que forment les gens, en quelque sorte: "Dans ces cas-là, ça va s’accompagner d’une peur liée au sentiment de ne pas pouvoir s’échapper d’une situation. Très clairement, sur une autoroute, si elle est en plein embouteillage, elle peut développer des attaques de panique, parce qu’elle a le sentiment de ne pas pouvoir s’échapper, de ne pas avoir le contrôle sur la situation".


Ni chômage, ni mutuelle

Axelle a fait des études d’aide-soignante. Mais elle s’est vite rendu compte qu’il serait difficile d’exercer ce métier avec le trouble anxieux dont elle souffre: "Si je travaille dans un home, imaginez qu’il faille monter une personne âgée sur une chaise roulante, il faut prendre l’ascenseur. Pareil pour les bacs de nettoyage, il faut monter par ascenseur"

Elle n’a droit ni au chômage, ni à la mutuelle. La raison ? Depuis son stage dans un home, où, nous dit-elle, elle a pu faire en sorte de n’emprunter que les escaliers, elle n’a jamais travaillé. Maître Sophie Remouchamps, avocate spécialisée dans le droit de la sécurité sociale, explique: "Chômage, mutuelle, pension : ce sont des systèmes contributifs. Il faut avoir cotisé pour rentrer dedans. Quelqu'un qui n’a jamais contribué ne peut pas rentrer dans ce système".

Du côté de chez Solidaris, l'une des mutualités du pays, on lui conseille de passer par le CPAS pour une aide urgente. En effet, lorsqu'on bénéficie du revenu d'intégration sociale (RIS), c'est le CPAS qui se charge de la mise en ordre de la mutuelle pour le remboursement des soins de santé obligatoires. "On a de plus en plus de cas comme ça, on se rend compte que les mailles du filet sont de plus en plus grandes et que de plus en plus de personnes passent à travers, sans aucun droits", commente la mutualité.


Une solution : le recours

Les personnes qui n’ont pas travaillé, et donc pas contribué, entrent dans ce qu’on appelle les "régimes résiduaires" : parmi ceux-ci, il y a donc le revenu d’intégration du CPAS, ou encore les allocations aux personnes handicapées. Pour ce qui est du CPAS, l’une des conditions obligatoires à remplir, c’est d’être disposé à travailler. Le fait que des raisons de santé l'empêchent sera laissé à l'appréciation du CPAS. La reconnaissance du trouble n’est donc pas garantie... 

Axelle s’est également adressée à la Direction générale personnes handicapées du SPF Sécurité Sociale (anciennement appelée la "Vierge noire"), où son trouble anxieux n’a pas été reconnu comme invalidant. Un cas qui n’a rien d’étonnant, selon maître Virginie Dodion, elle aussi spécialisée dans le droit de la sécurité sociale, des assurances et du travail. Elle constate que les cas qui relèvent de la psychiatrie passent difficilement: "Il faut faire un recours au tribunal contre la décision de la DG personnes handicapées. Le cas est alors examiné par un psychiatre", commente-t-elle.

Un mal pas incurable, selon la psychologue

Axelle nous explique avoir déjà consulté "des psychologues, des psychiatres, des neuropsychiatres", et on lui aurait indiqué que son trouble était "trop enfoui". Si elle reconnaît que certains troubles sont parfois plus longs à traiter, lorsque le mode de fonctionnement du patient est ancré depuis de longues années, la psychologue Lydia Nkundabagenzi estime que la claustrophobie n’est pas "incurable": "J’ai vu des confrères, avec beaucoup d’expérience, prendre des personnes avec des troubles anxieux bien ancrés depuis des années, ça ne part pas définitivement, mais il y a moyen de retrouver une vie tout à fait fonctionnelle".


"Je me dis que dans la société, je ne sers à rien"

Si elle pouvait trouver un travail, Axelle serait ravie. "Je demande à pouvoir avancer, et trouver quelque chose qui pourrait occuper mon cerveau. Que je puisse trouver un travail adapté, que je ne doive pas rester chez moi, et que je me dise, ça y est, j’ai enfin gagné", ajoute-t-elle. Mais dès qu’elle parle de son trouble, on lui explique que cela sera compliqué. "Je me dis que dans la société, je ne sers à rien. Quand je veux aller travailler, si j’essaye par les intérims, on me refuse, parce que je suis obligée de dire que j’ai de la claustrophobie".

En principe, nous explique-t-on chez Unia, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, il n'est pas normal qu'une agence intérim lui refuse un entretien sur base d'un trouble. "L’état de santé est protégé par la loi. Les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, doivent prendre le "problème" par l’autre bout et assurer des aménagements raisonnables. Si elle a des preuves qu’on lui dit qu'à cause de son trouble, ce sera compliqué pour elle, elle peut déjà déposer un signalement chez nous, et on ouvre un dossier, car c’est de la discrimination", explique le porte-parole Michaël François. 


"Normalement, une société qui a des ascenseurs a aussi des escaliers" 

Il attire toutefois notre attention sur la notion de "proportionnalité" dans la loi. Le porte-parole d'Unia prend un exemple un peu "gros" pour faire comprendre ce concept: "Si par exemple une personne travaille dans une société d’ascenseurs, doit tester des ascenseurs, et que c'est impossible, la proportionnalité fait que le refus ne sera pas poursuivi", explique-t-il, sans toutefois préjuger de la situation vécue par Axelle.

"Normalement, une société qui a des ascenseurs a aussi des escaliers, et ne doit pas refuser un accès un emploi sur cette base-là", commente Unia, qui rappelle la possibilité pour la société de faire des "aménagements raisonnables", c'est-à-dire de faire quelques adaptations afin que la personne puisse travailler. "Il y a des aménagements réussis quand on discute des besoins spécifiques de la personne, c’est au cas par cas. En parlant avec la personne de ses besoins très concrets, en toute transparence, cela peut être très facile à mettre en place", estime-t-il.

Souvent lié à une expérience intense

D'où vient la claustrophobie ? Pas de causes neurologiques, nous indique la psychologue Lydia Nkundabagenzi, c’est une peur liée à une expérience. "C’est souvent un événement, une expérience intense qui crée chez la personne une espèce de mircotrauma et qui développe en elle la pensée que cela va d'office se répéter. Du coup, elles vont éviter, et en évitant, ça renforce l’imaginaire que ça va se reproduire, mais vu qu’ils ne se confrontent pas à cette réalité, ça reste comme ça, finalement, ils restent persuadés de cette chose".


"Il y a moyen qu’elle retrouve une qualité de vie"

D'après la psychologue, la solution réside justement dans le fait de cesser ce mécanisme d’évitement: "Ça va demander un travail profond, un travail long. Si c’est très ancré, il ne sera pas question de faire disparaître la phobie, mais d’atténuer la symptomatologie anxieuse au point que la personne puisse fonctionner. On ne peut pas dire que ça va disparaître du jour au lendemain, mais au moins, il y a moyen qu’elle retrouve une qualité de vie. Dans le travail thérapeutique, pour que ça marche et que ce soit efficace, rien de tel que l’exposition à un moment donné. A partir du moment où vous faites le pli, à un moment du processus thérapeutique, de vous exposer à l’objet de votre peur et de mettre à l’épreuve de la réalité vos pensées, qui sont disproportionnées, concrètement, vous vous rendez compte que ce n’est pas si grave, et que ça s’atténue au fur et à mesure. C’est un travail thérapeutique long, mais pas impossible".

Selon des chiffres publiés par l'AViQ, l'Agence pour une vie de qualité, parmi la population de 15 ans et plus, en Wallonie en 2013, une personne sur dix manifestait des symptômes de troubles anxieux (11 %). Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à présenter ces symptômes (9 % des hommes et 14 % des femmes).

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