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"Ca met au baume au cœur": dans les maisons de retraite de Chalon-sur-Saône, une troupe de théâtre pousse la chansonnette et fait le clown, suscitant rires et pleurs. Une parenthèse magique pour les résidents, éternels confinés en mal de visites.
Dans la cour de l'Ehpad du Bois de Menuse, on a installé les parasols en cette chaude après-midi de mai. Les pensionnaires les plus coquettes ont mis leur chapeau de paille à fleurs et, doucement, on amène les fauteuils roulants, desquels pointent des charentaises.
Car aujourd'hui, c'est jour de fête à Bois de Menuse. Au fond de la cour de l'établissement qui accueille 90 personnes âgées, un rideau de velours rouge grenat a été tendu, cachant difficilement les acteurs ajustant leurs costumes.
Une jeune ballerine pointe le bout de ses chaussons pour jouer sur un piano noir une mélodie entraînante, rythmée par les sifflements d'une poignée d'acteurs. "Salut! Comment tu vas?", demandent en chansons les comédiens. "Le temps m'a paru long loin de ta maison", disent-ils à un public d'une trentaine de têtes grises tremblantes mais captivées.
Créée et répétée (en visioconférence) "pendant le confinement", la pièce "Cabaret sous les balcons" se veut une œuvre faite pour "ceux qui résident en Ehpad", explique Nicolas Royer, directeur de l'Espace des arts de Chalon, scène nationale à l'origine du spectacle.
"L'isolement est un facteur aggravant pour eux, souvent privés des liens familiaux et amicaux", ajoute le responsable. "On a voulu leur apporter ce petit supplément d'âme", tout en respectant l'ensemble des gestes barrières: les comédiens restent au fond de la cour et évitent tout contact.
"Il fallait apporter quelque chose à toutes ces personnes enfermées, leur amener un moment de respiration", renchérit Sébastien Martin, président LR du Grand Chalon et également de l'Espace des arts, établissement public.
- "Je n'ai pas dormi!" -
L'idée est "venue du sentiment que, avec le confinement, nous les artistes, nous étions devenus inutiles", ajoute Léna Bréban, comédienne et metteuse en scène. "Je me suis dit: si on ne peut pas aller dans les salles, alors il faut qu'on aille vers le public".
"Le choix du cabaret s'est fait tout de suite. Le dernier endroit du cerveau restant intact est celui de la musique", ajoute la chanteuse. Et cela permet de passer du sensuel au burlesque, du romantique au clownesque.
On se rit des gestes barrières avec un ton badin, voire moqueur, comme ce garçon de café qui sert ses clients en terrasse en leur jetant l'eau pour ne pas les approcher. "Les Cactus" de Jacques Dutronc sont travestis en "Le monde entier est un virus", et le "Déshabillez-moi" de Juliette Gréco en "Déconfinez-moi".
Mais la nostalgie a aussi sa place, avec l'éternel "La Vie en rose" qui fait pleurer une pensionnaire, même si c'est le boogie-woogie que les frêles mains ont le plus applaudi.
"Ca met du baume au cœur", réagit Maurice, 91 ans, auteur d'un bondissant "nom de Dieu !" quand un acteur-clown mime une chute en allant chercher son masque. "Le théâtre, c'est la joie de vivre", ajoute-t-il, avouant dans un sourire coquin avoir particulièrement apprécié "les filles qui dansent".
"Je n'ai pas dormi!", s'étonne Louis, 92 ans. "Curieusement", ajoute dans un rire une soignante, le spectacle tombant lors de la sacrosainte sieste. "C'était joli", juge Louis, les yeux pétillants.
Bain de jouvence pour les aînés, "Cabaret sous les balcons" est aussi une parenthèse joyeuse pour les artistes, confesse Nicolas Royer. "Ca nous donne la possibilité d'exister et de fournir un travail aux acteurs. Ils avaient envie de partager".
Après cette première au Bois de Menuse, la création doit tourner dans le Grand Chalon pour "15-20 dates" encore à définir, selon le directeur.