Partager:
"308 Noire CD…" "Mondéo Bleu nuit EC…" A l'entrée de la cité, un tag recensant les plaques des voitures de police sert d'aide-mémoire aux guetteurs. Bienvenue à La Capsulerie, à Bagnolet. A deux stations de métro de Paris, le quartier est gangréné par le deal et les habitants se sentent "abandonnés".
Cet après-midi là, une dizaine de CRS patrouillent dans la cité. Ils ont été déployés en renfort le 25 avril, après une flambée de violence. Trois hommes connus de la police ont été blessés par balle ce mois-ci. Des voitures ont été incendiées.
"Tout laisse à penser qu'il s'agit de règlements de comptes liés au point de deal", l'un des principaux de Seine-Saint-Denis, confie une source proche de l'enquête. Le risque de "surenchère" inquiète élus et habitants. Ils pressent les autorités d'agir avant un "mort" ou une "balle perdue".
En attendant, la présence des forces de l'ordre n'empêche pas le trafic. A peine ont-ils tourné le dos que les guetteurs reprennent leur poste, comme les acheteurs.
"Si vous cherchez du cannabis, c'est simple", raconte un habitant. "Dès que vous sortez du métro, un rabatteur vous prend en charge, il vous guide jusqu'à la cité, vous donnez votre argent et vous attendez, au pied de cette tour, qu'on vous apporte la marchandise."
A l'endroit désigné, une vingtaine de personnes patientent, les yeux sur leur smartphone. Hommes et femmes, jeunes et vieux. Certains en veste et chemise, d'autres en tee-shirts. "Les clients viennent de toute la région parisienne, de tous les milieux", explique une source policière.
Le "four" (point de vente) est ouvert de midi à minuit. On y vend essentiellement du cannabis, pour un chiffre d'affaires quotidien estimé à plusieurs milliers d'euros. Des centaines d'acheteurs défilent chaque jour, au vu de tous. Parfois, "la file d'attente va jusqu'à l'entrée de la cité", raconte une autre habitante.
Cheveux courts, veste en jean, elle qui vit là depuis plus de 40 ans, estime que la situation a commencé à se dégrader il y a sept ans. Jusque-là, le trafic se pratiquait à petite échelle "caché dans les appartements", raconte-t-elle autour d'un café avec deux voisines. "Il y avait une bonne ambiance dans le quartier, et vous viviez aux portes de Paris pour pas cher".
- "On ne voit plus d'issue" -
Mais l'emplacement, à 400 mètres du métro, au pied du périph, de l'autoroute et d'une gare routière, a aussi tapé dans l'oeil des dealers. Poussés notamment par le démantèlement de trafics dans les villes alentour, expliquent les habitants, ils ont peu à peu pris possession de la cité.
Aujourd'hui, des guetteurs surveillent les allées et venues, dévisagent les passants. "A un moment, ils nous demandaient notre carte d'identité pour entrer dans les immeubles", racontent les trois voisines.
Comme elles, tous les habitants rencontrés décrivent une ambiance "pesante". "Lorsque j'ai pris mes fonctions", raconte un gardien, "ils ont mis quelqu'un derrière la fenêtre de la loge pour me surveiller. Il est resté là deux mois, il me suivait quand je sortais".
Autre symbole de cette mainmise, à l'entrée de la cité, un jeune en jogging garde un oeil sur un mur. Une dizaine de plaques d'immatriculation y ont été taguées. "C'est celles des voitures de police banalisées. Quand il en voit une, il alerte les vendeurs", décrypte un membre de "Retrouvons notre dignité", une association d'habitants qui milite contre le trafic.
Devant la maison de quartier, où un impact de balle est encore visible, Alexis Corbière, le député LFI de la circonscription, explique avoir demandé, avec le maire socialiste Tony Di Martino, des renforts policiers, en plus de la brigade de 15 agents déployée il y a un an. L'association d'habitants et plusieurs élus réclament aussi, depuis des années, l'ouverture d'un commissariat de plein exercice.
Contactée, la préfecture dit avoir pris en compte la "situation de violence" et assure qu'une présence policière renforcée sera maintenue "jusqu'à nouvel ordre".
Mais les habitants craignent que cela ne suffise pas: "Le quartier a été abandonné, on a laissé le trafic s'installer. Aujourd'hui, il est là, en permanence. On ne voit plus d'issue."