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Arbres pluricentenaires semblables à des parapluies, les dragonniers de Socotra bordent les sommets accidentés de l'archipel yéménite du même nom, rappelant à la fois la richesse de la biodiversité locale et la crise environnementale qui la menace.
Ces arbres, qui font la renommée de l'archipel, sont décimés par des tempêtes de plus en plus intenses tandis que les plus jeunes plants sont avalés par les chèvres. Tout un écosystème, aussi fragile qu'unique, est ainsi menacé.
"Les arbres apportent l'eau, ils sont si importants à nos vies", explique Adnan Ahmed, professeur de mathématiques et guide touristique passionné par la faune et la flore locales.
"Sans arbres, nous aurons des problèmes", résume-t-il.
Situés dans les eaux turquoise de la mer d'Arabie au large des côtes sud du Yémen, les quatre îles et deux îlots rocheux de l'archipel de 50.000 habitants ont été relativement épargnés par le conflit qui dévaste ce pays pauvre de la péninsule arabique depuis plus de six ans.
Surnommé "les Galapagos de l'océan Indien", Socotra est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2008 "compte tenu de sa faune et de sa flore exceptionnellement riches et distinctes".
Sur les 825 espèces de plantes qui y ont été recensées, plus d'un tiers sont uniques, selon l'organisation onusienne. Le dragonnier de Socotra, dont la sève rouge sang possède des propriétés médicinales, est la plus emblématique d'entre elles.
Mais habitants comme scientifiques s'inquiètent de l'avenir de cet arbre qui doit lutter à la fois contre une planète qui se réchauffe, le surpâturage, la présence d'espèces invasives et des constructions incontrôlées.
"Les chèvres mangent les semis, on ne trouve des jeunes plants que sur les falaises et dans les endroits les moins accessibles", explique M. Ahmed, soulignant qu'il faut près d'un demi-siècle pour qu'un dragonnier de Socotra soit en mesure de se reproduire.
"Si rien n'est fait, il ne faudra pas longtemps avant qu'il n'y en ait plus", déplore-t-il.
- "Manque de temps" –
Si l'archipel "reste un trésor de biodiversité", selon le biologiste belge Kay Van Damme, "il se peut que nous manquions bientôt de temps pour protéger les espèces les plus iconiques".
Des arbres morts jonchent le plateau de Dixam, perché à 1.500 mètres d'altitude sur l'île principale de l'archipel, décimés par des bourrasques de vent.
Si rien n'est fait, tous "auront disparu en quelques décennies", selon M. Van Damme.
Les dix essences d'arbres à encens de l'île connaissent le même sort. Selon une étude basée sur des photographies, leur nombre a diminué de 78% entre 1956 et 2017.
"Si ça continue, les prochaines générations pourraient ne voir des arbres à encens de Socotra que dans des jardins botaniques, avec une petite plaque indiquant +disparu dans la nature+", estime le biologiste.
"Le système immunitaire de Socotra est désormais compromis", ajoute-t-il. Car moins de végétation signifie plus d'érosion des sols et de glissements de terrains.
- "Besoin de soutien" -
Les habitants de l'archipel sentent d'ores et déjà les conséquences du dérèglement climatique.
"Les vagues des dernières tempêtes ont brisé les fenêtres de nos maisons", raconte Abdullah Ahmed, 25 ans, originaire d'un village de pêcheurs de 40 habitants.
Redoutant à la fois la montée des eaux et les glissements de terrains, la petite communauté s'est résignée à construire un nouveau village un peu plus dans les terres.
Pour sauvegarder leurs îles, les habitants font ce qu'ils peuvent. Ils ont par exemple créé une pépinière de la taille d'un terrain de football pour tenter de protéger les dragonniers de Socotra des chèvres.
On y trouve des dizaines de plants, résultats de 15 années de pousse.
"C'est un début, mais on a besoin de bien plus", explique Adnan Ahmed. "Nous avons besoin de soutien."
Sadia Eissa Suliman est née et a grandi dans la lagune de Detwah, classée zone humide d'importance mondiale selon un traité international.
"J'ai vu comment la lagune a changé", explique cette grand-mère de 61 ans, qui a observé des parcelles d'arbres être rasées et le plastique et les filets de pêche envahir l'eau.
Elle milite pour une interdiction de la pêche, lève des fonds pour protéger les arbres et tente désespéremment de faire la chasse aux déchets sur l'île.
Une détermination partagée par les scientifiques, qui veulent tout faire pour que Socotra ne devienne pas un énième cas d'étude de perte de biodiversité.
"Socotra est la seule île au monde où aucun reptile, aucun oiseau ni aucune plante n'a disparu ces 100 dernières années, la seule. Nous devons nous assurer que ce soit toujours le cas", assure M. Van Damme.