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Tour de France: "On est des gladiateurs, la peur est un tabou", témoigne Dan Martin

"On est vus comme des gladiateurs, on n'a pas le droit de montrer de la peur", confie l'Irlandais Dan Martin, fraîchement retiré du peloton, dans un entretien à l'AFP sur les risques que prennent les coureurs du Tour de France et les peurs que souvent ils dissimulent.

Professionnel entre 2008 et 2021, Dan Martin a gagné une étape sur les trois grands Tours ainsi que Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie.

QUESTION: Vous avez articulé une partie de votre autobiographie (A la poursuite du Panda, aux éditions Hugo Sport) autour du thème de la peur. Pourquoi ?

REPONSE: "La peur est un tabou dans le cyclisme. On est vus comme des gladiateurs et on n'a pas le droit de montrer de la peur. Et ce n'est pas bon. C'est ce que je voulais raconter dans mon livre, surtout pour les jeunes qui commencent le vélo. Tout le monde peut avoir peur, même les champions. Et c'est ok."

Q: Vous avez eu peur sur un vélo ?

R: "Bien sûr. Je me rappelle notamment d'une étape sur le Giro en 2021 où ça roulait à 70 km/h dans une descente sur les gravillons. Les mecs tombaient de partout. Ce jour-là, j'ai perdu beaucoup de temps parce que j'ai eu peur. Je l'ai dit après l'étape et tout le monde m'est tombé dessus sur les réseaux sociaux. Même le commentateur à la télévision a dit que dans ce cas il valait mieux arrêter."

Q: Du coup, les coureurs ont peur d'avoir peur ?

R: "Oui, surtout de le dire. Dans le cyclisme, il ne faut pas montrer de faiblesse. Par rapport aux adversaires, au public qui risque de se moquer de toi. Aux équipes aussi. Si tu commences à dire que c'est un peu dangereux, elles vont dire: 'lui il a peur, on ne va pas le signer'. C'est comme à la fin des années 1990 lorsque des coureurs se taisaient par rapport au dopage pour ne pas être mis dehors. Aujourd'hui, c'est la peur qu'ils dissimulent."

Q: De quoi le cycliste a-t-il peur ?

R: "De tomber, de souffrir, de ne pas être à la hauteur avant une étape de montagne... pour plein de raisons. Même la peur de gagner. Quand Pogacar a attaqué à Cambasque (lors de la 6e étape du Tour 2023) il pouvait facilement perdre la course. Mais il n'a pas eu peur et il gagne l'étape. Dans la même situation, beaucoup auraient eu la trouille. Gagner implique beaucoup de choses. On se retrouve dans la lumière. Et tout le monde n'a pas envie d'être un champion."

Q: Il y a aussi la peur de ne pas faire comme les autres ?

R: "Le cyclisme est un milieu conservateur, avec des habitudes bien ancrées. Prenez le massage. A un moment j'ai découvert que ça me faisait plus de mal que de bien. Mais vouloir arrêter n'était pas facile. Je prenais le risque si le lendemain je ne marchais pas que l'équipe dise : 'ah bah normal il n'a pas voulu se faire masser". Il faut avoir une grande confiance en soi pour faire les choses différemment."

Q: La chute reste-elle la plus grande peur ?

R: "Oui et c'est vachement difficile de retrouver la confiance après une grosse chute. Mais en même temps, il est aussi nécessaire de tomber. En course, avec l'adrénaline et l'obligation de remonter tout de suite sur le vélo pour repartir, 90% des chutes ne font pas mal. Et si tu ne tombes jamais, tu peux penser que la moindre chute va être dramatique. Après il ne faut pas trop tomber non plus. Tu deviens presque fataliste et tu n'arrêtes plus. J'ai travaillé avec un psychologue pour sortir de cette spirale."

Q: Quand Gino Mäder se tue dans une descente de col, le peloton a peur ?

R: "Pour l'instant, on a vu moins de chutes dans ce Tour, c'est peut-être une conséquence. Au départ de chaque course, on sait que ça peut arriver. On prend des risques tous les jours."

Q: Plus qu'avant ?

R: "Je vois un peloton qui prend de plus en plus de risques pour être devant. La pression du résultat est beaucoup plus forte qu'avant. Quand je suis passé pro, il y avait zéro pression la première année. On était là pour apprendre le travail. Aujourd'hui, les jeunes doivent faire des résultats tout de suite. En plus le niveau s'est nivelé et pour faire la différence, il faut prendre encore plus de risques. Et, oui, ça fait peur."

PROPOS recueillis par Jacques KLOPP

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