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Alors que la polémique autour du Levothyrox, un médicament pour les personnes atteintes d'hypothyroïdie, fait rage en France, une Belge explique souffrir des mêmes symptômes que les patients français. Elle se plaint des effets secondaires de son traitement qui ne porte pas le même nom, mais repose sur le même le principe actif que le Levothyrox.
La nouvelle formule du Levothyrox, médicament destiné à lutter contre les pathologies thyroïdiennes, est au cœur d’une affaire sanitaire qui fait beaucoup parler d'elle en France. Depuis le changement, fin mars, de la formule de ce médicament prescrit à pas moins de... trois millions de Français, les plaintes se sont accumulées. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a enregistré plus de 5.000 déclarations d’effets inhabituels liés au Levothyrox. Une pétition a été signée par plus de 170.000 mécontents, patients ou proches afin de revenir à l’ancienne version du médicament. Sur les réseaux sociaux, des milliers de patients se plaignent également de symptômes gênants : fatigues, vertiges, nausée, diarrhées, troubles du rythme cardiaque… Laure, une patiente belge qui suit un traitement similaire, nous a contacté via notre bouton orange Alertez-nous pour se faire l’écho de ces plaintes.
Au départ, une étrange perte de cheveux, puis le diagnostic tombe
L’état de santé de Laure, Bruxelloise de 36 ans, s’est dégradé depuis qu’elle a commencé son traitement. Tout a commencé en 2006, alors qu’elle terminait ses études. La jeune femme a consulté son médecin généraliste parce qu’elle perdait ses cheveux de manière inhabituelle. Une simple prise de sang révèle sa maladie : l’hypothyroïdie.
La perte de cheveux fait partie de la liste des symptômes possibles de la maladie, avec "la fatigue, une prise de poids inexpliquée, des peaux sèches, des ongles cassants, de la constipation, de la frilosité et une humeur un peu triste et dépressive", égrène le docteur Ponchon, chef de service endocrinologie-diabétologie de la clinique Saint-Jean à Bruxelles. "Le gros problème c’est que la thyroïde a un peu bon dos, chaque fois que les gens se sentent fatigués ou qu’ils prennent du poids, ils vont pointer du doigt leur thyroïde", souligne-t-il.
Une simple prise de sang permet d’écarter ou de révéler un problème de thyroïde. "Le diagnostic se pose très facilement, un seul test suffit", indique le spécialiste. L’analyse sanguine de l’hypothyroïdie se caractérise par des taux de T3 et T4 anormalement bas et un taux de TSH élevé. La T4, ou thyroxine, représente 80% de la production des hormones thyroïdiennes. La T3, ou hormone tri-iodothyronine, représente les 20 % de sécrétion hormonale restant de la thyroïde. Le taux de TSH (thyréostimuline hypophysaire), qui contrôle la production des hormones thyroïdienne, augmente quand celui des hormones baisse. "Il n’y a pas d’hypothyroïdie avérée avec prise de sang normale", souligne le docteur.
En Belgique, la maladie touche environ 100 à 200.000 personnes, en majorité des femmes, âgées de plus de 50 ans.
Dans les pays développés, cette maladie s’explique le plus souvent par un processus auto-immunitaire : l’organisme produit des anticorps qui sont dirigés contre la glande thyroïde, la détruisant progressivement. Une alimentation déficiente en iode peut aussi causer une réduction de l’activité de la thyroïde : c’est la principale cause de l’hypothyroïdie dans les pays en voie de développement.
Au bout d'un an de traitement, elle ressent des vertiges et une fatigue intense
L’hypothyroïdie ne se guérit pas mais se contrôle en prenant quotidiennement des hormones thyroïdiennes pour compenser le mauvais fonctionnement de la thyroïde. Le médecin de Laure lui prescrit l’hormone de synthèse la plus prescrite, à savoir de la thyroxine (T4) sous forme de lévothyroxine en comprimé. Chaque matin avant le petit déjeuner, elle avale, à jeun, un comprimé de la marque L-thyroxine. Elle a commencé avec 25 microgrammes par jour, elle en prend aujourd’hui 125 microgrammes par jour.
Au bout d’un an de traitement, Laure a commencé à souffrir de vertiges et de périodes de grosses fatigues. À cette époque, elle n’a pas fait le rapprochement avec le traitement et pensait que ces maux étaient liés au stress des examens.
Puis les vertiges sont devenus de plus en plus puissants, avec des pertes d’équilibres qui ont entraîné des chutes à la maison, au travail, au supermarché. Son médecin a pensé à des problèmes d’oreille interne, mais la cause n’a finalement jamais été clairement identifiée. "Maintenant, quand je regarde en arrière, je sais que c’est à cause du médicament", affirme-t-elle.
"Le médicament nous donne trop d'effets indésirables !"
Pertes d’appétit, nausées, problèmes gastriques, insomnies, maux de tête, vertiges, tremblements… Laure a fait l’expérience de presque tous les "effets indésirables éventuels" notés dans la notice du médicament.
Depuis un an, la jeune femme souffre de "crispations" des jambes, dit-elle, ne sachant de quoi il s’agit. Elles lui font l’effet d’être momentanément paralysée. "Quand je me lève dans le bus et que je dois commencer à marcher pour sortir, je dois m’y prendre une minute avant parce que mes muscles sont crispés et je ne peux pas avancer", raconte-t-elle. L’année dernière, au travail, elle a souhaité courir pour aller chercher un document quand ses jambes n’ont "pas répondu". "Je suis tombé. Ma collègue était un peu interloquée", raconte-t-elle.
Autre symptôme récent, Laure a des palpitations, des compressions au niveau du cœur. "Quand je lisais ‘problèmes cardiaques’ à l’époque dans la notice, je ne prenais pas au sérieux. Aujourd’hui, j’ai des problèmes cardiaques", déplore-t-elle.
Le médicament nous donne trop d'effets indésirables ! Il y un problème avec ce médicament ! Je suis pas biologiste, je ne suis pas médecin, mais je connais mon corps et ce médicament est un poison qui s'instille peu à peu dans notre corps. Je regrette de l'avoir pris si longtemps qu'il m'est impossible de l'arrêter.
D'un naturel très dynamique, Laure n'a désormais "plus goût a rien"
Année après année, sa fatigue s’est accentuée à tel point qu’elle en est devenue handicapante, juge-t-elle. "Une simple tâche devient pour moi insurmontable", déplore la jeune femme. "Mon caractère a changé, j'étais très dynamique toujours souriante et je n'ai plus goût à rien", poursuit-elle. Ironiquement, Laure continue de perdre ses cheveux — raison pour laquelle elle avait commencé le traitement au départ. Elle a donc essayé de l'arrêter. Dès lors, la plupart des symptômes ont disparu, raconte-t-elle. Mais au bout de cinq mois, son taux de TSH a grimpé en flèche, ce qui peut entraîner des complications graves, comme un coma ou de l’insuffisance cardiaque. Laure s'est sentie condamnée à reprendre son traitement qui, elle en est persuadée, n’est pas fait pour elle.
Des patients pour qui le traitement ne marche pas ?
"Dans 99% des cas, les gens se sentent très bien avec le L Thyroxine", affirme le docteur Ponchon. "Il y a des gens pour qui ça fonctionne et tant mieux", remarque Laure. "Mais si ce n’est pas la solution pour d’autres malades comme moi, on doit le dire et on doit leur donner d’autres moyens", tonne-t-elle.
Laure s’est documentée pour comprendre son cas : livres, forum santé, littérature scientifique... Des lectures qui lui ont laissé penser qu’elle fait partie d’une minorité de patients qui ont la particularité de ne pas transformer correctement les T4 — thyroxine administrée via le traitement — en T3. Certains patients transforment les T4 en "Reverse T3", une forme inactive de cette hormone, or la T3 est une substance essentielle pour le bienêtre du patient, indique le docteur Ponchon. "Moi qui pourrais rentrer dans ce scénario-là, on va me bourrer de T4 et ça ne servira à rien", regrette Laure.
"Il y a aujourd’hui un débat parmi les spécialistes : que faut-il faire chez ces quelques patients qui sont rares et qui se sentent mal avec un traitement par L thyroxine, avec de la T4. Est-ce que il ne faudrait pas repérer ces gens et leur proposer une petite quantité de T3 ?", interroge le Docteur Ponchon.
Pourquoi pas de traitement avec de la T3 en Belgique ?
En France, les médecins peuvent prescrire des traitements contenant de la T3, comme Cynomel et Euthyral. Ce dernier médicament a été retiré du marché belge il y a quelques années. "Il y a des traitements qui nous sont refusés en Belgique par rapport à la France", s’indigne Laure. "C’était un produit vraiment problématique qui occasionnait trop souvent des surdosages et des complications cardiaques", explique le spécialiste. "La T3 est extrêmement délicate à manipuler", précise-t-il. Son surdosage léger, s’il ne provoque t aucun symptôme dans l’immédiat, est responsable d’une augmentation de la mortalité sur le long terme, indique-t-il. "Nous les médecins, avons des relevés statistiques là-dessus. On n'est pas du tout encouragés à utiliser des produits qui exposent les gens à un léger surdosage chronique en hormone thyroïdienne", confie-t-il.
"Il est fort possible qu’il y ait des individus qui, en raison de leurs caractéristiques très personnelles, ont besoin, en plus de T4, d’une petite quantité de T3 pour bien se sentir", ajoute le docteur. "Mais ça ne fait partie d’aucune recommandation scientifique promue par aucune société scientifique digne de ce nom. C’est un sujet très délicat", nuance-t-il immédiatement. Le docteur redoute l’emballement de patients qui pourraient sortir une phrase de son contexte, avec les réseaux sociaux comme caisse de résonance.
Pour le docteur Ponchon, ceux qui sentent "un peu moins bien" avec le traitement représentent 1 à 2% des patients. "Et donc ces gens-là ? Et bien aujourd’hui on doit peut-être faire des études, les reprendre dans des registres et puis voir un peu comment ils réagissent au traitement", déclare-t-il.
Pour ce faire, il faudrait qu’ un centre de recherche qui prenne le sujet-là en main, ajoute-t-il.
Peu de concurrence entre les laboratoires qui fabriquent les médicaments contre l’hypothyroïdie
Si la France dispose d’une offre plus variée de médicaments que la Belgique pour le traitement de l’hypothyroïdie, tous les médicaments proposés sont issus du même laboratoire : Merck. Une situation qui est pointée du doigt par de nombreux patients et l’Association française des malades de la thyroïde. "Est-ce qu’on a décidé de donner le monopole qu’à Merck ? C’est la grande question", estime Laure. Après avoir reçu plusieurs associations, la ministre française de la santé a déclaré qu’elle cherchait rapidement à leur proposer d’autres produits. De plus, l’ancienne formule du Levothyrox sera disponible à nouveau, très prochainement, dans l’hexagone.
En Belgique, deux traitements sont possibles pour les patients : L-Thyroxine, du laboratoire Takeda, et Euthyrox, du laboratoire Merck. "Le principe actif reste de la Levothyroxine, mais commercialisé sous deux marques différentes", indique le docteur Ponchon. Une boite de L thyroxine de 112 comprimés (3 mois de traitement) coûte 4 euros. "Il n’y a pas beaucoup de concurrence parce que la marge bénéficiaire sur ces produits est très faible pour les firmes, donc ils ne sont pas très tentés de se lancer dans une guerre commerciale", explique-t-il. "Le marché est trop petit pour faire rentrer 5 concurrents", estime-t-il.
En Belgique, la nouvelle formule de L-Thyroxine a également posé des problèmes...
En France, les associations de patients se sont mobilisées, ont obtenu l’oreille des médias, puis du gouvernement, concernant les effets secondaires de la nouvelle formule de Levothyrox. En Belgique, la nouvelle version du médicament L-Thyroxine, sortie il y a trois ans, a également suscité des plaintes. "Pendant deux ans, je peux vous dire que j’ai vu mon nombre de consultations urgentes pour avis thyroïdien augmenter très fort, confie le chef de service endocrinologie-diabétologie de la clinique Saint-Jean. C’en était même exaspérant et je ne vous cache pas que j’ai fait part de ma désapprobation auprès de la firme en disant ‘écoutez, ça ne va pas des choses comme ça’". "Pas mal de collègues" en ont fait autant, précise-t-il.
"Quand vous êtes traité depuis dix ou vingt ans par le même médicament, à la même dose, et que votre corps s’est habitué à ça, le jour où vous passez d’une forme à une autre, vous pouvez ressentir des différences plus ou moins importantes dans l’effet du médicament", explique le spécialiste. En conséquence, le docteur a dû adapter la dose d’hormone thyroïdienne pour beaucoup de ses patients, et parfois changer de marque de produit pour retrouver une certaine stabilité.
... mais les patients belges ne sont pas mobilisés
Si certains patients se sont plaints à leur médecin, l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) n’a reçu que 37 notifications d’effets indésirables en 2015 concernant la L-Thyroxine (Takeda). En 2017, l’AFMPS a reçu 4 notifications d’effets indésirables concernant des patients traités par l’Euthyrox. On est loin des milliers de signalement reçus en quelques mois par l’ANSM (l’équivalent français de l’AFMPS) au sujet des effets secondaires du Levothyrox. "Le scandale du Levothyrox a beaucoup à nous apprendre. On minimise l’ampleur de ces effets indésirables ici en Belgique", martèle Laure, qui appelle d’autres malades à témoigner. "Vous seriez surpris du nombre de personnes dans mon cas !", lance-t-elle.
Ces dix dernières années, Laure a consulté 2 médecins généralistes, 4 endocrinologues, un cardiologue, un neurologue et un rhumatologue. Seul son médecin généraliste commence à croire qu’il y aurait peut-être un lien entre ses symptômes et son médicament pour l’hypothyroïdie. "Beaucoup de médecins font la politique de l’autruche", s’indigne-t-elle. Ce qui l’exaspère le plus, ce sont ceux qui affirment que ses problèmes de santé sont "psychosomatiques". "Je peux accepter la maladie mais au moins qu’on admette que ce n’est pas ‘dans la tête’, qu’on reconnaisse mon mal, c’est tout ce que je veux".