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La lutte des "Mères Mohawks" pour retrouver des enfants autochtones disparus à Montréal

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Alexis Aubin

Les bulldozers sont de nouveau à l'œuvre sur le site de l'ancien hôpital Royal Victoria de Montréal, au Canada, mais les Mères Mohawks n'ont pas dit leur dernier mot.

Ces femmes luttent depuis plus de deux ans pour mettre en pause un projet immobilier de l'Université McGill et du gouvernement québécois, demandant de nouvelles fouilles pour retrouver les corps d'enfants autochtones disparus il y a une soixantaine d'années.

"Ils ont pris nos enfants et leur ont fait subir toutes sortes de choses", raconte Kahentinetha, 85 ans, l'aînée de ce groupe de quatre femmes issues de la communauté mohawk de Kahnawake, au sud-ouest de la métropole québécoise.

Elles s'appuient sur des archives et un témoignage suggérant que le site pourrait receler des sépultures d'enfants autrefois internés dans l'hôpital Royal Victoria et à l'institut psychiatrique voisin, le Allan Memorial.

Dans les années 1950 et 1960, derrière les murs austères de cet institut psychiatrique du XIXe siècle, la CIA a financé le grand projet MKUltra. En plein cœur de la guerre froide, l'idée était de voir s'il était possible d'anéantir la personnalité d'un individu pour ensuite le "reprogrammer" et pouvoir le contrôler mentalement.

Des expérimentations ont alors été menées aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Canada où divers patients, notamment des enfants autochtones, ont subi à Montréal électrochocs, absorptions de drogues hallucinogènes, privations sensorielles...

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Alexis Aubin

"Ils voulaient nous effacer", soutient Kahentinetha, qui souhaite être appelée par son nom autochtone. Pour cette figure de proue du mouvement de défense des droits autochtones, qui s'est rendue à Londres ou aux Etats-Unis pour dénoncer le colonialisme, ce dernier combat est "le plus important de (sa) vie".

"Nous voulons savoir pourquoi ils ont fait ça et savoir qui va en assumer la responsabilité", lance-t-elle avec détermination.

- Un réseau étendu -

À l'automne 2022, elles obtiennent une injonction pour suspendre les travaux destinés à créer sur le site un nouveau pôle de recherche ainsi qu'une cité universitaire, un projet de 870 millions de dollars canadiens (581 millions d'euros).

"Nous avons dû nous battre pour ne pas avoir d'avocats car, dans notre tradition, personne ne parle en notre nom", explique Kwetiio, la plus jeune des militantes âgée de 52 ans.

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Alexis Aubin

A l'été 2023, des chiens renifleurs et des sondes spécialisées sont amenés au pied des grands bâtiments délabrés. Ils parviennent à identifier trois zones d'intérêt pour mener des fouilles.

Mais selon McGill et la Société Québécoise des Infrastructure (SQI), "aucun reste humain n'a été découvert" bien que tout ait été réalisé "conformément à la règlementation, aux règles de l'art et à l'entente" trouvée avec les Mères après leur victoire en justice.

Une conclusion que les Mères Mohawks contestent. Elles accusent les deux organisations d'avoir rompu "l'entente" en renvoyant les archéologues trop tôt et en choisissant elles-mêmes l'entreprise pour les recherches.

"Ils se sont donné le pouvoir de mener l'enquête sur des crimes qui auraient été commis par leurs propres employés dans le passé", dénonce Philippe Blouin, un anthropologue travaillant avec les Mères Mohawks.

Et même si elles viennent, la semaine passée, d'être déboutées en appel, elles ont promis de poursuivre leur combat.

"Les gens devraient connaître l'histoire, pour que ça ne se reproduise plus jamais", estime Kwetiio.

Ces dernières années, petit à petit, le Canada ouvre les yeux sur son passé et la politique d'assimilation forcée des premiers peuples, considérée comme un "génocide culturel".

En mai 2021, la découverte des restes de 215 corps d'enfants enterrés dans une fosse commune du pensionnat pour autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique dans l'ouest du pays, a ravivé la blessure d'une page sombre de l'histoire canadienne.

Au total, 150.000 enfants ont été scolarisés dans ces pensionnats religieux, entre 1831 et 1996. Plusieurs milliers n'en sont jamais revenus.

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Alexis Aubin

"Ca ne concerne pas seulement les pensionnats, mais aussi les hôpitaux, les sanatoriums, les églises et les orphelinats", ajoute Kwetiio.

Pour elle, l'objectif est donc que "tout le monde réalise ce qu'il s'est passé" pour que "les choses changent". Avec un but: "recréer l'harmonie qui existait avant l'arrivée d'un système colonial".

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