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En Irak, des sanctuaires chiites privés sur la sellette

Le toit s'effondre et huit pèlerins sont tués: l'accident survenu dans un sanctuaire chiite en août a indigné l'Irak. Comme des centaines d'autres, le site échappait au contrôle des autorités religieuses, tiraillées entre volonté de reprendre les choses en main et crainte de heurter les croyants.

En Irak, le chiisme est fervent, démonstratif et les sanctuaires sont légion. Ils sont généralement dédiés à des proches ou des descendants de l'imam Ali, figure fondatrice du chiisme, religion de plus de six Irakiens sur dix.

Mais selon le Waqf, l'institution qui gère les biens de la communauté chiite, seuls 135 des 664 sanctuaires recensés dans le pays sont dûment enregistrés auprès de ses services.

Les 529 sanctuaires hors du giron du Waqf sont tenus par des particuliers et tirent leur légitimité de la foi des pèlerins. Ils constituent aussi une source de revenus pour les propriétaires des sites grâce aux dons des fidèles.

C'est le cas du Qattarat de l'imam Ali, près de Kerbala (centre), dédié au passage de l'imam dans la région en 657. En août, le toit de ce sanctuaire privé et non homologué s'est effondré à la suite d'un éboulement, tuant huit pèlerins.

Le drame a soulevé l'indignation chez les Irakiens, qui ont fustigé des sites construits hors de toute norme de sécurité. Certains, comme Maitham Abbas, habitant de la ville sainte chiite de Kerbala, ont critiqué un "faux sanctuaire" destiné "à engranger des bénéfices".

Des religieux et des responsables politiques chiites ont appelé à renforcer les normes de sécurité dans un Irak aux infrastructures en déliquescence où ces tragédies sont fréquentes.

- "D'où vient cette progéniture?" -

De quoi abonder dans le sens du Waqf qui tente de placer sous son contrôle davantage de lieux saints.

Etre labellisé "apporte un poids juridique, une stature", fait valoir Hachem al-Awadi, directeur adjoint du département des sanctuaires chiites. Les employés du site sont fonctionnarisés et les responsables "peuvent bénéficier des capacités de l'Etat pour le développement et la construction" du sanctuaire qui devra se plier aux normes de sécurité.

Mais le processus d'homologation est long. Il faut, selon M. Awadi, mener "une enquête sur la lignée", pour authentifier un sanctuaire - et le récit de sa fondation - en vérifiant l'arbre généalogique du défunt qui y est révéré.

Et il sait combien le sujet est sensible. "Si vous signalez un sanctuaire fictif, combien de personnes vont vous croire et combien vous accuseront de vous écarter (de la religion)?", insiste-t-il.

Car le récit sur lequel un sanctuaire a été fondé peut soulever des interrogations.

Hachem al-Awadi s'étonne ainsi de l'existence "d'une centaine de sanctuaires consacrés aux filles de l'imam Hassan, fils d'Ali" qui n'est passé que brièvement en Irak. "D'où vient donc toute cette progéniture?".

- "Récit de fondation" -

Avant la chute du régime de Saddam Hussein, dictateur sunnite renversé en 2003 lors de l'invasion menée par les Etats-Unis, la communauté chiite était fortement bridée dans sa pratique religieuse.

"Il y avait un caractère informel cultivé par la population, voire par les institutions chiites, pour ne pas être rattachées à l'Etat", relate pour l'AFP Sabrina Mervin, historienne spécialiste du chiisme contemporain.

Les choses ont changé, dit-elle, et le Waqf chiite a été réorganisé. Mais elle appelle à prendre en compte "les pratiques pèlerines qui se mettent en place par le bas, émanant de la religiosité des fidèles".

"S'il y a des pèlerins (...) il y a forcément un récit de fondation de ce lieu comme un lieu saint", ajoute cette directrice de recherche au CNRS. "Les autorités religieuses n'ont pas d'arguments pour empêcher les fidèles de manifester leur attachement et leur dévotion aux grandes figures du chiisme, même dans des lieux non reconnus".

Comme sur le site de ces trois sanctuaires construits près d'une autoroute au sud de Bagdad, où Kamel Rahim, "un peu malade", est venu prier pour sa propre guérison.

Les trois sanctuaires, non enregistrés par le Waqf, ont été érigés dans les années 1980 et sont dédiés respectivement à Sayyed Ahmed, Sayyed Ali et leur père Al-Mozher. Trois lointains descendants de l'imam Ali, croit savoir Kamel Rahim.

Des habitants "ont découvert des pierres sur lesquelles leurs noms étaient inscrits. Ils ont creusé et trouvé deux tombes", ajoute le pèlerin de 78 ans.

Deux bâtisses au carrelage propret abritent les coffrets en aluminium doré des tombeaux. Dans l'un d'eux, des offrandes modestes: des chocolats... et des dinars irakiens en petites coupures.

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