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En Arizona, l'inflation aggrave le mal-être des professeurs

Ces derniers mois, Shivani Dalal a dû renoncer à ses pâtes végétariennes favorites et prendre un deuxième emploi pour survivre: comme pour de nombreux professeurs en Arizona, parmi les plus mal payés aux Etats-Unis, l'inflation met à l'épreuve sa vocation d'enseignante.

Pendant l'été, "j'étais très, très juste", confie à l'AFP cette professeure d'anglais de 27 ans dans son appartement mal insonorisé de Phoenix, la capitale de l'Etat.

Entre son loyer, ses charges et le crédit pour sa voiture, il lui restait 400 dollars par mois pour vivre. Une gageure, au moment où les Etats-Unis subissent leur pire inflation depuis 40 ans.

La jeune femme a renoncé aux sorties cinéma, aux excursions en voiture et aux ramen au soja, après avoir vu le prix des nouilles japonaises quadrupler.

Depuis septembre, elle bénéficie d'une augmentation de 300 dollars mensuels. Une bouffée d'oxygène, déjà menacée par l'explosion des prix.

"Je pensais pouvoir m'en sortir", assure l'enseignante. Mais après une légère décrue, le prix de l'essence "remonte doucement, c'est un peu déroutant". Le remboursement de son prêt étudiant, gelé pendant la pandémie, doit aussi reprendre en 2023.

Pour s'en sortir, la professeure fait désormais du porte-à-porte pour les démocrates après ses cours, ce qui lui permet d'engranger 250 à 300 dollars hebdomadaires supplémentaires, avant les élections de mi-mandat. A condition de pouvoir encaisser des semaines de 70 heures.

"Travailler autant, c'est vraiment stressant", souffle la jeune femme, qui s'accroche pour rester professeure, mais envisage de déménager en Californie, où elle pourrait loger chez sa famille.

Etat clé pour le scrutin du 8 novembre, l'Arizona souffre particulièrement de l'inflation. Sa capitale, Phoenix, est la ville américaine qui affichait la plus forte hausse des prix en août: +13% sur un an.

De quoi ébranler ses professeurs, parmi les moins bien payés du pays. L'Arizona se classe 44e sur 50 en matière de rémunération des enseignants, avec un salaire moyen de 52.157 dollars annuels, selon la National Education Association.

- "Coup au moral" -

A 48 ans, dont 24 passés à s'occuper d'élèves handicapés, Kareem Neal avait enfin réussi à louer un appartement avec une superbe vue sur le centre-ville de Phoenix. Une consécration pour ce professeur bardé de récompenses, récemment admis au "Hall of Fame" des enseignants américains, qui a longtemps été chauffeur VTC et videur de boîte de nuit en dehors des cours.

Mais depuis six mois, les prix flambent tellement qu'il n'arrive plus à économiser, malgré le revenu complémentaire fourni par ses conférences sur l'éducation. Pour pouvoir réaliser ses rêves - devenir propriétaire et préparer sa retraite -, il cherche à se rabattre sur une location moins onéreuse.

"Ça met un coup au moral", avoue-t-il à l'AFP. "Est-ce que j'arriverai un jour à ne pas avoir deux métiers? Est-ce que j'arriverai à ralentir en vieillissant?"

Avant les élections, il semble blasé. Depuis 20 ans, "tous les politiciens (...) ont dit qu'ils pensent que les professeurs méritent d'être mieux payés". Mais devant l'insuffisance des augmentations accordées, il "ne croit pas du tout" aux promesses.

Dans son lycée, certains collègues ont récemment abandonné le métier. Un problème majeur en Arizona, aggravé par l'inflation: à la rentrée 2022, plus d'un quart des postes d'enseignants sont restés vacants, selon l'ASPAA (Arizona School Personnel Administrators Association).

Face au manque criant de professeurs, de nombreuses écoles "font venir des enseignants des Philippines, d'Inde ou du Vietnam", raconte Paul Tighe, le directeur d'une autre organisation fédérant des chefs d'établissements.

Pour tenter de fidéliser les enseignants, dont beaucoup démissionnent durant leurs cinq premières années de carrière, la Northern Arizona University a lancé cet été un programme de mentorat.

Il permet aux étudiants d'apprendre en classe, sous la supervision d'un autre enseignant, sans rien dépenser pour leur master. Une bourse de 15.000 dollars leur est accordée la première année, puis ils reçoivent un salaire de professeur et doivent enseigner dans l'Etat pendant trois ans.

Sans ce programme, "j'aurais probablement dû contracter un prêt étudiant et financer ma propre couverture médicale", explique Aisha Thomas, qui fait partie des 22 membres sélectionnés. "C'est un immense soulagement."

A terme, l'initiative souhaite former 100 nouveaux aspirants chaque année et voudrait pouvoir offrir des solutions d'hébergement, selon sa directrice Victoria Theisen-Homer.

"Cela irait encore plus loin pour leur permettre de survivre à l'inflation qu'ils affrontent actuellement", espère-t-elle.

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