Accueil Actu Monde International

Dans l'Ohio, les démocrates ont du mal à reconquérir les ouvriers

Dans un hangar au nord des Etats-Unis où s'entrechoquent des poutrelles d'acier, Zachary Williams s'entraîne à attacher des fers à béton, harnais de sécurité, sur ses larges épaules.

Depuis ce centre de formation de l'Ohio, l'apprenti à la barbe rousse est prêt à profiter du "boom" déclenché par l'installation de deux immenses usines - mais le trentenaire n'ira pas jusqu'à voter pour les démocrates, pourtant à l'origine de financements massifs pour les microprocesseurs et les véhicules électriques.

Peu importent les investissements annoncés par Intel et Honda à côté d'ici, ce républicain n'a que l'inflation en tête. Fines lunettes de sécurité sur les yeux, il "espère" un changement de majorité lors des élections de mi-mandat, "pour que nous, la classe ouvrière, puissions acheter de l'essence".

Face à la hausse des prix qui écrase cette campagne, Joe Biden martèle son message: l'avalanche de milliards votés par les démocrates va relancer l'industrie manufacturière américaine et ses "emplois bien payés".

Et lui, l'enfant d'une ville ouvrière, reprend les thèmes de sa campagne victorieuse de 2020, s'affiche avec les syndicats et multiplie les déplacements dans l'Ohio pour tenter de renouer avec une classe ouvrière blanche largement perdue par le parti démocrate.

Mais dans cet Etat où Donald Trump est arrivé en tête aux deux dernières présidentielles, l'inflation et un profond sentiment de déclassement entravent cette stratégie.

- Abandon -

"Nous avons besoin de gens qui peuvent aider les pauvres, la classe ouvrière, parce qu'ici, il y a plein de monde qui galère pour survivre", insiste Zachary par-dessus le vacarme d'une disqueuse.

Un peu plus loin dans le hangar, visière abaissée, son camarade Matthew Atha braque son chalumeau sur une pièce de métal. "Baisse le niveau d'oxygène... Vas-y, vas-y", lui conseille Simon Denby, enseignant dans ce cursus en alternance géré par un syndicat près de Dayton, bastion industriel.

Natif de la petite ville d'à-côté, Matthew Atha a observé la désindustrialisation qui a frappé sa région, mais il garde espoir. Joe Biden "stimule l'industrie, il a signé la grande loi (d'investissement massif dans) les infrastructures, il nous aide", salue l'apprenti de 54 ans, dans un tee-shirt de travail orange vif, le ton aussi calme que prudent.

"Ça peut ramener la classe ouvrière (aux démocrates), mais il va falloir qu'ils travaillent", prévient Matthew, l'aîné de la promotion. "On ne veut pas de faux espoirs", ajoute-t-il. "Ces dernières décennies, la classe ouvrière a été abandonnée tant de fois par les deux partis."

"Pendant les années (Bill) Clinton", président démocrate de 1993 à 2001, "ils ont commencé à délocaliser au Mexique", raconte le formateur Simon Denby, un petit homme aux bretelles fluorescentes. Puis, de 2000 à 2007, sous George W. Bush, l'Ohio a perdu un quart de ses emplois manufacturiers.

- "Ceux qui fabriquent" -

A Middletown, à moins d'une heure au sud de Dayton, une immense aciérie s'est maintenue dans la tempête, mais "une part de notre identité nous a quittés", raconte la maire, Nicole Condrey, attablée dans un café, à quelques encablures du monstre de rouille aux cheminées fumantes.

"On est donc toujours en train de tâtonner pour régénérer l'identité de Middletown", note l'élue, avec une certitude: "On sera toujours de ceux qui fabriquent".

Cette bourgade est le décor de "Hillbilly Elegy", récit à succès d'une enfance modeste dans cette ville ouvrière devenue symbole du déclassement de l'Amérique blanche. Son jeune auteur, J.D. Vance, est aujourd'hui candidat républicain pour le Sénat et "beaucoup" le soutiennent ici, relève Nicole Condrey.

D'autres, à gauche, font le pari d'une "transition vers les emplois du futur, vers une économie basée sur des énergies propres". C'est ce que défend Tim Burga, président de l'AFL-CIO Ohio, principale confédération de syndicats, proche des démocrates.

"On se débarrasse progressivement de l'étiquette de la +rust belt+", cette "ceinture de rouille" qui raconte la déprime industrielle du nord-est américain, ajoute-t-il dans son bureau qui surplombe Colombus, capitale de l'Ohio.

- Dieu, armes et avortement -

Mais, dans le syndicat de Dayton de formation des apprentis, ce message de la relance industrielle démocrate a du mal à passer, admet David Cox, un gaillard en salopette et look de motard.

"On essaye, on essaye vraiment, je peux vous le dire!", lance-t-il de sa voix grave. Mais, regrette ce responsable syndical de 54 ans, un gouffre culturel les sépare des élus de Washington.

"Que ce soient les armes, Dieu, l'avortement ou n'importe quoi d'autre, plein de nos membres ne veulent pas voter démocrate", explique M. Cox dans son bureau bourré de pancartes pour la gauche.

Face au discrédit qui frappe son parti, un candidat démocrate de l'Ohio tente la stratégie du caméléon.

Tim Ryan, qui talonne J.D. Vance dans les sondages pour la course au Sénat, ne veut pas d'un second mandat de Joe Biden, ne l'absout pas sur le sujet brûlant de l'inflation et a choisi des pancartes électorales rouges, couleur traditionnelle des républicains.

Son slogan: "Tim Ryan, les travailleurs d'abord".

À lire aussi

Sélectionné pour vous